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Focus FFF : cultivons l’imaginaire !

Les univers imaginaires nous portent toujours plus vers des ailleurs foisonnants qui alimentent bien souvent notre machine à rêve. Fantastique, Fantasy et Fable déclinent ainsi leur potentiel pour faire de nous, l’espace d’un récit, le témoin d’une aventure vécue de l’intérieur. Observateur de ce qui se joue devant ses yeux stimulés par un dessin qui repousse toujours plus loin son expressivité, le lecteur qui décide de se laisser happer dans le monde parallèle qui de dresse devant lui peut sans peine envisager les stimuli procurés par le grand voyage à venir. Un voyage qui ne le laissera pas totalement indemne, qui le rapprochera peut-être aussi de cet entre-deux dangereux et pourtant ô combien attirant…

 Noor une

Noor

La légende de Noor de Corbeyran & Picard – Delcourt – 2015

La lune brille au-dessus d’une luxuriante et sauvage forêt. Naviguant de branches en branches une jeune femme indigène se meut avec dextérité pour regagner la terre ferme à hauteur de ce qui se révèle être un lieu de culte. Entrée dans ce lieu de prière et de vénération, la pulpeuse adoratrice entame un dialogue avec Hooskan, l’esprit protecteur de la jungle qui lui révèle l’urgence de la situation : Comme tu le sais les forces fondamentales de la Déesse Creuse sont très affaiblies depuis que les liens ont été rompus entre les hommes et les esprits… Il existe un pont entre le passé et le présent… Tu dois l’emprunter pour reforger ce lien brisé… Quelques temps auparavant, dans la cité royale qui s’étend à l’orée de la majestueuse forêt un jeune garçon échappe à la vigilance de la garde. Noor, c’est son nom, n’est autre que le fil cadet de la famille royale, et son but avoué, en s’approchant du pied du gigantesque arbre sacré qui s’élève sur les hauteurs de la ville, n’est autre que d’en récupérer des gouttes précieuses de sa sève. Plus tard dans la soirée, Noor, alors qu’il s’est retiré dans sa vaste chambre, porte à sa bouche un peu du suc récupéré  plus tôt dans la journée. Une apparition lumineuse se révèle à lui. Il s’agit de la jeune adoratrice entrevue plus tôt, qui lui confie un message et une mission de la plus haute importance : Empêcher ses parents de commettre l’irréparable, détruire définitivement le lien qui relie les hommes et la magie ancestrale de la Déesse Creuse, car en effet le but à peine avouer du couple royal n’est autre que d’abattre le fameux arbre sacré… Parviendra-t-il à empêcher ce sombre dessein et à préserver son peuple d’une plongée des sombres incertitudes d’un futur qui pourrait bien échapper au peuple de Nym-Bruyn ?
Les amateurs d’heroic fantasy se souviennent sûrement de la série Weëna débutée au début des années 2000 et achevée il y a tout juste trois ans. Corbeyran, en grand dénicheur de talent avait mis la main sur une jeune dessinatrice du nom d’Alice Picard passée par les studios Disney. La collaboration des deux devait donner corps au royaume de Nym-Bruyn sur huit tomes de facture plus que correcte publiés chez Delcourt. Ils reviennent en ce début d’année 2015 avec un spin-off de cette série baptisé sobrement La Légende de Noor. D’un point de vue formel Corbeyran pose dans ce premier opus l’atmosphère d’un univers au riche potentiel. Il laisse surtout, malgré la nécessité de livrer les informations structurantes du récit, un maximum de place au dessin d’Alice Picard. Et pour tout dire la dessinatrice ne s’engonce pas dans l’adaptation simple et respectueuse du récit offert. Bien au contraire elle occupe l’espace avec une rare expressivité grâce à une maitrise de plus en plus affirmée de la couleur directe. La palette spectrale qu’elle utilise donne notamment à voir un univers en mutation au sein duquel la nature possède encore ses droits. Le conte déroule ainsi une touche poétique qui ne s’enferme pas dans le contemplatif mais participe à densifier la nature de ce qui se joue et de ce qui s’envisage dans un futur proche. Pour ceux qui ne s’étaient pas plongés dans l’univers de Weëna, il convient de signaler que cette série peut se lire indépendamment sans que le plaisir de lecture ne s’en trouve affecté. A suivre de près !

