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4 cases en plus : Melvile Tome 2, l’interview de Romain Renard

Melvile, ville nichée dans un lieu improbable, quelque part en Amérique du nord ou ailleurs. Des âmes parfois meurtries, des hommes et des femmes qui traînent avec eux des passés complexes qui espèrent trouver-là, dans le calme d’une ville sans histoire de 478 âmes, le moyen de se reconstruire, d’avancer et peut-être d’espérer.

Après avoir découvert les premières planches de ce second opus de Melvile, nous vous proposons l’interview de Romain Renard. Une interview au cours de laquelle il revient notamment sur la construction de l’univers « Melvile », sur la manière de dépeindre ses personnages, de décrire les cadres et sur cette envie et ce plaisir de travailler sur des approches pluridisciplinaires (musique, dessin, vidéo, réalité augmentée) qui donnent une réelle dimension et une vraie profondeur à Melvile. Un univers qui restera et qui vivra même après la fin de cette série…

 

Interview de Romain Renard

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Peux-tu nous dire ce qu’est Melvile, cette petite bourgade nichée aux abords d’une forêt quelque part en Amérique du Nord ?
C’est une petite ville qui, pendant des années, a vécu de l’exploitation du bois. Maintenant les scieries Tréjean ne sont plus qu’un lointain souvenir et la petite ville est devenue un village où, l’été, apparaissent quelques touristes citadins se fabriquant, avec leurs cannes à pêche et leur bottes de grandes marques, leur fantasme de vie sauvage le temps d’un week-end. C’est une petite ville tranquille et, mis à part ces quelques touristes, on n’y croise pas beaucoup d’étrangers. On pourrait dire qu’elle vit légèrement repliée sur elle-même.

Les deux premiers portraits que tu présentes, Samuel Beauclair dans le premier tome et Saul Miller dans ce second, décrivent des êtres aux lourds passés, un peu à un tournant de leur vie et qui se doivent aussi d’engager une introspection pour avancer. Peux-tu nous parler de ton intérêt pour ces personnages complexes qui se révèlent finalement humains et attachants ?
J’enfonce une grande porte ouverte, mais rien n’est simple dans la vie, c’est une évidence. Quand on raconte l’histoire d’un personnage, on ne peut pas se limiter aux traits de personnalité qui l’aideront dans une situation critique. J’aime croire que mes personnages ont vécus avant moi, j’aime écrire leur passé. Je n’utilise que vingt pour cent de leur passé. Mais les quatre-vingt restant influencent leur manière de parler, de se mouvoir, racontent également leurs silences, leurs réactions. Si je ne connaissais que la partie immergée qui me sert à l’histoire, je pense qu’à un moment donné, le lecteur n’y croirait plus. Et puis, dans la « vraie » vie, on met du temps à bien connaitre quelqu’un. Parfois après des années, un pan entier d’une histoire personnelle refait surface, et vous décodez cette personne d’une autre manière. C’est ce que j’aime raconter. Rien n’est simple. Il y a des sous-couches, il y a notre terreau, nos racines et il y a ce qu’on aimerait projeter au regard des autres. Parfois je me fais avoir à mon propre jeu. Comme je connais bien mes personnages, il m’arrive de bloquer sur une situation. Je me dis qu’il ne devrait pas réagir comme ci ou comme ça même si ça m’arrangerait bien. Ce qui est amusant ce n’est pas de construire une situation et de la raconter par des personnages qui seraient en quelque sorte des marionnettes, mais plutôt d’écrire l’histoire d’un homme et de le placer devant une situation imprévue. Et d’imaginer sa réaction et ce qui découle de ses décisions.

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Peux-tu nous parler de la manière dont tu travailles sur l’univers de Melvile ? As-tu dessiné une carte précise de cette bourgade ? As-tu rédigé des fiches précises de chaque personnage qu’ils soient principaux ou secondaires ? As-tu élaboré une frise historique pour permettre à chaque évènement de s’emboîter avec les autres ?
J’avais déjà dessiné la carte pour le précédent et je m’en étais peu servi. Pour L’histoire de Saul Miller, cette carte est devenue essentielle pour moi. À tel point qu’on l’a intégrée sur les pages de gardes du livre. Comme pour mes personnages, je prends le temps d’imaginer leur environnement. Un lieu qui a existé bien avant l’histoire que je mets en scène. Et en cela, la ville, ou l’univers, influence les caractères des personnages. Ça ne se voit pas au premier regard, mais c’est là. Et je sais à chaque fois où mes personnages se situent. Ce n’est pas un décor. D’ailleurs, dans l’application qui accompagne le livre, cette carte est au centre d’histoires supplémentaires. Il y a des légendes, il y des anciennes coutumes, nous racontons tout cela dans l’accompagnement numérique. Et comme pour la ville, comme pour mes personnages principaux, les secondaires aussi, ont leur propre passé. Vous les découvrirez sur l’application dès le 22 janvier !

