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Focus FFF : Finissons en beauté… par les femmes…

Les femmes font toujours des héroïnes idéales. Peut-être car elles savent garder pour elles les plus grands secrets et les plus troublants mystères. Médée, figure éminente de la mythologie grecque, qui possède une image sombre rendue par les versions antiques, se voit proposer un essai de réhabilitation, ou tout du moins d’explication par deux talentueuses auteures attachées au travail précis et suggestif. Olga, elle, se trouve plongée dans un univers qu’elle ne peut maîtriser. Prise en plein cœur d’une épidémie étrange qui fige les personnes amoureuses elle devra non seulement faire le point sur sa vie personnelle et se défendre d’être une fille facile aguicheuse à ses heures. Elle essaiera surtout de croire en l’amour même si celui-ci signifie des sacrifices lourds de sens. Wika, quant à elle, vit dans une période trouble. Le prince Obéron, ancien amant de sa mère, prend d’assaut le château de ses parents qui ne sont autres qu’un couple de fées. Pour la protéger elle sera confiée à un couple de fermier après avoir eu les ailes coupées pour dissimuler qui elle est. Tout se passe bien jusqu’au jour où sa nature reprend le dessus dans un monde encore trouble… Trois récits qui parlent de femmes, d’amour, de la complexité des sentiments et comment mieux appréhender son destin. Trois récits qui se veulent donc essentiels entre fantastique, féerie et fantasy ! Ce dossier clôture notre long focus, merci d’avoir pris le temps de le parcourir et de vous évader avec nous !  

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Médée

Médée de Le Callet et Peña – Casterman (2015)

Depuis la falaise qui borde la mer noire Médée observe un navire s’aventurant sur des eaux qu’il n’aurait pas dû emprunter. Et pour cause le royaume de Colchide n’aime pas spécialement les voyageurs perdus et sa flotte, d’une redoutable efficacité, repousse les plus aventureux d’entre eux. Le navire s’éloigne pour mouiller un peu plus loin dans une zone abritée des regards. A son bord les Argonautes, princes de la plupart des régions grecques, avec à leur tête le mystérieux Jason d’Iolchos. Ce dernier est venu en Colchide demander à Aiétès, père de Médée, la toison d’or, le plus grand trésor qu’il possède. Pour comprendre les raisons de cette requête, il faut savoir que Pélias, l’oncle de Jason, s’était emparé du trône d’Iolchos par la force mais, lorsque Jason demanda à récupérer ses droits sur cette région de Grèce, Pélias le lança dans la quête de la toison. Il retrouverait ses droits sur Iolchos en échange du trésor d’Aiétès. Jason ne vient pas les mains vides et offre, en échange de la toison, de débarrasser la Colchide de ses ennemis héréditaires Sauromates. Mais Aiétès n’a que faire d’un tel marché arguant qu’il peut seul se débarrasser du problème. Par contre, et comme le veut la coutume, il lancera un défi à Jason, s’il parvient à dompter un de ses fougueux taureaux, il lui remettra ce qu’il est venu chercher. Aiétès sait que le défi est impossible à réaliser. Mais Médée pourrait bien guider notre homme et lui offrir les moyens de parvenir à ses fins…
Dans le premier tome de cette série ambitieuse qui se veut relire la mythologie attachée à Médée, les deux auteures nous présentaient la jeunesse de celle qui dû sa célébrité à un parcours émaillé de  sang. Ce second tome nous la présente jeune femme, avec une force de conviction et une attirance trouble pour Jason qu’elle-même ne peut expliquer : Que m’est-il arrivé ? J’étais fière, solitaire, orgueilleuse, tout le contraire d’une fille sans cervelle s’éprenant du premier étranger qui passe. Il était beau, c’est vrai mais cela n’explique rien. Il y avait autre chose… Sur le fond la fiction tressée par Blandine Le Callet se développe avec un minimum de texte, laissant la force de suggestion aux visuels. La trame reste quant à elle fidèle à la mythologie officielle, même si plusieurs raccourcis sont empruntés pour plus de lisibilité sans que cela nuise au récit mythologique « officiel ». La version offerte joue quant à elle sur les détails de caractère et de comportement des héros, et surtout, par le fait que le point de vue offert reste celui de Médée, laissant à l’héroïne la possibilité de justifier ses actes. Le visuel soigné proposé par Nancy Peña se fait très immersif. Le lecteur se trouve ainsi happé dès ce plan en plongée dans lequel on distingue l’arrivée surprise du bateau de Jason dans les eaux qui bordent les terres de Colchide. La suite du récit réserve suffisamment de surprises pour finir de rallier les sceptiques de la première heure méfiants vis-à-vis d’une relecture moderne du mythe. Un album qui fait voyager dans le temps et dans des contrées luxuriantes aux dangers à peine voilés…

