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Focus FFF : Villes et Royaumes lointains…

 

Les univers imaginaires nous portent toujours plus vers des ailleurs foisonnants qui alimentent bien souvent notre machine à rêve. Fantastique, Fantasy et Fable déclinent ainsi leur potentiel pour faire de nous, l’espace d’un récit, le témoin d’une aventure vécue de l’intérieur. Observateur de ce qui se joue devant ses yeux portés par un dessin qui repousse toujours plus loin son expressivité, le lecteur qui décide de se laisser happer dans le monde parallèle qui de dresse devant lui peut sans peine se laisser bercer par les stimuli qui invitent au grand voyage à venir. Un voyage qui ne le laissera pas totalement indemne, qui le rapprochera peut-être aussi de cet entre-deux dangereux et pourtant ô combien fascinant… Les univers qui se développent dans ces registres de genre sont toujours des regards portés sur une déclinaison de notre propre monde. Que pourrait-il être ou pas dans un lointain futur, quels pourraient être le ou les mondes parallèles qui se développeraient à sa périphérie, quels en seraient les êtres qui s’y développeraient. Des questions qui trouvent des réponses dans des imaginaires sans véritables limites, et à vrai dire on n’en demande pas moins !  

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Les Royaumes du nord T1

Les Royaumes du nord T1 de Oubrerie et Melchior – Gallimard BD (2014)

Lyra est une jeune fille a priori comme les autres, sauf qu’en réalité elle possède quelque chose qui la singularise des autres enfants de son âge. Elevée dans le prestigieux Jordan College, elle fait montre d’une vitalité sans limite. Elle est aussi et surtout l’objet de toutes les attentions. Alors qu’elle sait son oncle, Lord Asriel, sur le point d’arriver dans les murs du Jordan College, la jeune fille décide de se cacher derrière une grille au pied d’une bibliothèque de la salle de savoir de cet établissement où il sera reçu. Elle y assiste à une scène pour le moins troublante au cours de laquelle le Maître des lieux verse dans une bouteille de Tokay destinée à Lord Asriel une poudre qui pourrait bien être du poison. Lyra en est persuadée, son oncle est menacé et lorsque celui-ci arrive dans la bibliothèque et se voit offrir un verre du breuvage souillé, elle attend le bon moment pour le prévenir. Lord Asriel est un curieux personnage. Erudit explorateur, il sillonne les Royaumes du nord au sein desquels il vient de faire une mystérieuse découverte. Alors qu’il tentait de percer le secret de la volatilisation d’une précédente expédition menée par un homme du nom de Grumman, il découvre, sur un cliché photographique mettant l’homme en scène sur des terres lointaines, d’étranges poussières révélées par une émulsion spéciale. Des poussières révélant surtout une ville fantomatique venue d’un autre monde… Lord Asriel a ramené de son voyage sur les pas de Grumman la preuve que l’homme n’est plus de ce monde tué vraisemblablement par les Panserbjornes, de gigantesques ours polaires placés sous la coupe de Iofur Raknison, un ours puissant, rusé et belliqueux capable du pire… A l’issue de ce bref passage au Jordan College, Lord Asriel se prépare à repartir dans le nord. Lyra, elle, compte bien saisir sa chance pour partir avec lui, mais son oncle ne semble pas réserver ce destin à la jeune fille…
Adapter l’œuvre tentaculaire de Philip Pullman, A la croisée des mondes, pourrait relever de la gageure ou de la folie pure, tant l’univers construit par l’auteur anglais renferme de détails, de particularités propres et d’une atmosphère difficile a priori à retranscrire. C’est ce défi que Clément Oubrerie a souhaité relever. Pour cela il s’entoure du scénariste Stéphane Melchior-Durand qui sort juste chez Gallimard BD d’une adaptation audacieuse et bien sentie de Gatsby le Magnifique. Les deux hommes vont contacter Pullman pour tenter de le convaincre du bien-fondé de cette adaptation, puis, une fois obtenu son aval, plonger dans un travail minutieux mené à cordeau tiré pour crédibiliser l’univers développé par Pullman, le densifier et y fondre ce fantastique subtil distillé par touches successives (les daemons, ces animaux parlant associés à chaque hommes ou femmes, les poussières révélatrices, le peuple des ours en armure, l’aléthiomètre…) qui portent et assurent le suspense. Sur la forme le premier opus de cette série fonctionne plutôt bien. On y découvre les bases des aventures à venir. Lyra se densifie au fil des planches et apparait comme une jeune fille tout à la fois passionnée, curieuse de ce qui l’entoure et détentrice d’un secret que les personnes qui l’entourent tentent de préserver. Dans ce genre d’exercice le plus dur reste de conserver un équilibre entre le texte fondateur qui délivre les éléments contextuels et le dessin qui doit prendre le relais pour alléger et faciliter le déroulement séquentiel. Clement Oubrerie et Stéphane Melchior-Durand y parviennent plutôt bien, titillant indiscutablement notre envie d’en savoir plus. A suivre donc avec grand intérêt d’autant plus que la série s’annonce tentaculaire…

