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Focus FFF : Pour les petits et ceux qui gardent leur âme d’enfant…



Les univers imaginaires nous portent toujours plus vers des ailleurs foisonnants qui alimentent bien souvent notre machine à rêve. Fantastique, Fantasy et Fable déclinent ainsi leur potentiel pour faire de nous, l’espace d’un récit, le témoin d’une aventure vécue de l’intérieur. Observateur de ce qui se joue devant ses yeux portés par un dessin qui repousse toujours plus loin son expressivité, le lecteur qui décide de se laisser happer dans le monde parallèle qui de dresse devant lui peut sans peine se laisser bercer par les stimuli qui invitent au grand voyage à venir. Un voyage qui ne le laissera pas totalement indemne, qui le rapprochera peut-être aussi de cet entre-deux dangereux et pourtant ô combien fascinant… Ces univers fantastiques sont des terrains propices à l’émerveillement des plus jeunes. Il est difficile de capter l’attention des enfants. Les récits que nous vous proposons y arrivent par des chemins différents démontrant d’infinis potentiels…

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Susine et le Dorméveil

Susine et le Dorméveil de Enna et Lefèvre – Soleil (2014)

Rappelons-nous dans le monde d’avant la jeune Susine couvrait sa tête d’un couvrepomme canalisateur pour se transporter dans un monde merveilleux au sein duquel elle pouvait percevoir et vivre des aventures riches, passionnantes et dans lesquelles elle se sentait exister en tant qu’enfant. Il faut dire que ses parents ne respirent pas la joie de vivre ensemble. Ils se chamaillent ainsi à longueur de journée si bien que le temps consacré pour partager avec Susine se réduit à peau de chagrin. La fuite vers l’avant avait été inconsciemment pour la jeune fille un moyen d’occuper son temps, de le rendre plus respirable et surtout plus coloré. Elle est revenue de ce voyage un brin transformée, d’abord par le voyage incroyable qu’elle a vécu dans ce monde merveilleux nommé Dorméveil, au sein duquel elle a pu croiser tout un tas de personnages étonnants avec qui elle a pu lier de sincères amitiés, ensuite par ce qu’elle a pu en retenir et garder comme force d’expérience de ce périple coloré et sucré. Mais voilà, une fois revenue de ce voyage la vie n’a pas forcément changée dans le monde concret : j’habitais encore au 12, rue des Cauchemars et plus rien de ce que je possédais ne m’intéressait. A l’école, j’apprenais avec peine des mots difficiles (tels « croissance démographique », « langue sino-tibétaine », « génuflexion »…) Ma voisine, Madame Dubois, était désormais devenue ma baby-sitter, et mes parents… Eux n’étaient tout simplement plus là. Plus la physiquement, mais pas que, et à force de négligences, à force de laisser Susine se refermer dans de fausses certitudes, les parents de la jeune fille devait la conduire à réexplorer le Dorméveil. Car, et elle en est persuadé, si ses parents ne s’écoutent plus et ne l’écoutent pas, c’est qu’ils ont perdus leurs oreilles. Et où peuvent-elles être si ce n’est dans ce monde qu’elle a connu il y a peu ?
Susine et le Dorméveil devait à l’origine se développer sur trois volumes explorant le monde d’avant, le monde d’après et celui qui se situe entre les deux et peut renfermer des explications pour parvenir à une meilleure compréhension des choses. Peut-être en raison de son défaut de lisibilité quant au public cible ce projet, pas tout à fait destiné à la jeunesse, pas tout à fait destiné aux adultes, ce triptyque n’a pas trouvé un public suffisant pour se développer comme il était prévu à l’origine. Et pour tout dire peut-être que ce fut un mal pour un bien. Dans ce second opus, Susine se trouve immergée dans le Dorméveil. Mais contrairement à son premier voyage, la jeune fille se connecte avec ce monde merveilleux de nuit. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Susine se retrouve dans un monde bien différent. Elle devra tout d’abord surnager dans le Monde d’après pour pouvoir en tirer tout le bénéfice et tenter de parvenir à ses fins. Elle retrouvera pour sa chance Palomar, le scaphandrier de sa première aventure qui sera un guide dans ce nouvel univers. Il lui dressera tout d’abord le background de ce monde mystérieux plus tout à fait aussi joyeux. Il l’orientera ensuite vers le Docteur Baisselapaupière qui seul pourra l’orienter dans sa quête qui lui révèlera le lieu où elles se trouvent. Le récit, allégé d’un bon tiers par rapport à ce qu’il devait être à l’origine, gagne en rythme sans pour autant perdre ses intentions premières. Au dessin Clément Lefèvre fait étalage des belles prétentions aperçues lors du premier volet. Il parvient a prolonger les intentions exprimées à la lecture du texte, à densifier ce monde de personnages, d’objets, d’un environnement et de tout ce qui participe à le singulariser. Ce monde d’Après va au-delà de la simple illustration de texte. Il développe aussi sur quelques passages, un séquencement qui emprunte à la bande dessinée. Cet élément qui offre des ruptures au sein du récit permet aussi de voir les possibilités du dessinateur à changer de medium. L’illustration impose sa lecture, se doit de posséder les éléments qui en permettent une lecture à défaut de compréhension, le séquencement lui se veut plus ouvert. C’est l’enchainement des images qui offre ce discernement. Conjuguer les deux reste en l’occurrence une vraie bonne idée (cette fois-ci !). La petite Susine aura voyagé avec nos deux auteurs. Elle aura gagné en maturité, découvert que le monde n’est pas foncièrement l’exposition d’une dualité mais qu’il peut aussi se nimber de tout un tas d’éléments qui le densifie, le complexifie et lui donne l’intérêt qu’il mérite…

