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La BD du jour : Hôtel particulier de Guillaume Sorel



Le fantôme d’une femme récemment suicidée déambule dans un immeuble qui pourrait paraitre terne de l’extérieur mais qui renferme des histoires pourtant singulières. Avec Hôtel particulier Guillaume Sorel livre un récit intime et personnel dans lequel il donne à voir quelques-unes des références qui forment son univers poétique et sensible teinté de fantastique fin de siècle…

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L.10EBBN001749.N001_HOTELpart_C_FRPeu importe les raisons pour lesquelles la jeune femme passe à l’acte. Son choix de partir loin, de couper les liens qui la rattachent à une vie que l’on devine cruelle ou bien terne resteront à jamais un voile difficile à lever. Mais si l’aliénation supposée qu’offre son geste n’était qu’un vaste leurre ? Et si, au contraire de se détacher du réel, elle entrait dans celui des vivants par l’œil de la lorgnette, sans crier gare, avec un soupçon de voyeurisme et de curiosité mêlés, guidée par la soif de comprendre ceux qu’elle croisait jadis dans les marches de l’escalier de son immeuble ? Peut-être que la vision que l’on porte aux autres pourraient changer si nous connaissions leur vie, leurs habitudes ou leur perversité. Alors, au lieu de se couper du réel, la jeune femme déambule dans les appartements de chacun, observe ce qui s’y trame, découvre sans juger, en simple observatrice privilégiée les vies se fondre dans un quotidien parfois hideux ou difficile à saisir. Là un couple qui se sépare et se bataille les meubles de leur appartement, là un homme qui se complait à observer derrière une glace sans tain sa femme faire l’amour avec d’autres hommes, l’œil juché sur l’objectif de son appareil photo, là encore la petite fille laissée seule qui se perd au fin fond d’un placard avant de laisser ses parents dans l’angoisse de son non-retour, là enfin un homme qui convoque les esprits des grands romans du passé dans des banquets orgiaques dont il possède la clef. La barrière entre la vie et la mort est bien fine comme le rappelle des indices posés ici ou là, dans un tableau d’Arnold Böcklin, dans des romans dix-neuvième ou dans les actes de chacun des occupants de cet immeuble… Pour tout compagnon de fortune, la jeune femme trouve dans un chat de gouttière une présence rassurante qui lui permet de prolonger son séjour parmi les vivants et de repousser ce moment inéluctable qui la fera rejoindre définitivement les landes de l’immatériel. Elle tombera surtout sous le charme d’un artiste dépressif dont elle se sentira naturellement de plus en plus proche.

Avec Hôtel Particulier Sorel impose la force du récit par un dessin qui peut se substituer à tout dialogue. Le huis clos qui s’impose, au lieu de devenir un enfermement, permet au contraire de dépasser les limites du connu. Ces murs parfois trop proches qui semblent se rapprocher de nous peuvent parfois tomber pour laisser apparaitre ce qu’ils retiennent. D’un point de vue technique la construction au lavis permet de donner un côté volatile à l’œuvre construite, comme si le lecteur se fondait complétement dans le regard fragile de son héroïne. La jeune suicidée ne porte pas sur elle les traits oppressants ou macabres des spectres gothiques qui exhalent leur morbidité. Non, le fantastique de Sorel joue sur une subtilité que renforce le trait, lui offrant un aspect plus harmonieux, moins ancré dans le démonstratif. Sorel emprunte à ses écrivains favoris, de Rimbaud à Baudelaire en passant par Lewis Caroll, Pouchkine et Ono No Komachi des strophes et vers qui laissent planer des effluves de tendresse et de sucs mêlés comme si l’amour devait malgré tout survivre dans les lieux les plus improbables. Des tranches de vie qui donnent une portée symbolique à cet Hôtel Particulier dont le charme opère au point de nous envouter…

Guillaume Sorel – Hôtel particulier – Casterman – 2013 – 17 euros