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Invictus, le rugby comme réconciliation d’une nation



Le 30 juin 1991 le régime de l’apartheid, sous l’impulsion du président sud-africain élu, Frederik de Klerk, est abrogé. Nelson Mandela vient tout juste d’être libéré (11 février 1991). Invictus part de là, en filmant le cortège de voitures qui traverse le pays. Sur le premier plan la caméra pose le noeud du problème puisque la route sur laquelle passe l’ancien prisonnier du centre pénitentiaire de Paarl, sépare le terrain sableux de quelques enfants noirs jouant au football du terrain d’entraînement verdoyant d’une équipe de rugby blanche. Si la joie l’emporte chez les enfants au passage du cortège, la mine des rugbymen laisse entrevoir le malaise qui plane sur la population blanche.

Invictus veut engager une réflexion sur l’après-apartheid, le pardon et la réconciliation, thèmes chers à Clint Eastwood. Le sport, tout comme dans Million Dollar Baby, forme un cadre mais n’est pas le coeur du sujet, en ce sens il permet le développement de l’intrigue et sert de support ou de révélateur aux sentiments. Le rugby occupe cependant une place de choix dans Invictus. D’un point de vu technique on relèvera le choix, contestable, de faire jouer par des acteurs les scènes de matches. Si on comprend volontiers le souci du réalisateur de présenter l’intensité des chocs et de l’engagement, le rendu lui, est loin d’être réaliste. Le suivi de la compétition match par match, apporte peu au scénario et allonge inutilement le film. Le développement des intrigues secondaires, comme la relation entre Mandela et sa fille, ou l’engouement (évoqué mais pas creusé véritablement) autour de Chester Williams, seul joueur noir de l’équipe, aurait peut être été préférable et plus dans l’esprit de ce que sait faire de mieux le réalisateur. Au contraire de quoi le film vire parfois au documentaire. Invictus ne doit pas pour autant être boudé loin s’en faut. Le film tient par l’interprétation possédée de Morgan Freeman dans le rôle de Mandela et par la relation entretenue avec François Pienaar (capitaine des Springboks joué par Matt Damon) qui s’impose comme le ciment de la réconciliation de la nation. On ne saurait tenir gré au réalisateur de s’être attaqué à ce sujet sensible. On pourrait par contre lui reprocher, quinze ans après, de ne pas évoquer certains des problèmes rendus public depuis cet épisode, comme le racisme latent au sein même de la sélection sud-africaine (la prise en compte de la biographie de Chester Williams, publiée en 2002, aurait sûrement permis de faire monter la dramaturgie), ou bien d’ignorer les problèmes actuels de ce pays, en proie à des tensions sociales, raciales et économiques sans précédents. Invictus pour toutes ces raisons n’était pas le sujet le plus facile à aborder pour Clint Eastwood.

A voir :
– Invictus de Clint Eastwood – 1 DVD Warner Bros – 128 mn – 2010
– Bopha ! de Morgan Freeman – 1 DVD Paramount – 120 mn – 2005

A lire :
– Mark Keohane – Chester (en anglais) – D.Nelson (éditeur) – 2002 – 223 pages 
– Mark Keohane – Springbok Rugby: The Inside Story of South Africa’s Rugby Controversies – Zebra press – 2004 – 245 pages
– Nelson Mandela – Conversations avec moi-même – Editions de la Martinière – 2010 – 512 pages
– Nelson Mandela – L’apartheid – Edition de Minuit  – 1965 – 128 pages

A écouter :
– Johnny Clegg – Third World Child – Capitol – 1987
– Brotherhood Of Breath – Travelling Somewhere – Cuneiform – 2001