Enna et Lefèvre – Susine et le Dorméveil T2 : Le monde d’Après – Soleil/Métamorphose – 2014 – 18, 95 euros    

L’Interview de Clément Lefèvre 

 

LA PETITE SIRENE

La petite sirène de Brrémaud et Turconi – Bamboo (2014)

Chacun d’entre nous a le souvenir de contes lu durant notre enfance, de ceux qui mettent aux prises des renards farceurs, des grands méchants loups, des sorcières au nez crochu et aussi et surtout des personnages auxquels les enfants que nous étions nous assimilions volontiers : princes charmants ou belles princesses pour les filles. Ces contes avaient pour mérite de faire passer certaines morales ou certaines valeurs à partager, mais aussi et surtout avaient pour but de faire prendre conscience aux plus jeunes des risques à ne pas écouter les plus grands et dans un sens plus général des risques qui peuvent se présenter dès lors que l’on quitte le doux foyer protecteur. La collection Pouss’ de Bamboo se propose de revisiter les contes et légendes qui ont bercés notre enfance (Le petit Poucet, Le petit Chaperon rouge, Hansel & Gretel, Blanche Neige, Jack et le haricot magique, Cendrillon, Le vilain petit canard, La Belle et la bête, Le Petit garçon qui criait au loup…). La présentation de ces albums petit format reste la même à savoir une couverture molletonnée pour une meilleure prise en main, et ensuite le conte décliné sous deux formes. La première via un récit dessiné sans dialogue qui présente l’histoire dans ses grandes lignes, et l’autre par l’intermédiaire du récit court de ce même conte. Des séquences pour donner envie aux enfants de dessiner les héros dont ils viennent de suivre l’histoire sont proposées.
Deux contes sont venus enrichir récemment cette belle collection, La Petite sirène et La Petite poule rousse. Le premier album nous présente l’histoire d’une jeune sirène qui n’est autre que la cadette des princesses du Roi des mers. Une règle veut que dès lors qu’ils sont assez grands, les enfants princiers se voient offrir le droit de remonter à la surface des eaux pour observer ce qui s’y passe, y voir le ciel étoilé, les côtes et les espaces de terre qui émergent des eaux et, parfois, cerise sur le gâteau, les hommes eux-mêmes. Mais la petite sirène n’est pas encore assez grande pour suivre ses sœurs. Elle devra attendre encore un peu que ses écailles poussent. Le temps passant, la petite sirène grandit chaque jour un peu plus et se voit offrir enfin par son père le droit de remonter à la surface. Elle y découvre un monde merveilleux dans lequel elle aperçoit un navire bousculé par les eaux d’où tombe un jeune prince qu’elle ramènera sur la terre ferme. Elle en tombera amoureuse. Oui mais voilà elle est sirène tandis que lui est un homme. Un amour qui semble impossible…
La petite poule rousse est très prudente. Il faut dire qu’elle habite juste à côté de chez un renard qui s’intéresse de très près à elle. Bien dodue, la petite poule ferait effectivement un excellent repas pour le renard et sa mère chez qui il vit. La plupart de ses journées sont occupées à guetter le moment propice où la petite poule rousse fera une erreur, une imprudence qui la destinerait de fait à un très bon repas. Parviendra-t-il à ses fins ? Les deux récits reposent sur une leçon de vie qui permet à nos petits bouts de passer un moment ludique duquel ils peuvent tirer quelque chose. Une collection qui poursuit son chemin de belle manière !

