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La BD du jour : Panama Al Brown d’Alex W. Inker et Jacques Goldstein (Sarbacane)



Il est passé sur les rings comme une comète, brillante mais perdue dans l’immensité d’un univers dont il aurait aimé s’affranchir. Panama Al Brown, l’album, retrace la carrière d’un boxeur hors pair, amant de Cocteau, passionné de jazz, de danse, de l’esprit de la nuit avec tout ce qui va avec comme excès. Une biographie d’une grande maîtrise graphique pour replonger le lecteur dans les années 30.

Un journaliste sur le déclin, gangréné par des problèmes personnels, se voit offrir par son patron une dernière chance d’occuper la « Une ». Avant cela il est envoyé couvrir l’entrée à l’académie française de Jean Cocteau. Arrivé en retard il ne peut saisir toute la portée du discours de l’écrivain intronisé. Il se résout alors à sortir au dehors où il tape la causette avec un certain Georges Peeters, journaliste sportif qui fait germer en lui l’idée d’un fameux  article de « Une » retraçant la vie du boxeur Al Brown, amant de Cocteau, sportif à la trajectoire fulgurante. Il repart de l’Académie française avec une liste de personnes à rencontrer et de lieux à découvrir pour dresser le portrait de celui qui était parvenu au sommet de la boxe dans la catégorie poids mouche…

Il est des destins qui ne se maîtrisent pas. Panama Al Brown a été boxeur. Il a même touché le graal dans des victoires épiques contre des adversaires sensés le mettre très tôt au tapis. Pas forcément musculeux comme pouvaient l’être d’autres boxeurs – et pour cause, il ne s’entraînait presque pas, au point de perdre son souffle lorsque ses combats s’éternisaient – il avait pris l’habitude de transporter vers les étoiles ceux qui se présentaient à lui dès les premiers rounds. Grâce à une droite remarquable il enflammait les salles, du Panama où il né et où il décrocha sa première gloire, en passant par le New York enflammé des speakeasies et au Paris qu’il a tant aimé. Panama Al Brown n’était pas un boxeur classique dans la lignée des Joe Louis ou Rocky Marciano, il devint même, selon la légende, boxeur malgré lui, lorsqu’il fut, un jour que des gamins s’en prenaient à lui, obligé de faire parler ses points. Dans ce récit très habilement construit Alex W. Inker, remarqué pour son précédent opus Apaches, donne à voir la trajectoire fulgurante et les coulisses d’une légende de la boxe des années 30.

Boxeur gay, adepte du jazz (il jouait de la batterie ou du sax), danseur de claquettes, addict à la cigarette et au champagne, Panama Al Brown n’avait rien pour réussir, là où la boxe demande une hygiène de vie irréprochable, un entrainement constant et le moins d’écarts possibles. Le dessinateur parvient à transcrire toute la dramaturgie de la trajectoire du boxeur, de ses victoires retentissantes jusqu’à ses travers et sa déchéance programmée. Il le fait en restant au plus près de son personnage, pour mieux comprendre ses blues, cette envie de croquer une vie qui devait se vivre au jour le jour. L’auteur, conseillé ici par Jacques Goldstein, construit un récit ultra-documenté, qui passe par les lieux, les personnages qu’a connus Panama, par les moments de vie passés en dehors du ring, dont cette rencontre et cette aventure partagée avec Jean Cocteau qui devait lui délivrer plusieurs textes poignants. Si le parcours de Panama est décrit avec force de précision, il faut souligner toute la richesse du background construit par les deux auteurs, de ce Harlem noir et pauvre dans lequel le boxeur aimait à se perdre à la recherche d’un bar qui voulait bien l’accueillir en passant par le Paris surréaliste des années 30, qui, dans cet entre-deux guerres où les hommes et les femmes tentent d’oublier la boucherie de la guerre et vivent avec un nécessaire détachement pour profiter de l’instant dans ce qu’il a de plus sensible et de plus magique. Un album incontournable.

Alex W. Inker et Jacques Goldstein – Panama Al Brown – Sarbacane