Oubrerie et Melchior-Durand – Les Royaumes du Nord – Gallimard BD – 2014 – 17, 80 euros

Entretien avec les auteurs des Royaumes du Nord

 

Confesseur sauvage

Le Confesseur sauvage de Foerster – Glénat (2015)

La Lune commença à se disloquer et les agrégats d’épais lambeaux qui traversèrent le ciel peu après pour s’effondrer sur Tchernobourg firent comprendre à tous ou presque que le plus dur restait à venir. Car la ville de toutes les défiances n’avait rien trouvé de mieux à faire que de construire en son sein des tours jumelles qui n’étaient que la face visible d’une arrogante et terrible centrale édifiée en la gloire de la fusion nucléaire. Une centrale nichée qui plus est entre des barres d’immeubles dernier cri. Et bien sûr la Lune, contre sa nature même, ne devait pas faire de quartiers. Des débris se portèrent ainsi jusque dans les réacteurs, devenus si fragiles, provoquant un terrible bouleversement de l’ordre des choses. Les espèces mutèrent en d’horribles formes et l’homme, qui n’était que l’une d’entre elles, ne devait pas être mieux loti. La ville voyait ainsi progressivement des mutations venir la perturber. Des bébés gigantesques, d’autres nés limaces, des hommes thérianthropes affublés de cornes, de queues diverses, de mains araignées… Parmi ces êtres révulsant un devait pourtant se singulariser. Une empathie se dégageait même naturellement de lui, car tout prêtre qu’il était, il savait se porter à l’écoute des hommes et des femmes bouleversés par la nouvelle donne atomique. Un prêtre avec une bonne bouille de curé de campagne, affable et effacé, qui rassurait et poussait à la confidence d’autant plus lorsque l’une de ses tentacules touchait l’épaule de l’un des frères ou de l’une des sœurs de la paroisse. C’est ce prêtre qui noua les contacts les plus improbables et qui devait recueillir les témoignages les plus édifiants…
Philippe Foerster commence à rédiger des histoires courtes dans Fluide Glacial au début des années 80. Des histoires fantastiques, loufoques et délirantes. Des histoires qui mènent le lecteur sur une autre sphère jusqu’à lui fait perdre ses plus indéboulonnables repères. Les Editions Fluide Glacial ont eu la judicieuse idée de rééditer ces histoires dans un épais volume de près de 300 pages il y a tout juste un an. Les Editions Glénat vont aujourd’hui plus loin en offrant la possibilité à Foerster de donner une prolongation à cet univers. Avec Le Confesseur sauvage il nous propose de suivre le destin d’un homme-poulpe qui, faute de mieux, a trouvé refuge dans une église abandonnée de la plupart de ses fidèles. Pour se fondre dans son nouvel élément et échapper à la furia des puristes de la race humaine il va jusqu’à porter l’habit. La maitrise expressive de Foerster se fait, tout du long, purement magistrale. En deux postures et un simple jeu de regards il donne à lire toute la dramaturgie d’une situation, laisse planer pas mal de sous-entendus, offre des pistes en trompe-l’œil, tout en se faisant suffisamment décalé pour nous surprendre. Une des plus belles lectures de ce début d’année.