Brrémaud & Turconi – La petite sirène – Bamboo – 2014 – 9, 95 euros
Mariolle – La petite poule rousse – Bamboo – 2014 – 9, 95 euros

Bjorn

Bjorn le Morphir – Les armées du roi de Lavachery et Gilbert – Rue de Sèvres (2015)

Bjorn le Morphir, pour répondre à un ordre du roi était descendu au fond de la terre pour récupérer le prince héritier Sven. Après avoir parfaitement réussi cette mission, Bjorn et ses amis sont revenus vers des paysages qu’ils connaissent avec pour but avoué de « former » Sven au maniement des armes, au passé de son peuple, à la maitrise de la langue et de l’écriture. Bref à tout ce qu’il faut pour pouvoir prétendre au trône. Sven révèlera, malgré sa nature frêle, de vraies aptitudes. Après quelques temps Bjorn se décida à présenter Sven au roi, qui lui-même devait le présenter à la cours. Le jeune Morphir se trouva richement remercié en plus de la confiance et du respect profond gagné auprès du roi. Il se retira alors sur ses nouvelles terres. Alors qu’il est convié au mariage de Svartog, celui qui fut son compagnon d’armes dans les entrailles de la terre, Bjorn apprend que le roi vient d’être victime d’un terrible attentat. Poignardé sur son trône il est entre la vie et la mort. Pour Bjorn cela sonne le retour aux affaires. Il se dirige vers la capitale avec à ses côtés Dizir, le demitroll. Sur sa route il découvre que les armées du Ghizmark, du Skudland et de l’Arlande se massent aux frontières prêtent à envahir le royaume du Fizzland. Le calme aura été de courte durée. Dans ce climat tendu Bjorn pourrait encore joué un rôle crucial pour la dynastie royale…  
Au départ il y a cette série de romans jeunesse publiée à l’Ecole des loisirs par Thomas Lavachery. Romans qui devaient par la suite être adaptés en partie chez Casterman avec Thomas Gilbert au dessin. Mais Rue de Sèvres, la maison BD de l’Ecole des loisirs, voulait reprendre les droits de l’édition de cette série qui n’avait pas forcément trouvé son public dans sa forme dessinée. Trois albums sont tout d’abord publiés en janvier 2015, Naissance d’un Morphir, L’enfer des enfers et la Reine des enfers qui reprennent le début des aventures de Bjorn. Les armées du roi viennent poursuivre l’aventure de notre petit héros qui n’a peur de rien. Cet épisode prend donc place juste après le retour de Bjorn des enfers où il a « récupéré » Sven, le fils du Roi, héritier légitime du trône. Et pour tout dire cet épisode remplit toutes ses promesses. Car non seulement on découvre un peu plus de la nature de Bjorn, un véritable Morphir, qui sous ses apparences frêles cache un guerrier redoutable et un meneur d’hommes qui s’affirme. Poussé dans ses retranchements, il se voit confié une mission redoutable pour l’avenir du royaume. Sur le fond Thomas Lavachery au scénario assure les changements de rythmes alternant les scènes de tensions pures où les enjeux se font de plus en plus prégnants et les moments de pause où les ennuis passés et la peur de l’avenir s’effacent pour nous révéler des instants d’émotion pure. Au dessin Thomas Gilbert poursuit sa partition avec un découpage peut-être plus séduisant. Il donne à voir un talent redoutable dans l’expressivité des personnages parvenant en un regard, une mimique affichée sur un visage, à prendre le relais des mots. Une expressivité qui se renforce par une mise en couleur efficace qui mêle un véritable patchwork de timbres. Des couleurs dont le mariage sur le papier pourrait surprendre mais qui pourtant fonctionnent merveilleusement. Un duo qui révèle une véritable osmose dans les intentions et se met au service de ce petit héros plein de cœur. On attend déjà la suite !

