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Everybody Knows – Toute vérité est bonne à dire



Au cœur d’un vignoble espagnol qu’elle a quitté des années auparavant pour l’Argentine, Laura revient assister au mariage de sa sœur, accompagnée de ses deux enfants. Son mari est, quant à lui, resté à Buenos Aires pour le travail. L’ambiance est aux retrouvailles, celles de la famille et des amis d’enfance, et surtout à la fête. On danse, on boit, on vit. Mais cette insouciance sera de courte durée. Un drame survient brutalement. Un drame qui va réveiller et exacerber des tensions et ressentiments trop longtemps enfouis.

Au sens propre comme au figuré, Asghar Farhadi installe les rouages de sa mécanique parfaitement maîtrisée dès les premières images. Un clocher et son mécanisme filmés de l’intérieur, puis une main gantée découpant avec précaution des articles de presse relatant tous le même fait divers. Et la tension naît. De façon latente, presque imperceptible. Une tension que l’on oublie presque durant la première partie du film, celle du retour de Laura dans son village natal, mais qui ne disparaît jamais totalement. Elle demeure, dans la joie des retrouvailles, dans l’insouciance de ce mariage festif, dans les regards complices qu’échangent Laura (Penélope Cruz) et Paco (Javier Bardem), son amour de jeunesse. Et là est tout le génie de la mise en scène d’Asghar Farhadi : si le spectateur sait que le drame s’installe insidieusement, il ne sait ni quand, ni comment tout va basculer dans la tragédie la plus totale et la plus cruelle. Le trait n’est jamais forcé, tout est seulement suggéré.

Après cette première partie magistrale de maîtrise, et une fois le drame produit, le cinéaste iranien déploie tout son talent de marionnettiste à filmer au plus près les rancœurs qui animent chacun de ses personnages, à les plonger dans les Enfers de leurs secrets et de leurs non-dits. La confiance s’amenuise, les masques se fissurent et la tension, jusque-là diffuse, est exacerbée. Le drame rencontre le thriller dans un scénario à tiroirs qui sème le doute autant qu’il multiplie les révélations. Peut-être parfois à l’excès car certaines d’entre elles, pas suffisamment exploitées, laissent le spectateur sur sa faim. Mais ce léger défaut est assez vite oublié tant le cinéma est ici virtuose, autant dans la construction de son scénario que dans sa direction d’acteurs – l’atout maître du réalisateur. Des acteurs sans fard et poussés dans leurs extrêmes limites, à commencer par Penélope Cruz et Javier Bardem, dont le cinéaste a réussi à mettre en lumière toute la fragilité, et qui contraste avec la solidité d’autres, notamment Eduard Fernández ou encore Bárbara Lennie, plus discrets mais pas moins bluffants.

Si Asghar Farhadi confirme ce que l’on sait déjà de lui en tant que scénariste et directeur d’acteurs, il révèle dans Everybody Knows un regard qu’on lui connaissait moins. Les vignobles espagnols, baignés de lumière, sont sublimés par son œil. Et sa caméra n’a jamais été aussi fluide et légère que dans cette magnifique scène du mariage dans laquelle les corps dansent, s’enlacent, rient et chantent dans un moment où le bonheur est omniprésent et le temps suspendu.