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La BD du jour : C’est la jungle ! d’Harvey Kurtzman (Wombat)



Histoires loufoques, dans lesquelles l’Amérique s’exprime parfois avec désolation, pour mettre en avant l’esprit non humaniste mais cette loi du plus fort qui accouche de l’approbation du plus grand nombre. Car même les plus démunis, ceux qui possèdent peu de chance de voir leur sort s’améliorer croient dur comme fer en leur avenir…

Thelonius Violence est du genre détective public. Il aime les femmes et lorsqu’il les reçoit afin d’écouter leurs petites misères, il le fait dans un club de jazz bercé par l’énergie communicative d’une bande dixieland, dans un cadre où le charme agit et où les coupes de champagnes tintent à gauche et à droite. Un cadre qui favorise forcément les rapprochements et les échanges de bons procédés… Le milieu des affaires n’a jamais été un long fleuve tranquille dégoulinant d’humanisme. La recherche du profit à tout prix, de la rentabilité maximale et des marges exponentielles font parties du rêve de ces businessmen peu soucieux de leur prochain. Mais parfois le pire des entrepreneurs sans âme peu trouver encore plus véreux et plus radin que lui… Dans les westerns les indiens sont parfois plus forts que les cowboys et les boissons fortes sont parfois remplacées par des soupes chaudes. Rien de bien nouveau dans cet ouest profond où le soleil brille toujours entre deux averses… Le sud du sud, terres baignées de cette moiteur fétide qui ramollit les cerveaux. Des hommes épargnés du savoir et de l’intelligence, assis chaque jour sur le même rebord de fontaine, guettent le passage d’une femme aux formes avenantes. Un jour pourtant la belle n’effectue pas sa marche libidineuse devant ces regards en attente. Le bel ordonnancement des choses, brisé à jamais, pourrait accoucher des pires représailles. Quatre récits loufoques dans une Amérique détonante.

Le Jungle book de Kurtzman sort à une période où l’auteur traverse des soucis d’ordre matériel. Comme le rappelle Denis Kitchen dans une longue présentation qui replace l’album dans le contexte de l’époque. Kurtzman avait construit son succès avec MAD, un magazine parodique qui trouva très vite sa place dans les kiosques américains. Mais faute d’accord sur les parts de MAD que réclamait Kurtzman, qui n’était qu’ « employé » même si le dessinateur présidait aux choix éditoriaux, il claqua la porte du magazine. Passé par Trump et Humbug, il travaille en 1959 sur le Jungle Book, un recueil de quatre histoires, publié au format livre qu’il propose à Ian Ballantine. Sûrement trop novateur pour les lecteurs américains cet essai sera un échec. Reste donc ces quatre récits, Thelonious Violence, Le cadre supérieur au complet de flanelle grise, Frénésie sur la prairie et Décadence dégénérée. Même si pour saisir toutes les subtilités de ces quatre nouvelles graphiques mieux vaut être baigné de culture américaine des années 50, le ton parodique, l’humour constant qui se dégage de chaque planche, la description au vitriol de la société américaine ont fait du Jungle Book un album reconnu dans l’univers du comics US. Publié pour la première fois en France en 1997 aux Editions Albin Michel, la nouvelle mouture est identique à la version publiée en 2014 chez Dark Horse. Elle s’appuie notamment sur une restauration complète des planches d’origine, et, pour la version française une police de caractères plus « lisible ». Plus qu’un simple témoignage, C’est la jungle fait partie de ces albums qui méritent une (re)lecture attentive et qui n’a pas fini de nous apprendre des choses plusieurs décennies après sa publication. Un must !

Harvey Kurtzman – C’est la jungle – Wombat