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Francisco Vazquez – Relation du voyage et de la rébellion d’Aguirre



Personnage passé à la postérité, Lope de Aguirre était pourtant connu pour sa cruauté et son défi permanent à l’ordre établi. Le film de Werner Herzog de 1972 allait remettre cette figure de la conquête espagnole du Nouveau Monde en lumière. En partie par l’image de Klaus Kinski qui habite son personnage et lui offre, dans des accents onirique une nouvelle vision…

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Lope de Aguirre, second fils d’une famille aisée du pays basque s’embarque pour l’Amérique en 1534. Il n’a alors que 24 ans et ses désirs de richesse et de reconnaissance n’ont d’égal que ses délires mégalomaniaques, cette envie de puissance et d’autorité, qui passèrent par l’accomplissement d’actes barbares d’une cruauté rarement vue ailleurs. En 1537 on sait de lui qu’il participa dans le camp royal aux guerres qui se développaient au Pérou. Condamné pour mauvais traitement envers les indiens il subira la flagellation publique. A l’issue de cette humiliation, il poursuivra le juge responsable de la sentence sur près de 6000 km pour l’occire proprement… Cela pose un premier regard sur ce personnage dont la raison fut souvent remise en cause.

Les éditions Jérôme Million ont publié en 1989 (réédition en 1997), une version retravaillée à partir des versions espagnoles, du manuscrit de Francisco Vazquez, Relation du voyage et de la rébellion d’Aguirre. Ce manuscrit rend compte de l’expédition organisée par le vice-roi du Pérou, le marquis de Caňete en 1559 dans le but de trouver de l’or dans la région d’Omagua. Quelques temps auparavant un groupe d’indiens du Brésil qui avait quitté ses terres arriva au Pérou dans la province de Chachapoyas presque entièrement décimé : 300 survivants sur 12 000 hommes et femmes ayant entrepris le voyage. Ce sont eux qui évoquèrent les richesses de cette région et poussèrent indirectement le vice-roi à monter une expédition placée sous l’autorité de Pedro de Ursua. Le récit de Francisco Vazquez reprend donc l’histoire de cette épopée à travers les forêts et les fleuves Marañón et Amazone jusqu’à l’île Marguerite. Il y retranscrit dans un luxe de détails la personnalité d’Aguirre et ses faits d’armes. Un homme prêt à tuer quiconque s’oppose à l’accomplissement de ces desseins :

Lope de Aguirre, homme méchant et pervers, était l’ennemi des bons et des gens vertueux, et peu à peu il tuait ainsi tous les hommes de bien qui étaient dans son camp, car il craignait que, faisant leur devoir d’honnêtes gens, ils ne refusassent de vivre avec un homme corrompu et ne voulussent plus être commandés par lui. Par la même raison  il aimait les personnes viles et perverses, il avait confiance en elles et les considérait comme ses amis, car il pensait que de telles gens n’auraient pas le courage de le tuer, et qu’ainsi il était plus en sécurité au milieu d’eux.

Malgré ses perversions, son goût du sang, Aguirre fascine. Destin romanesque s’il en est, l’homme aura traversé l’histoire, malgré l’énergie déployée par ses opposants pour faire disparaître ses traces à jamais – à sa mort son corps sera démembré et ses propriétés rasées jusqu’à leurs fondations. Comment un tel destin aura pu survivre au jugement de l’histoire ? Comment cet homme sans soutien, si ce n’est celui de ses hommes, qui le lâchèrent les uns après les autres, a pu défier un Roi et tous les notables le représentant sur le nouveau continent ? La conviction qui l’anima toute sa vie lui offrit cette possibilité mais elle n’est pas la seule explication. La défiance aura construit son image. L’église, le roi furent ses cibles et la fameuse lettre qu’il rédigea au souverain Philippe d’Espagne a traversé les âges.

Cet ouvrage apporte un regard sur la conquête du nouveau monde, l’aliénation qui gagnait nombre des sujets des royaumes du vieux continent venus s’installer sur des terres inhospitalières où survivre relevait parfois du miracle. Dans un degré moindre nous sentons en substance poindre les phénomènes d’acculturation. Une lecture essentielle.

Francisco Vazquez – Relation du voyage et de la rébellion d’Aguirre (trad. Bernard Emery) – 1989 (rééd. 1997) – Jérôme Million – 14,94 euros