Foerster – Le Confesseur sauvage – Glénat – 2015 – 22 euros  

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Ulysse 1781 T 1 de Dorison et Hérenguel – Delcourt (2015)

Des territoires bousculés par la pression française, anglaise, espagnole, par la volonté aussi des autochtones, encore frileux à prendre les armes de manière organisée, à passer à l’action pour défendre des intérêts qui les dépassaient et par les anciens colons soucieux de revendiquer une indépendance vis-à-vis de la terre mère. Ces hommes et femmes qui s’opposèrent dès 1775 à la toute puissante Grande-Bretagne portèrent le nom d’insurgés. Ils souhaitaient avant tout affirmer leurs droits de primo-colons, s’affranchir du joug britannique et notamment de l’imposition insupportable demandée par Londres pour renflouer des caisses vidées par la guerre de sept ans (1756 – 1763) qui s’avéra être un gouffre financier sans précédent, et, non des moindres volontés, alléger les contraintes commerciales qui pesaient sur les colonies. Les terres de la côte Est américaine devaient connaître des pressions constantes et les conflits qui s’y développèrent furent d’une rare violence. Octobre 1781. La guerre dure depuis plus de six ans maintenant et la victoire des insurgés, dopés par la victoire cruciale de Yorktown, semble se dessiner. Le capitaine Ulysse McHendricks s’adonne à des plaisirs d’après-bataille. Dans l’antre d’un ring étroit, face à un molosse du nom d’Achille Jones il voit la couleur du sang perler sur son visage. Mais, même au pire moment du combat l’homme semble confiant dans son issue. S’il ne peut vaincre par la force pure et bestiale, il vaincra par la ruse. Jeté à terre par son adversaire prêt à porter l’estocade, il évite le coup de pied fatal et renverse la situation en arrachant de ses dents le talon de son adversaire. Fin du combat. Les paris juteux peuvent rapporter gros à ceux qui défient les évidences. Peu après le combat un jeune homme demande à voir le capitaine victorieux. Il n’est autre que son fils qui vient à lui pour lui annoncer une terrible nouvelle. Au village de New Itakee, la femme d’Ulysse se trouve aux prises avec une compagnie d’infanterie anglaise qui lui demande de livrer à la potence cinq de ses résidents. Ulysse se résout à se rendre au plus vite auprès de sa femme. Pour parvenir le plus tôt possible à destination une seule option se présente à lui utiliser l’Achéron, son navire monté sur roues, qui, une fois rejoint les eaux, pourra lui permettre de gagner cinq bonnes semaines sur le trajet terrestre. Cela suppose pourtant de traverser avec un attelage de douze chevaux des territoires hostiles…
Revisiter l’Odyssée et le mythe d’Ulysse, cette fantastique épopée homérique qui a traversé les âges, ne peut se faire de front avec le seul souci de coller au texte de son auteur. Xavier Dorison décide donc de transposer le récit à une autre époque, le dernier quart du dix-huitième siècle et sur un autre territoire, les colonies britanniques d’Amérique du Nord. Il garde par contre les repères des noms et des lieux seulement « américanisés » (New Itakee, le village d’Ulysse, Mack son fils et Penn sa femme),  une partie des fils narratifs qui poussent Ulysse vers un retour chez lui. A ce sujet le combat d’ouverture d’album entre Ulysse et le colosse Achille sonne comme une transition entre les deux héros de l’épopée homérique. Achille personnage central de L’Iliade affronte Ulysse le héros de l’Odyssée. Les indicateurs sont ainsi posés en quelques cases. Dans un traitement très libre du sujet Dorison insiste surtout sur le mythe du héros, le dernier connu, qui devra non pas compter sur sa seule force physique pour déjouer les pièges qui se présentent à lui, mais bel et bien sur sa ruse et son sens de l’improvisation dans les moments difficiles. Pour mettre en scène ce récit le scénariste de Long John Silver s’attache les services d’Eric Herenguel, connu pour son travail sur plusieurs des tomes de La Légende de Troy. Dans ce contexte son trait précis, vif, porté par un réel sens du cadrage et du rythme parvient à soutenir les intentions du scénariste sur un récit qui même s’il se révèle « musclé » ne peut se résumer en cela. L’édition « luxe » en noir et blanc devenue introuvable permet à ses heureux détenteurs d’apprécier à sa juste valeur le travail d’Hérenguel. La suite devrait permettre d’apprécier la fin de cette adaptation de choix.