Corbeyran & Picard – La légende de Noor – Delcourt – 2015 – 14,95 euros

Holly Ann de Kid Toussaint & Servain - Casterman - 2015

Holly Ann de Kid Toussaint & Servain – Casterman – 2015

Fin du dix-neuvième siècle en Louisiane. Dans la capitale de cet état du sud des Etats-Unis le mystère sur la disparition du fils d’un riche propriétaire terrien avive l’émotion jusque dans les gazettes locales. Cette disparition s’accompagne de celle concomitante d’un autre garçon plus âgé qui, lui, ne bénéficie pas forcément de la même attention. L’enquête confiée à la police de La Nouvelle-Orléans suit son cours mais c’est bel et bien la belle, dynamique et perspicace Holly Ann qui semble posséder une longueur d’avance sur les autorités de la cité. La jeune femme bénéficie en effet d’une bonne image auprès de la plupart des couches de la société néo-orléanaise. Des entrées qui lui permettent d’amasser de précieuses informations dans sa quête de vérité. Alors qu’elle se rend en plein cœur du centre-ville Holly Ann rencontre un écrivain érudit qui se présente comme l’auteur d’ouvrages sur les grandes villes du monde. Pour ne pas perdre de temps dans son enquête Holly Ann décidera d’emmener avec elle l’écrivain venu s’immiscer dans l’atmosphère d’une ville tissée de cultes vaudou, de cette musique libre et possédée qui raisonne dans les moindres ruelles et de cette moiteur qui accompagne les longues journées ensoleillées. Dans ce cadre propice aux divagations de l’esprit et des corps, la vérité pourra-t-elle exploser ?  
Le récit d’Holly Ann se situe à la Nouvelle-Orléans à la fin du dix-neuvième siècle. La ville impose déjà son aura sur le monde et draine tout un lot d’individus marqués par des croyances mêlées venues d’Afrique, des îles voisines du Golfe du Mexique et de cette culture primale natchez. Dans les quartiers populaires les bicoques biscornues et pas foncièrement affriolantes hébergent des femmes et des hommes habités par un culte qui attire pour la force de ces envoûtements autant qu’il repousse pour sa pratique terrifiante de sacrifices principalement gastéropodes. La Nouvelle-Orléans, peut-être plus qu’une autre, devient ville atmosphérique bercée qu’elle est par cette musique des esclaves qui se déclinera quelques années plus tard en jazz et en blues, des musiques faites pour scander ce naturel désir de liberté et d’amour. Le culte vaudou n’en est pas à son premier traitement en BD. De par le fantastique qu’il induit il autorise presque tous les développements et les explorations graphiques. Kid Toussaint ne s’en prive pas et délivre ici un thriller habité par une héroïne véritablement charismatique pour qui la ville ne possède aucun secret. Holly Ann c’est son nom connait la ville comme sa poche. Elle y déambule avec une aisance et un sens de l’observation sans pareille. Du jeune vendeur de journaux au notable local en passant par les inspecteurs néo-orléanais tout le monde semble la connaitre et la respecter. Il n’en fallait pas moins à ce touriste érudit fraichement débarqué à Nola pour mener à bien sa mission d’écriture d’un guide touristique de la cité. L’homme accompagnera la belle et dynamique Holly dans son enquête sur la disparition du jeune Gerbeaud et par cette entremise découvrira quelques-uns des secrets qu’elle renferme, des secrets qu’il vaut mieux parfois ne pas trop réveiller… Au dessin Stéphane Servain rend une copie à la hauteur de l’ambition de cette série. Jouant sur les rythmes, des cadrages astucieux et cette faculté à rendre expressif au possible les personnages qui y évoluent, il sert l’intrigue, rend la magie attachée à la Nouvelle-Orléans palpable. Un projet décliné en one-shot qui devrait ne pas passer inaperçu…

Kid Toussaint & Stéphane Servain – Holly Ann, la chèvre sans corne – Casterman – 2015 – 13,50 euros   

Couverture

Les Trois fruits de Zidrou et Oriol – Dargaud – 2015

Que peut bien représenter une vie à l’échelle de l’histoire humaine ? Une étincelle aussitôt éteinte qui aura ou pas marqué son époque… mais qui s’en soucie ? La vie continue son chemin avec d’autres acteurs prêts à aller plus loin et plus fort, prêts à rompre parfois avec les acquis pour repousser les limites du connu. Le roi a œuvré toute sa vie à renforcer la prospérité et la paix en son royaume. Il a aimé tendrement son épouse qui lui a donné trois valeureux garçons et une charmante jeune fille. Pourtant, arrivé au terme de sa vie la peur envahit l’homme devenu ridé et courbé, au point qu’il se refuse à passer le témoin. Sur les conseils de son fou-amuseur il se décide à étudier la mort. Pour mieux la domestiquer et lui faire passer son chemin lorsqu’elle se présentera sournoisement à lui avec des idées plein la tête. Il se décide à convoquer les trois plus grands savants du royaume à qui il pose une question simple : Comment ne pas mourir ? Les trois savants, décontenancés par cette question à laquelle ils ne peuvent apporter de réponse scientifique qui se tienne, se retrouvent raccourcis d’une bonne tête. Pour le roi c’est le retour à la case départ, et le temps qui s’égrène irrémédiablement. C’est le moment que choisi un mystérieux visiteur pour surgir des ombres épaisses du vaste château. Il affirme détenir la réponse à la question qui taraude tant le vieux monarque. Oui il est possible de repousser l’ultime échéance mais pour y parvenir le roi devra accomplir un sacrifice impensable, un de ceux qui pourrait bien altérer à jamais son esprit devenu frêle…
Les Trois fruits n’est autre que la poursuite naturelle d’une collaboration fructueuse entre deux auteurs qui partagent la même exigence pour les récits intimistes qui jouent sur la qualité et la richesse de l’univers construit et sur l’évolution et la densité des personnages créés. Après La Peau de l’ours Zidrou et Oriol nous proposent de partager la folie d’un monarque prêt à mettre en danger la vie de ses fils, successeurs légitimes au trône, pour tenter de retarder indéfiniment son décrépissement naturel. C’est donc sous la forme d’un conte macabre, teinté d’une réflexion sur le temps, la soif de pouvoir et la lutte ancestrale entre le bien et le mal que les deux auteurs déclinent leur univers. Le côté sombre du récit trouve un écho de choix dans le traitement graphique proposé par Oriol. Un dessin qui suggère plus qu’il ne montre, dans lequel le travail sur les ombres expose de façon criarde la fragilité de l’univers construit. Le Roi aliéné, à l’image à jamais écornée emprunte un chemin glissant qui le mène sur un chemin sans retour. Zidrou et Oriol proposent un conte qui joue avec les codes du genre. Si les marques et les repères structurants sont présents ils ne font qu’enrober des intentions et une réalisation qui révèlent une grande maîtrise de la construction du récit, de son rythme, de ses accidents et de cette faculté à faire naître le rêve…

Zidrou et Oriol – Les Trois fruits – Dargaud – 2015 – 16, 45 euros        


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