Le Callet & Peña – Médée T2 – Casterman – 2015 – 15 euros

Amorostasia

Amorostasia T2 de Cyril Bonin – Futuropolis (2015)

A Paris une femme se fige dans son appartement. Un cas étrange et atypique car la personne, même si elle se trouve paralysée, ne voit pas ses facultés vitales (activité cérébrale et battements du cœur) décliner. Plus tard un couple se fige lui-aussi en pleine rue. Très vite les premiers cas affluent au point que les autorités se doivent de se rendre à l’évidence, une épidémie vient de voir le jour. Au-delà de Paris c’est très vite la France et le monde qui se trouvent atteints par ce mal étrange. Olga est journaliste. Elle se verra confier le soin de suivre les évènements de près pour réaliser un reportage mettant en lumière les mesures sanitaires prises et l’étude des cas recensés. Une évidence s’impose très vite : les personnes amoureuses se figeraient entre elles. Pour la journaliste qui vit avec son petit ami une relation compliquée, ce mal mettrait en évidence le défaut d’amour et de passion partagés. Pire, comme si cela n’était pas assez simple, c’est le collègue d’Olga qui se fige en pleine gare alors qu’il avoue à demi-mot aimer la jeune femme. Poursuivie par des passants pour délit de séduction elle sera « sauvée » par un jeune homme mystérieux, Kiran, qui la glissera dans un taxi. Les deux se reverront plus tard et les rôles seront inversés Kiran, chassé par la police cherchant refuge dans un immeuble sera caché par Olga dans son appartement. Progressivement, les deux développeront une improbable attirance l’un pour l’autre au point… de se figer. Alors qu’une expérience médicale est menée sur Kiran pour percer les secrets de la maladie, Olga, dont le corps figé a été recueilli par ses parents dans leur maison à la campagne, se réveille…
Cyril Bonin décortique pour nous dans les deux tomes d’Amorostasia le sentiment amoureux, ce qui fait que deux êtres s’aiment ou croient s’aimer, des hommes et des femmes qui parfois peinent à mettre des mots sur leurs émotions, sur ce qu’ils vivent ou ressentent en leur for intérieur. L’amour reste toujours fragile, il peut s’évaporer par la force du temps et des habitudes, ce renforcer par l’épreuve, se mêler à des sentiments difficiles à exprimer par des mots qui viennent le troubler ou le nuancer. Rien n’est simple et aimer ne signifie pas pour autant être aimé en retour. Dans la fusion amoureuse de deux êtres se cachent tout un jeu de séduction mais aussi une alchimie, une chimie, à base de dopamine (qui crée le désir) et d’ocytocine (qui attire notre regard vers l’autre). Le mélange de ces substances que rien ne peut nous faire maîtriser ou réguler entretient cet étrange jeu qui parvient à rapprocher les corps.
Dans Amorostasia Cyril Bonin passe en revue, au travers d’Olga son héroïne, les différentes nuances qui composent le sentiment amoureux. Il y parvient avec un sens du détail qui tire son récit vers un réalisme presque troublant alors que son contexte se teinte d’éléments fantastiques induit par la maladie même qu’il crée comme terreau de son histoire, l’Amorostasia. Dans un contexte de peur, celle de se faire amorostasier, donc figer (à jamais ?), les hommes et les femmes se plongent, face au danger, dans un climat qui pourrait faire penser à la dure période de l’occupation allemande durant le second conflit mondial. La délation devient galopante, chacun épiant l’autre, les personnes ayant figé d’autres individus sans qu’eux-mêmes ne le soient se voient obligés de porter un brassard sur lequel est représenté un cœur, les journaux répandent leur propagande tandis que la culture, qui développe des thématiques liées à l’amour, à la beauté et la vénération des corps, se retrouve purement et simplement interdite. Dans cette époque trouble qui correspond au pic de l’épidémie, les bars, haut lieux de dépravation dans lequel le plaisir et la drague sont monnaie courante, restent désespérément fermés. Pourtant des personnes décident malgré tout de braver les interdits. Pour Olga qui, réveillée, n’aspire qu’à se refiger avec Kiran, la redécouverte de notre monde et de ses travers ne représentent pas l’idéal de vie.
Sur le plan graphique, Cyril Bonin parvient à nous aspirer dans son récit, à nous captiver par les zones d’ombres qui entourent non seulement Olga, mais aussi la maladie qui, faute de ne pouvoir être contenue, naturellement se doit d’être traitée par des médicaments. Le réalisme du trait est saisissant, le découpage quasi cinématographique, et les plans proposés toujours judicieux pour servir son sujet. Avec à la base un sujet pas évident à traiter, le sentiment amoureux, Cyril Bonin, livre deux albums puissants qui posent des questions et nous invitent à les parcourir de nouveau. Du bel ouvrage !