Dorison/Hérenguel – Ulysse 1781 T 1 – Delcourt – 2015 – 14,95 euros

Revoir Paris de Benoît Peeters  & François Schuiten - Casterman (2014)

Revoir Paris de Benoît Peeters & François Schuiten – Casterman (2014)

Dans un futur proche. Kârinh est une fille de l’Arche, une colonie spatiale qui s’est développée à l’écart de la Terre qui a vu naitre ses premiers affranchis. Aujourd’hui peu veulent conserver le contact avec leurs origines et la terre, jadis nourricière, s’affiche à présent comme une véritable abomination. Pourtant la jeune femme se porte volontaire pour prendre part à une expédition qui doit la porter vers la planète bleue et un passé qu’elle n’a pas connu mais qui, alimenté par ses lectures, en devient presque obsessionnel. Elle dirigera le Tube, un vaisseau  en partance vers la Terre avec à son bord douze « anciens » en hibernation qui souhaitent revoir Paris. Durant le voyage elle se transportera dans des fantasmes de la Ville, une ville qui possède encore son identité. Mais cette ville saura-t-elle la séduire comme ont pu le faire ses rêves et au-delà ses secrets espoirs ?
Revoir Paris c’est le désir de ses deux auteurs, en tant qu’hommes et en tant que scénariste et dessinateur, de revenir sur la vision de l’une des places fortes de la culture et de l’architecture européenne. François Schuiten a laissé sa trace dans cette ville de tous les possibles. Par le biais d’expositions ou de travaux encore visibles comme peut l’être cette proposition de station de métro à l’arrêt Arts et Métiers. Pour Benoît Peeters Paris reste la ville d’attache, celle où il vit, celle qui inspire et qui porte à la réflexion. (Re)parler de Paris s’affiche donc comme une évidence. Pour faire le point sur son développement futur, prospecter, stimuler l’inspiration et faire naître, pourquoi pas, le débat. Un débat qui s’annonce crucial alors que le projet du Grand Paris a perdu de sa substance et de sa portée pour se résumer à une simple rediscussion sur le développement de son réseau de transport. Les grands sujets restent toujours d’actualité. Celui de la verticalité, de l’intégration du patrimoine dans le nécessaire développement contemporain de ses structures, celui du rapport à l’autre dans une ville qui pourrait se replier sur elle-même. Dans le premier volet de ce projet François Schuiten et Benoît Peeters se questionnent sur ces problématiques au détour d’une case ou d’un arrière-plan avec ce désir de confronter le futur à ses possibles anachronismes, à ses possibles déconstructions, à ses possibles désharmonies. Ce faisant ils redonnent aussi l’envie de parcourir ou reparcourir les écrins que peuvent être ses passages couverts qui symbolisent aussi un autre rapport au temps pour une ville qui se doit d’avancer vers l’avenir tout en conservant et intégrant les traces de son riche passé. Les deux hommes alimentent leur proposition de références à Verne, à Robida, à tous les utopistes qui, plutôt que de subir la ville, en développaient de savoureuses alternatives. Pour permettre à la ville de respirer dans de subtiles déraisons capables d’alimenter les rêves et de bousculer les habitudes…

François Schuiten & Benoît Peeters – Revoir Paris T1 – 2014 – 15 euros

 

 


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