Dans chaque tome tu prends le temps de poser le cadre, le contexte. Tu travailles sur des tempos volontairement lents. Même si l’univers peut faire penser à une série comme Twin Peaks, peut-on dire que finalement tu es plus proche d’une construction littéraire ?
Je suppose. Je suis un grand lecteur. Mais l’idée n’est pas d’adapter une forme romanesque à la bande dessinée, mais plutôt d’essayer de voir jusqu’où le médium bande dessinée peut aller. Il y a un livre qui m’avait particulièrement frappé à sa sortie, je pense que c’était en 94 ou 95. Il s’agit de « L’homme qui marche » de Taniguchi. Ça m’a littéralement retourné. Je me disais, « alors comme ça on peut faire un livre qui raconterait pendant une centaine de pages l’histoire d’un homme qui marche ». Et, au-delà de ça, dans ses silences, dans ses contemplations, je faisais connaissance avec quelqu’un. À la fin du livre, je le connaissais. Le temps, c’est notre allié. Il faut prendre le temps pour bien connaitre quelqu’un.  

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Tu laisses planer des doutes sur des situations et des contextes de l’histoire. Est-il essentiel pour toi que le lecteur, en plus de se forger son imaginaire à partir de ce que tu apportes comme matière, construise sa propre interprétation de ce qui n’est pas dit ?
Oui. C’est dans ce flou que chacun peut faire son expérience de lecture. Quand j’ai personnellement cette expérience de lecture, j’aime bien me dire « l’auteur ne le dit pas, mais moi je sais ». Et puis on y revient parce que quelqu’un d’autre propose une hypothèse différente. Là encore, ça fait vivre les personnages et leur environnement.

Dans ce second volet tu abordes le thème de l’astronomie. Le premier traitait de la filiation. Chaque opus est-il un peu le reflet de son auteur, de ses préoccupations du moment, de ses interrogations ?            
J’ai l’impression que les livres sont les reflets d’un auteur, bon, là encore j’enfonce une porte ouverte, mais c’est vrai. L’astronomie m’a toujours fascinée. En fait c’est plutôt la notion du temps astronomique qui me fascine. Comprendre que nous remontons le temps chaque fois que nous regardons le ciel me laisse rêveur. C’est là, autour de nous, nous en faisons partie et le plus beau, c’est que nous ne les rejoindrons jamais. Nous ne verrons jamais les mondes que ces étoiles lointaines éclairent. La lumière de certaines a mis plusieurs millions d’années avant de nous parvenir. Un temps où l’homme n’existait pas encore. Elles nous racontent ce temps dont nous étions absents, On ne peut que rêver en les observant. On ne peut que les fantasmer.

Les personnages que l’on rencontre dans Melvile sur chaque tome sont-ils amenés à se rencontrer par la suite ?
Oui. C’est déjà le cas dans celui-ci et c’était déjà le cas dans le précédent. Si vous reprenez le premier volume, vous remarquerez dans la scène du concert, derrière les personnages principaux, il y a déjà les chasseurs. Pareil pour les deux jeunes ados qui volent dans la petite épicerie, on le retrouvera dans le troisième. Ce sont des personnages très importants.

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D’où te viens cette idée d’univers protéiforme nourrit aussi bien par le dessin, la vidéo, la musique et tous les contenus annexes ?
Parce que c’est ce que je fais. J’ai toujours fait de la musique en parallèle, et la vidéo m’a toujours attiré. Je me considère plus comme un narrateur, un raconteur d’histoires, plutôt qu’un auteur de bandes dessinées. Nous avons beaucoup travaillé sur la nouvelle application, « Chroniques de Melvile ». Quand vous la téléchargerez, vous aurez un aperçu plus large de la région, il y aura plus d’une vingtaines de nouvelles à découvrir, sous forme de vidéos, d’illustrations ou de textes. On pourra même habiter Melvile en achetant une maison ! Le prix est relativement abordable, il s’agira d’écrire une bonne histoire. Qu’est-ce que vous imaginez dans cette maison, qui y vit ? Si votre histoire est retenue, alors vous devenez résidant permanant de la ville. Et les prochains qui voudront venir y vivre, devront tenir compte de votre histoire. Il y aura déjà une maison à vendre dès la sortie, le 22.

T’engager dans la construction de Melvile tout en crédibilisant et en renforçant l’univers qui en découle suppose aussi de t’affranchir d’autres projets que tu aurais pu réaliser. As-tu lié aujourd’hui une grande partie de ta carrière à venir à cette bourgade de 478 âmes ?
Il y aura un troisième Melvile qui conclura toutes les histoires décrites en bandes dessinées et sur l’application. Et ça s’arrêtera là. J’ai d’autres projets en tête, certains sont bien avancés, d’autres restent encore  à l’étude. Pour l’instant je n’ai pas encore fini de raconter l’histoire de cette petite ville. Entre le deuxième et le troisième volume à venir, nous allons continuer à nourrir la ville d’histoires sur l’appli. Cela fera peut-être l’objet d’une publication dédiée, mais rien n’est  fixé à ce jour. À l’heure actuelle les possibilités de narrations que propose le numérique sont incroyables. Nous sommes au tout début de ces « nouvelles écritures » On explore le médium. Il reste tout à inventer. Encore et toujours, tout est une question de temps.

Peux-tu nous dire ce que sera Melvile dans les années à venir ?
Une ville habitée.

(L’application « Chroniques de Melvile est offerte et compatible IOS et Android.
Téléchargeable sur l’app store et google play ainsi que sur Melvile.com
Disponible à partir du 22 janvier. )


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