Cyril Bonin – Amorostasia T1 & 2 – Futuropolis – 2013 et 2015 – 19 euros l’un.

Entretien avec Cyril Bonin

 

 

Wika

Wika T1 de Ledroit et Day – Glénat (2015)

Il était un pays majestueux et protégé dans lequel vivait un couple de fées passionné par la vie et respectueux de son prochain. Il était duc de Claymore Grimm et son château qui s’affichait comme imprenable se trouvait pourtant source de convoitise. Elle, la duchesse Titania resplendissait d’une beauté à faire tourner les têtes. Le couple venait de voir arriver dans ce monde Wika, une fille qui assurait pleinement leur bonheur. Mais ce monde au passé révolu se trouvait menacé à ses frontières par une guerre souhaitée par le prince noir d’Obéron, ancien amant de Titania. La menace se faisant prégnante le couple décide d’épargner leur fille, fée en devenir, en lui coupant les ailes pour ne pas l’identifier et en la confiant à Haggis qui se fera fort de la placer dans une famille de paysans modestes. Treize ans plus tard Wika est devenue une belle jeune fille à la peau joliment tatouée de motifs changeant selon son humeur. Ayant quitté la campagne qui l’a vue grandir elle se dirige vers la capitale du Royaume avec l’idée de s’émanciper et de découvrir cette vie tumultueuse capable de lui offrir ce sel tant recherché. Elle y croisera Bran, un jeune homme dévoué, voleur à ses heures qui lui servira de guide dans la densité de cette ville tentaculaire et dangereuse dont il faut maîtriser la géographie et la nature des personnes qui la peuplent pour ne pas s’y laisser perdre. Dans ce contexte de violence et de tensions permanentes, Wika révélera bien malgré elle ses pouvoirs de fée. Pouvoirs qui ne passeront pas inaperçus dans une ville dirigée de main de fer par le prince d’Obéron en personne…  
Rien n’arrête Olivier Ledroit dans sa volonté créatrice, pas même l’idée de proposer un récit qui se nourrirait de ses influences passées et de ce terreau fantastique offert par les contes traditionnels. Le dessinateur, sous l’impulsion des textes de Thomas Day, laisse ainsi exploser son talent graphique dans une proposition qui frôlerait presque la démesure si elle n’était pleinement maîtrisée. L’auteur des Chroniques de la Lune Noire développe ainsi un dessin total, où les damasquinages, les ajouts de textures, l’utilisation de toute une palette de couleurs riches et débordantes densifient en permanence le dessin réalisé en utilisant la profondeur des fonds perdus. Le regard du lecteur se trouve happé par tant de virtuosité si bien que le texte parcheminé qui vient en soutien au visuel sait se faire discret comme pour nous laisser le temps de naviguer dans chaque planche et y trouver des détails qu’une lecture classique et cadencée ne permettrait pas. Car chaque planche pourrait se voir comme une œuvre d’art à part entière qui renferme ses secrets propres, sa dramaturgie et sa palette d’effets. Sans nuire à la narration et à cette envie de raconter une histoire, Olivier Ledroit et Thomas Day livrent un livre objet qui fait d’ores et déjà date. La version luxe éditée par Glénat proposée en format large (l’album standard en 24 cm x 32 cm passe ainsi à un réjouissant 28,5 cm x 36,8 cm),  offre l’opportunité d’apprécier encore mieux le travail du dessinateur, tout comme l’est forcément ce cahier graphique d’une trentaine de page qui clôt l’ouvrage et justifie en partie le prix de l’album. Si l’on considère l’ouverture d’aventure laissée à Pierre Dubois, Elficologue reconnu et apprécié, qui, dans un langage luxuriant de néologismes et mots oubliés nous laisse entrevoir tout le potentiel d’une histoire remarquable, vous comprendrez, cher lecteur que cet album se doit de trôner dans toute bibliothèque qui se respecte !

Ledroit et Day – Wika T1 – Glénat – 2015 – 79 euros (version luxe)  

© visuel d’ouverture d’article : Ledroit et Day – Wika T1 – Glénat – 2015


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