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The Quiet Man : voyage assourdissant en absurdie !



Qu’allais-je donc faire dans cette galère ?

J’ai connu trois moments-clés dans mon existence qui m’ont permis de délimiter mon champ de tolérance à la souffrance et la frustration. Le premier, c’est lorsque j’ai appris que les festivités du 14 Juillet ne célébraient pas mon anniversaire mais juste une bande de gugusses qui attaquent un château. Quelle trahison ! Honte à mes parents d’avoir usé de ce stratagème indigne à seule fin de flatter un ego déjà surdimensionné ! Le deuxième, en pleine adolescence boutonneuse et en recherche désespérée d’expériences fiévreusement érotiques, fut lorsqu’une coupure de courant interrompit le célèbre solo de guitare de Still Loving You alors que je m’apprêtais à me lancer dans une courageuse tentative de rapprochement corporel avec Sylvie B : incident voltaïque qui explique sans doute que je voue désormais une haine inextinguible au Hard FM germanique. Et le dernier, qui ne date que de quelques jours, correspond exactement à la 8ème minute de The Quiet Man. Oui, au bout de huit minutes à peine, je savais que je tenais-là, devant mes yeux effarés, la quintessence du ratage pseudo vidéoludique et qu’en testeur épris de professionnalisme, il faudrait que je surpasse à la fois avec sang-froid et détermination le terrible désir d’appuyer sur off et d’aller me pendre en écoutant une dernière fois les mélopées dégoulinantes de Klaus Meine.

Bon, je vous explique maintenant le pourquoi du comment… 

Lost in translation (surtout s’il n’y a rien à traduire…)

Moi, j’adore les jeux narratifs ! Comme j’ai plus le temps de lire, m’immerger dans une histoire sympa, plutôt bien écrite, le tout en feuilletant virtuellement des cinématiques, ça me repose…  Alors, normal, je postule innocemment pour le test de The Quiet Man. Avec Square Enix et le studio Human Head, géniteur du fort sympathique Prey aux baguettes, on se dit que le taf devrait être fait. D’autant que les développeurs promettaient quelques initiatives audacieuses comme une large intégration de séquences en Full Motion Video et un gameplay hybride mêlant un « circuit » narratif  et de nombreuses séquences de baston. Et pour finir, un héros dur de la feuille dont il s’agirait de partager le handicap sensoriel. Et là, j’aurais peut-être dû me méfier… Parce qu’en gros, je m’imaginais naïvement qu’il s’agirait seulement de simuler çà et là une perte d’audition à des moments importants de l’intrigue. Dans le cadre d’une résolution d’énigme par exemple, ou afin de différer une révélation essentielle… Mais non ! The Quiet Man ne comporte quasiment aucune bande-son et surtout pas une seule phase de dialogue intelligible. Juste des infrasons lorsque les personnages vous parlent et d’agaçants tintements pour les autres bruitages divers et variés. Ah, s’il s’agissait d’être sensibilisé au problème du handicap, ce serait une autre affaire ! Mais le problème, c’est qu’il s’agit juste d’un jeu, narratif de surcroît. Et donc, comme nous en sommes réduits à des bourdonnements en guise de dialogues, on ne comprend foutrement rien à ce qu’il se passe. Sinon que le héros a perdu sa mère très jeune, que son pote est in love avec une chanteuse de jazz qui ressemble en gros à la défunte et que celle-ci a été enlevée par un mystérieux méchant masqué. Et puis il y a des latinos vendeurs de drogue sur qui taper, ça on l’a bien compris ! Mais pour le reste, on regarde de longues cinématiques d’un œil aussi distrait que l’oreille qui, elle, par la force des choses reste désespérément au repos. Non mais sérieux, c’est une blague ? C’est tout le problème avec la notion de « conceptuel » : tu as toujours un gars qui déboule de nulle part dans un projet et qui te sort le truc le plus dingue qui n’a jamais été fait. Et ben oui, si ça n’a jamais été fait, c’est juste parce que c’est pas conceptuel, c’est juste crétin ! Et personne pour lui dire de sortir de la pièce…

A ce niveau, cela devient de l’art !

Bon, le son, c’est fait ! Passons à l’aspect graphique avec ce fameux projet de mêler images in-game et prises de vue réelles afin de donner à l’ensemble une touche cinématographique. Le bilan est que les séquences censées représenter la Big Apple et filmées en Bulgarie sont correctes, plutôt bien éclairées et que le réalisateur en charge possède un certain sens du cadrage. Mais aussi que cela n’apporte strictement rien ! Tout le problème est celui de la valeur ajoutée d’une telle initiative qui ici n’est que cosmétique. En fait, cela s’avère même contreproductif car la qualité relative de ces séquences (si l’on excepte le charisme moulesque de l’acteur principal) met surtout en exergue la pauvreté affligeante des phases de jeu proprement dites. On n’avait pas mal aux oreilles mais autant vous prévenir, on peut sérieusement saigner des yeux en constatant la dérive technique affichée par le titre. L’animation de votre héros relève d’un autre âge, à la fois rigide et robotique ;  les déplacements sont de plus entravés par une gestion des caméras totalement à la ramasse. Franchement, quand je repense à la gestion des points de vue du premier Alone in the Dark, aux grandes heures d’Infogrammes, je me dis que c’était même mieux… Et c’était en 1992 tout de même ! Ici, on percute tout ce qui bouge dans des décors minimalistes et sans âme. Et tout ça, au final, pour enchaîner des combats contre des gangstas totalement clonés. Parlons-en des combats… c’est le bouquet final ! Totalement mous, sans aucune technicité et répétitifs au possible : on tape au hasard sur des touches pour donner un coup de pied ou un coup de poing… Vous rajoutez des finish moves pathétiques et une gestion des collisions hallucinante et vous vous dîtes alors que ce Quiet Man est en fait une ode au Retrogaming. Un bon vieux Streets of Rage vaut mille fois plus que cet ersatz informe de beat’em up ! Moi, quand je pense à The Quiet Man, j’imagine surtout la bagarre anthologique avec John Wayne dans le cultissime film de John Ford. Nul doute que Big John mettrait une sévère peignée à ce benêt permanenté qui nous est infligé.Arrivé à la deuxième heure de jeu, j’avoue avoir évolué dans un état semi-conscient et pour être honnête, je ne crois pas vraiment me rappeler des toutes dernières minutes de cette expérience éprouvante. Sans doute étais-je soumis à une sorte de Near Death Experience, mon corps astral flottant au-dessus du canapé à la recherche d’une hypothétique sortie de secours. Pourtant à mon réveil, je me rendis compte que j’étais devenu un autre homme et que ce Quiet Man s’apparenterait désormais à ma petite madeleine proustienne personnelle. Infusé par une douleur sourde durant trois heures et mon esprit divaguant dans de sombres limbes intemporelles, j’avais réussi à me réconcilier avec mes parents et leur mensonge originel, avec les services EDF de la petite bourgade de l’Hôpital-du-Gros-Bois où Sylvie B. se souvient peut-être vaguement de ce petit parisien aux mains maladroitement vagabondes. Je me surpris même à fredonner le célèbre refrain mielleux de cette horrible « scie » de Stil Loving You. Pour cette paix retrouvée, pour cette capacité à mesurer désormais ce qu’est vraiment la souffrance, The Quiet Man, je te remercie.

Expérimenté à partir d’une version dématérialisée.