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Moi, Daniel Blake – « Je suis un homme. Je suis un citoyen. Rien de plus. Rien de moins »



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moi-daniel-blake-affiche« M. Blake, pouvez-vous marcher plus de 50m ? Pouvez-vous lever un bras comme pour mettre un objet dans votre poche ? Pouvez-vous lever un bras comme pour mettre un chapeau sur votre tête ? Pouvez-vous…? »

59 ans. Charpentier. Une crise cardiaque. Et Daniel Blake doit justifier de son état pour continuer à toucher ses indemnités maladies. Mais dans un pays où les organismes d’aides sociales ont été privatisés, ça n’est pas un médecin que rencontre Daniel Blake, mais un « professionnel de santé » chargé d’évaluer son état. En lui demandant s’il est en capacité de mettre un chapeau sur sa tête, ou d’appuyer sur une touche de téléphone. La conclusion est implacable : Daniel Blake a deux bras et deux jambes valides. Bien que cardiaque il est déclaré apte au travail par l’organisme, contre l’avis de ses médecins. Il n’a plus droit aux aides. Et doit s’inscrire comme chômeur avec obligation de rechercher un emploi afin de toucher une allocation, sous peine de sanctions.

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Vous pensez avoir affaire à une dystopie ? Non. Ken Loach nous parle ici de son Angleterre, cinquième puissance mondiale, et dont la politique d’Etat-Providence a peu à peu été sapée depuis l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher à la fin des années 1970. Cette société kafkaïenne est bien réelle. Une société où l’on vous ponctionne 40% de vos aides sociales si vous avez le malheur d’arriver ne serait-ce que quelques minutes en retard à votre rendez-vous Pôle Emploi. Une société où l’on vous menace de suspendre vos aides si vous rédigez votre CV à la main. Une société qui considère comme des « parasites » celles et ceux qui ont perdu leur emploi et peinent à en retrouver un. Une société qui fait la chasse à ces « parasites », afin de les pousser à sortir du système. Pourquoi ? Parce qu’ils ne sont pas rentables.

Il est extrêmement difficile de ne pas crier à la révolte et à l’injustice devant ce film, en se demandant comment l’Etat – dont le rôle est normalement celui de réguler les injustices en aidant les plus démunis – a pu se désengager à ce point. En privatisant à outrance. Et en démantelant le service public. Et encore une fois, l’histoire de cet homme confronté à l’absurdité du système n’est pas une fiction, mais bien la vie de milliers de personnes aujourd’hui. Et pas seulement en Angleterre.

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La caméra de Ken Loach frappe fort. Mais elle frappe juste. Malgré le sujet, il n’y a ni pathos ni misérabilisme, mais au contraire beaucoup de dignité et de pudeur. La dignité de ces oubliés du système. Et leur solidarité. C’est ainsi que Daniel Blake, qui n’a déjà plus rien, va venir en aide à une jeune mère célibataire, Katie. Et Ken Loach de nous montrer que les indigents sont bien les plus humains de tous, alors que la société tente à tout prix de les déshumaniser. Si le film est violent par son propos et par certaines de ses scènes (celle à la banque alimentaire, avec cette file interminable), il est également plein d’humour. Et surtout d’espoir. Espoir en la solidarité entre les êtres, en leur courage. Et en leur force face à ce système qui tente de les broyer, que Ken Loach traduit par une scène magnifique, lorsque Daniel Blake se met à taguer le bâtiment de Pôle Emploi afin de demander à être écouté, et qu’il est applaudit et acclamé par des passants.

Certains ont reproché à Ken Loach de ne plus faire de cinéma. Comme si un film devait forcément répondre à des codes esthétiques particuliers. Parfois, le fond se suffit à lui-même. Et c’est le cas chez ce réalisateur qui – avec son scénariste (et même alter-ego) Paul Laverty – s’est toujours consacré au fond. Un fond qu’il sert par des acteurs – tous ici d’une grande justesse – non professionnels ou venant d’un autre milieu que celui du cinéma (Dave Johns, l’interprète de Daniel Blake, est un humoriste de stand-up, c’est dire !). Un fond qu’il sert par une mise en scène sobre et ultra-réaliste. Et qui d’ailleurs a toujours été sa marque de fabrique.

Le générique touche à sa fin. Les lumières de la salle se rallument. Et le silence règne. Pas un mot. Personne ne chuchote. Personne ne se parle. Tous sont encore sous le choc des images. Moi-même, je suis en état de choc, les yeux pleins de larmes et plus un seul mouchoir. Ce silence parle de lui-même. C’est un signe de respect envers Ken Loach. Un signe de respect envers Daniel Blake. Un homme, un citoyen. Rien de plus. Mais rien de moins.