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Warren Spector : ‘Epic Mickey 2 sera une comédie musicale’



Il y a peu, nous avons eu l’honneur de recevoir une invitation pour la présentation d’Epic Mickey – Le Retour des Héros, par Warren Spector lui-même. Notre reporter de l’extrême a donc quitté son terroir natal pour se trouver à Paris ce 27 mars, et plus précisément à la Gaîté Lyrique, dans le troisième arrondissement. 

Comment dire ? Warren Spector est pour moi le Spielberg du jeu vidéo, et l’un des esprits les plus créatifs du milieu ludique. Le gaillard, qui a commencé dans le jeu de rôles papier avec des titres tels que Toon et Spelljammer, a vite bifurqué vers le jeu vidéo, et la suite, nous la connaissons.

Son premier projet sera un certain Ultima Underworld, le premier Dungeon-crawler qui ne soit pas un damier artificiel, tout en 3D s’il vous plaît.

(NDA : un dungeon-crawler est un titre dont le seul but est d’explorer un donjon hostile, comme aujourd’hui Atlus s’en est fait une spécialité avec Etrian Odyssey et Persona nottament).

Second titre de légende à son palmarès, c’est System Shock, que l’on peut encore rejouer aujourd’hui en prenant une claque mémorable.

Suit, en 1998, Dark Project, premier du nom, qui comme sa première suite du reste propose au joueur un univers steampunk fertile et une liberté remarquable pour ce qui sera le premier jeu d’infiltration nouvelle génération : chaque objectif se négocie à son idée, selon son goût, de l’une des nombreuses façons possibles.

Mais LE jeu qui va l’ériger au rang de mythe, c’est évidemment Deus Ex : ce jeu de rôles cyberpunk s’appuyait sur un scénario riche, certainement l’un des meilleurs scénarios conspirationnistes du jeu vidéo, et y ajoutait un gameplay exceptionnel, qui permettait au joueur de résoudre un même problème selon plusieurs voies différentes, chacun pouvant alors, du gros bourrin à l’habile diplomate, vivre une expérience de jeu qui lui ressemble (ou qui ressemble à l’archétype qu’il s’est choisi pour sa partie, pour ceux qui ont fini le jeu plusieurs fois sous toutes les coutures). Là où Dark Project offrait de la liberté dans l’infiltration, la liberté dans Deus Ex est générale.

Une ambiance magnifiquement retranscrite, un univers immersif et riche, une histoire captivante encore qu’un peu convenue par moments, on décèle dans Deus Ex deux obsessions de Spector : la narration et l’immersion. Ainsi, le récit doit être au cœur du jeu, pas un simple prétexte, et le joueur doit pouvoir vivre l’expérience ludique de la manière de son choix, tout autant que la marquer de son empreinte, meilleur moyen que le jeu marque lui aussi le joueur. On ne discute plus, avec ce genre de jeux, de son score, mais de la manière dont on a joué : tout est dit.

Les jeux de Spector ont un point en commun : ils peuvent se rejouer, encore et toujours, et n’en finissent plus d’essaimer dans l’imaginaire des créateurs de jeu. Ainsi, difficile de ne pas voir en Splinter Cell un héritier de Dark Project…

La suite est moins rose : lorsque Spector produit Deus Ex : Invisible War, le jeu déçoit les critiques et la plupart des fans. Pensé pour consoles, le gameplay a perdu de sa richesse, l’aspect RPG également, les joueurs PC boudent une suite qu’ils attendaient comme le messie, et les joueurs consoles ne veulent pas d’un jeu mal fini. Même problème pour Thief 3, qui tourne en rond après deux opus grandioses. C’est oublier, concernant Deux EX IW que la patte Spector est là : le scénario est toujours aussi profond, l’univers pas moins, et surtout on a la liberté totale du choix de ses allégeances et de son avancée dans le jeu. Un jeu sans doute mal jugé, qui paie le fait de n’avoir pas été à la hauteur de son glorieux aîné.

