- Article publié sur MaXoE.com -


En Guerre – « Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu »



« Taux de rentabilité exigée » : expression utilisée par la direction d’une entreprise pour justifier la fermeture d’un site ouvrier venant pourtant d’enregistrer un bénéfice record mais insuffisant par rapport au « risque du marché ». Pour l’entreprise Perrin Industries, à Agen, cela signifie tout simplement la délocalisation en Roumanie où la main d’oeuvre est à moindre coup, et surtout le licenciement de 1100 salariés. Salariés qui – pendant deux ans – ont accepté de lourds sacrifices financiers afin que leur usine puisse continuer son activité. Si eux ont respecté leur engagement, la direction – qui leur avait assuré le maintien de tous les emplois pendant au moins cinq ans – vient de rompre cet accord.

Grève, occupation des locaux, manifestations, actions ciblées, … Les salariés, menés par leurs leaders syndicaux, entrent en guerre. Une guerre épuisante et dans laquelle le rapport de force est biaisé dès le départ. Mais dans laquelle il n’est pas question de rendre les armes.

« Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu ». Inscrits sur l’écran noir, ces quelques mots du dramaturge allemand Bertolt Brecht qui ouvrent En Guerre annoncent toute la puissance du propos de ce film.

Trois ans après La Loi du Marché – film sur le combat ordinaire d’un homme victime du capitalisme dans sa forme la plus impitoyable et la plus absolue – Stéphane Brizé renouvelle son dispositif pour En Guerre. Allures de documentaire, caméra à l’épaule, acteurs non-professionnels (voire pas acteurs du tout) à l’exception de Vincent Lindon. Et bien sûr, au cœur de tout cela, un drame social. De la facilité me direz-vous ? Cela a fonctionné une fois, alors pourquoi ne pas recommencer ? La remarque est légitime et, effectivement, il était logique de craindre que ce nouveau film ne soit finalement qu’une Loi du Marché 2.0. Et pourtant, Stéphane Brizé réussit à dépasser son concept avec une oeuvre encore plus percutante. Et très cinématographique.

En immersion la plus totale du générique de début au générique de fin, le spectateur voit se succéder à l’écran le quotidien de ces ouvriers en lutte qui ne désirent qu’une seule chose : pouvoir continuer à travailler. Reportages télévisés, scènes de manifestation, négociations entre les syndicats et la direction de l’entreprise, occupation de l’usine… puis de nouveaux reportages, etc. Cet enchaînement a tout du documentaire. Mais il est au contraire d’une intelligence cinématographique inouïe grâce à une mise en scène tout en équilibre. Il n’y a pas un plan de trop, pas une baisse de rythme, pas une seconde inutile dans cette mécanique.

Si En Guerre est un film militant de par son propos, il ne tombe à aucun moment dans la simplicité ou le manichéisme. Jamais il ne condamne, que se soit les patrons, les syndicalistes jusqu’au-boutistes ou ceux qui, par épuisement et désespoir, cèdent finalement aux propositions de la direction. Son militantisme se traduit par l’émotion qu’il suscite, une émotion vive, profonde et constante. Une émotion que l’on retrouve chez tous les personnages, qu’ils soient ouvriers, cadres, PDG ou encore politiques. Une émotion si juste que le jeu d’acteur est dépassé par la sincérité de chacun.

Tout comme La Loi du Marché, En Guerre est un film indispensable et se doit d’être vu par le plus grand nombre (à commencer par nos représentants). C’est en tout cas l’avis de son acteur principal, Vincent Lindon, qui se fond tellement dans le paysage que l’on oublie qu’il n’est pas issu du même monde que ses partenaires de jeu, ou plutôt de lutte.

Et s’il prend l’envie à notre chef de l’Etat (et pourquoi pas ses collaborateurs) de voir cette oeuvre essentielle, j’espère qu’il se prendra le même uppercut au ventre et qu’il ressentira le même malaise que j’ai pu ressentir lors de la scène finale absolument magistrale et désespérée. Et que, tout comme moi, il en aura la nausée.