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La BD du jour : La vie sans mode d’emploi, putain d’années 80 ! de Désirée et Alain Frappier



Que retenir des années 80 ? Quelles images garderons-nous de cette époque charnière marquée par beaucoup d’espoir mais aussi par une crise sans fin ? La légèreté via les images affichées sur les chaines de télévision toujours plus nombreuses ? La montée du chômage, de la rigueur et de la sinistrose ambiante ? La capacité d’une génération à s’adapter ? Tout ça sûrement et plus encore. La vie sans mode d’emploi, c’est pas facile comme nous le conte le destin de Désirée, cette jeune femme pourtant pleine d’ambition…

 La vie

La vie sans mode d'emploiLe récit débute par cet écran qui dévoile avec une lenteur devenue mémorable le visage du nouveau président de la République française. Nous sommes en 1981 et la droite laisse pour la première fois sous la Vème République les rênes du pouvoir à cette gauche qui incarne l’espoir d’une génération biberonnée aux images de mai 68. Parmi eux Désirée décide de prendre son destin en main pour enfin vivre pour elle et non pas à travers le regard des autres et notamment de ce peintre qui peint et repeint le corps de la jeune femme. Tout s’enchaîne très vite, les espoirs dans la rencontre d’un homme en qui elle pense avoir trouvé l’homme de sa vie, une reconnaissance dans son travail de modéliste pour star du box-office qui lui vaut une mise en avant porteuse, l’envie, poussé par une politique qui prône l’initiative personnelle, de créer sa propre entreprise, une SARL qui peut mieux répondre à ses besoins qu’une simple association. Et pourtant le rêve esquissé quelques semaines auparavant doucement se recouvre d’un voile presque transparent qui jour après jour fait perdre du brillant aux espoirs de la jeune femme. Rien de bien perceptible au premier abord, surtout lorsqu’on croit dur comme fer aux promesses affichées et en sa capacité à renverser les obstacles qui se dressent devant soi. Puis, au fur et à mesure que les jours, les semaines, les mois avancent, Désirée passe de l’action à la réaction. Réaction face aux problèmes qui gangrènent son rêve fou et remettent en question ses espoirs devenus château de carte…

L’espérance reste cette fragile matière propre à éveiller les rêves, mais, lorsque tout ne se déroule pas comme prévu, lorsque les grains de sables s’immiscent irrémédiablement dans les engrenages de la grande machine, il faut parfois faire front pour éviter le pire en attendant que la fée clochette parvienne à inverser la roue de notre destin froissé. Mais tout n’est pas si simple. Pour Désirée dont le prénom en lui-même est sujet à discussion pour certaines des personnes qu’elle croise, la vie peut s’avérer cruelle. Des espérances de mai 1981 aux réalités des années qui suivent le grand écart a fait son effet. Elle, provinciale pleine de bonne volonté créera sa propre entreprise à l’aune d’une époque qui encourage les initiatives privées au point de bouleverser une réalité qui démontre, à force de coup de bâtons bien sentis, que les initiatives c’est bien mais ça ne suffit pas ! Désirée, à la faveur de sa rencontre avec Arto, batteur et percussionniste bien introduit dans la sphère du show-biz de l’époque, confectionnera pour les stars montantes, celles-là même qui ne savent plus ce que payer veut dire, puis pour d’autres publics tout aussi fauchés comme ces jeunes désillusionnés des années 80, à peine plus jeunes qu’elle. La jeune femme ira jusqu’à acheter son propre local, qu’elle transformera en atelier-logement. Si la galère pointe malgré une bonne image, Désirée y gagnera surtout du partage avec ses voisins, des gens simples et chaleureux qui passent dans la cour de l’immeuble dont elle occupe le rez-de-chaussée, s’arrête parfois, livrent leur passé, leur crainte du présent et leur espoir en l’avenir. Désirée les écoutera, essaiera de les comprendre, de les encourager, alors même que son parcours à elle n’attire pas forcément les envieux de tous poils. Au travers du parcours de la jeune femme, ce sont toutes les années 80 qui défilent avec les points chauds d’une époque où la liberté ne parvient pas à gommer les difficultés croissantes pour affirmer sa propre existence. Du sida en passant par les manifs étudiantes, la mise en place du plan de rigueur destiné à endiguer des déficits toujours plus importants et la crise des années 70 qui dure et dure encore, toute une époque est exposée au travers du regard de Désirée. Les plus de 40 ans y retrouveront des balises posées-là comme point de repères qui s’affichent comme autant de clin d’œil, les autres y trouveront matière à réflexion pour mettre en relief un quotidien qui n’a pas réussi à s’élever depuis. Au milieu de cette sinistrose, l’espoir, la naïveté, la simplicité des gens simples qui traversent ce récit découvrent une lucarne d’espérances, comme si, même jeté dans la fange d’une société qui se cherche, l’homme pouvait encore et toujours nuancer son présent et illuminer son futur… 

Alain et Désirée Frappier livrent un album simple en apparence qui se nourrit de l’apport de chacun des personnages dépeint avec humanité au fil des planches. Mais avant tout c’est toute une époque qui se trouve revisitée au travers du regard de Désirée, avec ses marqueurs et ses négatifs. Une matière qui donnera des billes aux historiens pour comprendre une époque filante portée par une génération qui a su s’adapter malgré tout et qui ose encore, peut-être plus que les autres, dire non aux évidences.

Désirée et Alain Frappier – La vie sans mode d’emploi, putain d’années 80 ! – Mauconduit – 2014 – 22,50 euros