A noter, par ailleurs, que s’il n’a pas contribué à Deux Ex Human Revolution l’an dernier, le jeu renoue avec le premier opus, sans retrouver toutefois l’impression de liberté grisante de la légende…

Ainsi, Spector quitte son studio, Ion Storm, et part fonder un nouveau studio bientôt racheté par Disney, qui cherche depuis longtemps un créatif de génie pour créer des jeux exceptionnels. Car si la multinationale produit des jeux corrects voire bons, elle n’a pas encore le jeu de génie qui la fera entrer dans la cour des grands. Quelques excellents jeux, comme Castle of Illusion, mais pas le jeu mémorable par excellence, comme a pu l’être… Deus Ex.

De son côté, Spector est nourri depuis l’enfance de dessins animés et de cinéma, c’est un fou de Disney, et il caresse enfin l’espoir de pouvoir réaliser un rêve de gosse : créer un jeu basé sur « la bande à Picsou », ou bien réaliser un remake de Quackshot, jeu culte de la Megadrive.

Pourtant, son premier jeu, sorti en 2010 sur Wii, concerne non pas Donald ou Picsou, mais bel et bien Mickey. Disney souhaite rappeler que son héros, décliné à toutes les sauces, est avant tout un héros d’aventures épiques, et qu’il se prête merveilleusement à l’exercice. C’est ainsi que naît Epic Mickey.

Pourtant, Epic Mickey est conspué par une grande partie de la critique : caméra capricieuse, Mickey trop lourd pour être correctement manœuvré, problèmes de rythme… D’autres, en revanche, retrouvent le grand Warren Spector. L’histoire, déjà, est touchante : Mickey, par magie, se retrouve embarqué au Pays de l’Oubli, dans lequel sommeillent toutes les créations oubliées de Walt Disney. Un contexte évidemment tragique, glaque, sombre, dans lequel Mickey doit ramener un peu de couleur grâce à la magie d’un pinceau magique.

 A travers ce jeu, divertissement familial par excellence, Spector rend hommage à tous ces oubliés, ces perdus, à tous ces personnages auxquels on le sent bien plus attachés qu’aux superstars d’aujourd’hui, et plus particulièrement à Osvald le lapin chanceux, qui serait aujourd’hui à la place de Mickey si une sombre histoire juridique ne l’avait ôté des mains de Walt Disney. Bien entendu, du même coup, les hommages à Disney, plus ou moins malicieux, foisonnent dans ce jeu chorale, le tout dans une direction artistique aux petits oignons, et malgré quelques défauts techniques plus ou moins rédhibitoires, même s’il n’est pas parvenu au statut de jeu de légende, Epic Mickey est certainement l’un des fleurons de la Wii, pour qui préfère un jeu profond, riche et artistiquement abouti à une énième variation sur la même recette, aussi appétissante soit-elle.

Sapristi, vous direz-vous, il devait nous parler de la prestation de Spector, et il nous fait une bio. J’espère que vous me pardonnerez cet élan de fanboy, mais je pense qu’il était indispensable de resituer, si besoin était, ou de présenter pourquoi pas l’un des acteurs majeurs du jeu vidéo aujourd’hui, hier et sans doute demain, de parler quelques instants de sa vision du jeu vidéo ou de ce qu’il y a apporté, tant ce 27 mars Warren Spector a été égal à lui-même, aussi génial que simple, et toujours, toujours, droit dans ses bottes. Yeah.

Ainsi donc, commençons si vous le voulez bien ce détour par les coulisses, et l’on a senti dès le départ que Disney attendait beaucoup de ce jeu, puisque c’est la Directrice Marketing de Disney France qui nous a accueillis. Bon, elle avait l’air de croire que Mickey était apparu dans le jeu vidéo en 2010, mais elle avait au moins le mérite d’être ravie du projet en cours, avant de nous annoncer la vedette de la journée, fraichement lauréat du « Live Achievment Award » (une récompense qui couronne une carrière particulièrement bien remplie) : Warren Spector.

