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La BD du jour : Chaplin en Amérique de Laurent Seksik et David François (Rue de Sèvres)



Il y a biographie et biographie. Parfois ennuyeuses et scolaires, trop soucieuses du verbe et du cadre, parfois savoureuses et rythmées, qui dimensionnent leur personnage. Dans Chaplin en Amérique, Laurent Seksik et David François s’inscrivent dans cette seconde proposition. Il le fallait pour rester à la hauteur du personnage dont ils retracent le parcours et quel parcours !

Chaplin fait partie des artistes majeurs du cinéma d’avant seconde guerre mondiale. La trajectoire improbable d’un jeune garçon né dans un quartier populaire de Londres, autour des odeurs de vinaigre émanant d’une proche usine de saumure et à proximité d’un abattoir. Un de ces lieux dont on espère sortir un jour pour ne plus s’y perdre. Octobre 1912, Charles Spencer Chaplin embarque en fond de cale direction New York, avec des envies et beaucoup de certitudes. A Londres il avait conquis un petit succès d’estime qui lui donne l’espoir d’un avenir plus grand. Il sera artiste, se produira sur Broadway et occupera la tête d’affiche. Adulé, riche, il aura enfin accompli ce qu’il définit comme une destinée. Les débuts sont pourtant hésitants, et l’ambitieux Chaplin essuie la foudre des spectateurs venus le voir sur scène au Lincoln Theatre. La presse elle-aussi reste insensible au talent du jeune acteur. Un coup de pouce vient briser la sinistrose ambiante lorsque, à Los Angeles, un producteur influant cherche un remplaçant au grand comique Ford Sterling. Il y débarque en plein tournage et s’y fait d’abord rabrouer avant qu’un coup du sort lui offre enfin ce qu’il était venu chercher : « Eh, toi là… Oui, toi, l’Angliche. Qu’est-ce que tu fais là à ne rien faire ? (…) Tu crois que je t’ai fait venir de New York pour rien, Chaplin ?!! Va te préparer, change-moi ce costume à deux balles ». Chaplin file fissa chez le costumier pour sortir avec la dégaine qui fera sa gloire. Et les premières prises sont retentissantes. Au point de faire dire au réalisateur qu’il tient là une perle rare. Tout s’enchaîne alors très vite pour le petit anglais à moustache. Une période idyllique que la première guerre mondiale vient perturber. Lui, l’Anglais triomphant, tout juste âgé de 27 ans ne répondrait-il pas aux appels de la Nation dans un conflit qu’il ne peut ignorer ?

Adapter en bande dessinée la biographie de Charlie Chaplin n’est pas mince affaire. Cela nécessite de prendre la mesure du personnage pour ne pas l’enfermer dans des cases. Dépasser le cadre formel pour mettre en avant son tempérament bouillonnant. Pour cela Laurent Seksik, déjà remarqué sur la mise en scène de deux personnages majeurs de la culture mondiale, Zweig et Modigliani (Les Derniers jours de Stefan Zweig et Modigliani, prince de la bohème, respectivement publiés en 2012 et 2014 chez Casterman) et David François qui avait laissé forte impression sur Un homme de joie (Casterman), choisissent une couverture résolument à la hauteur du personnage. Chaplin accroché à la flamme de la statue de la Liberté. Tout un symbole, appuyé dans les planches qui suivent par un découpage ultra-dynamique dans les scènes d’action, rythmées par des pauses axées sur les réflexions ou les tensions traversées. Et ça fait mouche ! Un premier volet qui reprend le début de carrière d’un acteur incontournable, dans une adaptation qui lui fait tout honneur. A suivre !

Laurent Seksik et David François – Chaplin en Amérique – Rue de Sèvres