Lavachery & Gilbert – Bjorn le Morphir T4 : Les armées du roi – Rue de Sèvres – 2015 – 14 euros

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Pinocchio de Chauvel et McBurnie – Delcourt (2014)

Pinocchio reste l’un des personnages les plus connus de la littérature jeunesse. Créé à la fin du dix-neuvième siècle par l’italien Carlo Collodi, le petit héros de bois a traversé les époques pour parvenir intact dans nos mémoires. Pourtant Pinocchio a fait l’objet de maintes adaptations pas toutes fidèles à l’idée de son créateur (La version de Disney par exemple). La BD a déjà proposé des relectures de l’œuvre. Si celle de Winshluss (Les Requins marteaux) peut surprendre, elle reste un exemple de réussite de libre adaptation. De son côté Massimiliano Frezzato (Mosquito) propose un album grand format d’illustrations puisées de ce que lui suggère la lecture du texte original dont il propose des extraits. La version de Jacovitti (Les Rêveurs), une des premières connues, dessinée en 1946, a été rééditée dans un très grand format par les Rêveurs. Elle met en avant le talent d’un dessinateur possédé par le texte et au top de sa maitrise expressive. Nous passerons sur la proposition de préface récente de Philippe Bonifay et Thibaud De Rochebrune (Glénat) qui, si elle reste originale, ne part pas littéralement du texte de Collodi malgré l’intérêt qu’elle propose. Aussi la proposition des éditions Delcourt de sortir une énième version du texte de l’italien pourrait faire naître un scepticisme légitime. Les premières planches lèvent le voile sur nos doutes. Le dessin se fait très vite atmosphérique nous plongeant dans un cadre qui dévoile de riches détails. La représentation du personnage de Pinocchio restait le challenge numéro 1 pour McBurnie. Il en donne une version poupon simple allant à l’essentiel qui vit par la large palette d’expressions qui lui donne au fil de la trame. David Chauvel a pris le parti de rester proche du texte original avec un coup de peps supplémentaire. Et cela fonctionne à merveille. On vibre à la découverte des péripéties que traverse le petit pantin de bois qui, de par sa naïveté, se fait berné à de multiples reprises tout en trouvant les ressources pour ne pas sombrer. Le rythme insufflé, renforcé par un jeu de cadrages astucieux, apporte ce surcroît de souplesse au texte notamment dans les enchaînements. Du beau travail !

Chauvel & McBurnie – Pinocchio – Delcourt – 2014 – 17, 95 euros

Dessin de une © Pinocchio de Chauvel et McBurnie – Delcourt (2014)