Et d’emblée, le personnage s’est posé tel qu’il est, puisque ses premiers mots ont été pour le premier Epic Mickey, et pour régler quelques comptes. Pas pour lui, mais pour son équipe qui selon lui a travaillé dur et ne méritait pas les critiques parfois sévères qui se sont abattues sur elle (point que je lui accorde bien volontiers, et pour en avoir discuté avec d’autres professionnels présents, je ne suis pas le seul, à croire que l’on n’a fait tester ce jeu qu’à ceux qui ont perdu leur âme d’enfant !). En effet, Epic Mickey est la plus grosse vente de jeu vidéo pour Disney, ce qui n’est pas un bon argument en ce sens qu’un jeu qui se vend n’est pas nécessairement un bon jeu, et non je ne citerai pas Pokemon. En revanche, s’il admet avoir eu du mal à atteindre la cible des ados, il confirme son credo : faire des jeux pour tous, et le fait que 54% des joueurs américains soient des adultes corrobore cette vision. Finalement, de son propre aveu, Spector fait des jeux comme Pixar fait des dessins animés : pour tous. Toujours est-il que la satisfaction des joueurs a été bien réelle dans la plupart des cas, et qu’une suite était très demandée. Aussi, Spector a demandé, en substance, que l’on réhabilite son premier jeu, tout en confirmant qu’il avait bien perçu certaines critiques et entendait bien les corriger.

Pour Epic Mickey 2, Spector a eu le même objectif que pour le premier : tout le monde sait que Mickey est cool, on le voit partout, sur des serviettes, des caleçons, et je suis presque certain que quelque part dans le monde on trouve des préservatifs à son effigie, mais avant tout, Mickey est un héros, un aventurier, un détective, qui s’est toujours plongé dans des aventures… épiques.

Ainsi donc arrive ce nouveau jeu, qui sera disponible à la fois sur Wii, 360, PS3 et, surtout, PC. En effet, les joueurs avaient été frustrés, à raison, que le premier opus n’apparaisse que sur Wii, le tir est donc corrigé, la Wii restant lead-platform (le jeu est développé dessus puis adapté). D’ailleurs, sentant bien l’inquiétude des fans qui s’inquiétaient de voir un jeu développé sur Wii porté sur supports HD, le bon Warren, pas né de la dernière pluie, a naturellement précisé que de nouveaux modèles 3D et de nouvelles textures seraient employés sur ces machines. Ouf. Finalement, il n’y a que les consoles nomades qui seront oubliées, et c’est d’autant plus dommage que la Vita se prêterait à merveille à pareil jeu.

J’évoquais tout à l’heure la prise de conscience de Spector concernant les défauts du premier jeu, et elle est bien réelle.

Ainsi, il a d’ores et déjà été annoncé une caméra révolutionnaire, que l’on n’aura pas besoin de déplacer tant que l’on s’en tient à la quête principale : elle suivra toujours l’action à la perfection, sauf, donc, pour trouver les items cachés… Un joli défi, qu’il est capable de relever, et la suite nous prouvera qu’il l’a fait.

Ensuite, le premier jeu était muet, hommage aux jeux de l’époque. Celui-ci sera entièrement doublé et localisé. Sur ce point, on peut être plus reservé : l’hommage, donc, était plus fort avec un jeu muet. Spector s’est en tous cas justifié en précisant que Mario et Zelda ont toujours été muets, et que cela ne lui semblait pas devoir poser problème, mais il a réalisé que Disney était un monde à part, et que les fans voulaient entendre leurs personnages favoris parler. Pourtant, le fin mot de l’histoire n’est pas celui-là. Epic Mickey 2 sera un jeu-comédie musicale, avec des numéros chantés par les protagonistes pour faire avancer la narration. Pari diablement périlleux, mais qui peut se révéler terriblement séduisant, et l’extrait qui nous a été proposé, montrant le « méchant » en plein tour de chant, était absolument enthousiasmant.

Enfin, Spector est revenu à sa seconde marotte, après la narration : la liberté. Et le jeu part sur une idée simple : le jeu s’adaptera au comportement du joueur. Il sera ainsi possible de traverser le jeu comme un sauvage ou de ne blesser aucun adversaire, à son goût, mais toute décision ne pourra être modifiée que par le joueur lui-même. Ainsi, si vous modifiez un décor ou faites un choix, il n’y a que vous, revenant sur vos pas, qui pourrez faire machine arrière. Une promesse plus que séduisante, et qui se souvient de Deus Ex sait qu’il a parfaitement la possibilité de la tenir : dans un univers autrement plus violent, il était possible de terminer le jeu sans faire de victime…

Au rayon des nouveautés, le jeu ne sera évidemment pas en reste , avec de nouveaux lieux, et des anciens revisités, comme Osville, la ville d’Osvald le lapin chanceux. Ce dernier aura d’ailleurs un rôle éminent à jouer : il accompagnera Mickey en toutes circonstances, pourvu d’une télécommande qui peut désactiver les machines, et doté de la capacité de planer sur de courtes distances en portant la souris. Le jeu sera, de plus, enfin pourvu d’un mode multijoueur en coopération, dans lequel l’un des joueurs incarnera le sympathique rongeur.

