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100 Livres Classiques : le spleen numérique ?



C‘est un débat qui échauffe les esprits. Faut-il encourager la numérisation des œuvres littéraires ? Du moins, faut-il s’en réjouir ou s’en lamenter ? L’appendice, remis à la mode par l’iPad, sème à tout va, au vent du tout dématérialisé. On a beau être séduit par le cœur compact du produit, la légèreté anormale du poids des mots conquis dans un disque dur, le procédé fait flop. Partout. D’où la nécessité périlleuse de poser et de justifier l’existence de 100 Livres Classiques. Qui plus est sur une console portable, d’ordinaire exclusivement portée sur le divertissement casual.

L’effleure du mal

Lire n’a rien de ludique. C’est une brûlure qui pique, face à laquelle on se désarme, on soupire, on se dépense. L’entier contraire d’un jeu vidéo, qui renverse ces codes, cette liberté entrevue pour n’offrir qu’un amusement dans le déclin. Alors, fouillons. Avançons. Qu’a bien pu imaginer Nintendo pour rendre attrayante cette centaine d’ouvrages existentiels ? Dans l’atelier du constructeur, des romanciers (Zola, Dumas, Flaubert…), des fabulistes (La Fontaine, Voltaire…), des mondains (Wilde), des imposteurs (Maupassant), et de rares -mais intouchables- poètes (Verlaine, Baudelaire, Rimbaud…). Des mots, encore des mots, plein, tout plein, et la diction du tactile pour les faire valser à bon endroit. Sur la petiote DS(i), l’écart qui sépare les maudits du 19e siècle des moralistes du 17e se fait pauvre. Une caresse du stylet et la bibliothèque numérique vogue de droite à gauche, avec une aisance des plus confortable. Confort qui encourage néanmoins à la paresse : on picore plus qu’on ne dévore, puisque rien ne sépare dans le tas, les œuvres et leur contenu, si ce n’est un grain de couleur sur la tranche de couverture. Procédé standardisant ainsi des siècles de production littéraire dans une étale impersonnelle. Triste sort.

Morale du joujou

C’est là l’essentiel de la plainte que l’on porte à 100 Livres Classiques. Lire en numérique, c’est désavouer l’auteur, le déposséder de son support, un peu comme ces musiciens qui gravent sur disque et se retrouvent compilés en sonnerie de téléphone portable. Désaveu complet, quand bien même les tentatives, ces ridicules raccourcis et résumés des œuvres proposés avant chapitre. Noyée dans la masse, la cohérence fuit à grand flot. Et se désagrège. Comment remplacer l’odeur amande qui s’échappe d’un feuillet ? Comment ne plus songer au frisson d’une page qui file sous l’index ? Comment se résigner à prendre possession d’un livre, plus bel objet culturel, en aspirant à ne plus le regarder, le poser, le corner ? C’est oublier trop vite que l’écrit doit être lu. Bien lu. Sans pourriture, ni vice. Et là encore, l’œil sait mieux se saisir d’une page de papier blanc, que d’un écran, tactile ou pas, support très nerveux qui fatigue la lecture à force de la faire courir.

Et puis la littérature, même classique, ne saurait tolérer ce faux réel qu’on lui prescrit trop souvent. L’ennui, l’inaccessible et le désuet. Trois épithètes mis en forme par un Nintendo mal habile, qui assomme son joujou du pauvre avec une interface grisâtre et nocturne, métaphorisée par une hulotte en page d’accueil. La bête même fait dans l’introspection. Tentative ultime de débrider les âmes : le questionnaire fantoche (à coup de « Quel est votre animal favori ? » « Allez-vous souvent au cinéma ?« ), dont la mission, encore un encouragement à l’oisiveté, calibre à votre place les œuvres qui vous siéront le mieux. Après l’auteur désavoué, le lecteur désincarné. Chouette, ma modernité.


Initialement publié le 28.04.2010