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La BD du jour : La malédiction de Gustave Babel de Gess



Épais récit habité d’un doux onirisme, La malédiction de Gustave Babel présente le destin d’un homme au seuil de sa mort. Abattu d’une balle alors qu’il a, sa vie durant, lui-même répondu aux contrats d’une mystérieuse société baptisée La Pieuvre, qui délivre la mort jusque dans les tranchées de la Grande guerre, Gustave Babel tente d’assembler les liens d’un destin morcelé dont il n’a jamais réussi à recoller les bouts. Sombre, envoûtant, le récit envahi le lecteur jusqu’à faire vaciller ses certitudes…

La mort rôde partout en ce début de vingtième siècle qui va marquer à jamais les esprits. Dans une Europe vieillissante, sur des champs de bataille où pullulent les rats, la peur et les souvenirs mal définis, en Argentine, et ailleurs, un homme se fait le bras armé d’une terrible faucheuse qui porte le nom de Pieuvre. Une organisation secrète qui décide de la vie et de la mort d’hommes aux destins volatiles. Gustave Babel, c’est son nom, est devenu un expert dans l’art du combat rapproché, capable de sortir indemne ou presque de rixes qui l’opposent à plusieurs hommes pourtant expérimentés. Cette maîtrise lui vaut d’être reconnu à sa juste valeur car tout contrat qui lui est confié accouche d’une mort certaine. Et qu’importe si cette mort n’a pas pour origine l’esprit et les mains de l’émérite praticien. Doté du pouvoir étrange qui le voit maitriser avec une aisance remarquable la plupart des langues connues, l’homme a toujours été proche des hommes sans toutefois pouvoir toujours les comprendre. Frappé d’une amnésie tenace, il a tout ou presque oublié de son passé. Il tentera malgré tout de retrouver des pans de son histoire aidé par une prostituée, qu’il sauve des mains de ses macs, qui fut jadis une amie d’enfance. Cette obscurité laisse parfois apparaître des raies de lumière qui captent l’attention du lecteur et l’emporte dans des ambiances oniriques où rêves, réalités, imaginaires et certitudes vacillent, peut-être pour mieux fondre le lecteur dans ce personnage troublé. Magnifié par l’ombre de Baudelaire, dont les textes ornent de subtile manière les pages de l’album, ce récit fin, admirablement construit, exigeant graphiquement reste l’un des plus ambitieux de ce début d’année. Hypnotique à plus d’un titre chaque case, chaque enchaînement laisse suffisamment de liberté à nos imaginaires pour tenter de s’approprier le récit. Gess, seul aux manettes après avoir beaucoup appris aux côtés de Serge Lehmann, notamment sur ces ambiances sombres de début de vingtième siècle, entre décadentisme et années folles, livre une copie d’une maîtrise rare. Un album qui marque son lecteur bien après la fermeture de sa superbe couverture.
Gess – La malédiction de Gustave Babel – Delcourt – 2017 – 24,95 euros