On sent vraiment que Spector a de la sympathie pour Osvald, voire qu’il le préfère un peu à Mickey, ce qu’il confesse à demi-mots. Et lorsqu’il présente un dessin animé retrouvé par Disney dans leurs archives il y a quelques jours mettant en scène le lapin et perdu depuis plus de 80 ans, on sent une réelle émotion chez Spector, d’autant que nous étions les premiers à revoir cette œuvre depuis longtemps perdue. On notera d’ailleurs que l’humour dans les années 20 était beaucoup moins polissé que maintenant, même dans les dessins animés pour enfants (et aussi qu’Osvald est un bon loser, c’est peut-être ça qui le rend attachant)…

Pour bien situer ce qu’Osvald représente pour Disney, Spector nous a raconté une anecdote que je ne résiste pas au plaisir de vous narrer à mon tour : Walt Disney a inventé ce personnage avec un acolyte. Seulement, par contrat, ce dernier avait les droits sur Osvald et est donc parti avec. Disney, désemparé, a donc créé un rat, Mortimer. Mais le personnage n’étant pas très sympathique, il est devenu une souris : Mickey. Mais si Osvald n’avait pas quitté le navire, il serait aujourd’hui, sans doute, la nouvelle mascotte de Disney. A défaut, il a été ostracisé (il n’a fait sa réapparition dans les biographies de Disney que récemment). Mais cet élément historique devait revenir au bercail, et Disney, énorme trust aux ramifications tentaculaires, a il y a quelques années échangé Osvald contre… un animateur de l’une de leurs chaînes ! De grands nostalgiques, chez Disney.

Osvald viendra, qui plus est, accompagné de nouveaux personnages : sa compagne, Ortensia, de nouveaux ennemis, les Blotworx, et les Gremlins du premier volet, des lutins malicieux, auront une importance accrue.

Il était enfin temps de tester le jeu, qui sera dans les bacs le 26 septembre, et les promesses sont tenues : d’abord, pas besoin de toucher à la caméra. Ensuite, le jeu est beau, et même sublime, sur consoles HD, Mickey est moins inerte qu’auparavant, et le tout baigne dans une atmosphère de cartoon parfaitement réussie. Difficile de ne pas être happé rapidement, même en n’ayant que peu de temps pour jouer, par cet univers, par ce jeu… par le sens de la narration de Spector. Bien sûr, on peut toujours craindre de retrouver les aller-retour systématiques qui plombaient le premier opus, mais il reste une patte, une créativité, une ambiance que seuls les grands créateurs de jeu peuvent comprendre et produire.

Spector le dit lui-même : il aurait voulu faire du cinéma, mais il n’aurait pas pu produire d’œuvres aussi immersives que ce que permet le jeu vidéo. A travers ce média, il a posé différents jalons, tous centrés sur la possibilité de mettre le joueur au cœur de l’histoire, sans QTE ou autres accessoires, juste avec des idées, de l’envie, et un sens inné de ce support. Et quand on lui demande s’il aimerait reprendre la franchise Kingdom Hearts, qui s’essouffle et pourrait nécessiter d’être reprise jusque depuis ses fondations, il esquisse un sourire. Intérêt ? Espoir déçu ? Difficile à dire. Mais en tous cas, ce que ce jeu prouvera encore, c’est que le jeu vidéo est le support rêvé pour les conteurs.

Voilà, c’était donc une plongée dans la présentation d’un jeu, porté, cerise sur le gâteau, par un très grand nom du milieu. Nous espérons que cela vous a plu et n’oubliez pas: l’un de nos loisirs favoris est un formidable producteur de rêves.