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La BD du jour : Le chien qui louche d’Etienne Davodeau



Difficile de voir son Art reconnu de son vivant. La plupart des artistes ont obtenu la reconnaissance après leur mort comme s’il y avait une certaine logique dans cette histoire, comme si le talent devenait plus formel, plus éclatant après la mort de son auteur. Benion, auteur du tableau Le Chien qui louche n’a pas laissé une grande trace dans l’histoire. Et pour cause ce personnage fictif dont l’horrible tableau occupe le récit d’Etienne Davodeau va pourtant connaitre une gloire post mortem. Un album « réjouissif » de l’auteur des Ignorants et de Lulu femme nue !

 Le chien qui louche

Etienne Davodeau - Le chien qui louche (2013)Le Louvre reste ce temple du savoir, de l’Art à travers les âges, de cultures et de civilisations disparues exposées à nos modestes regards. Il agglomère tout un lot d’œuvres magistrales passées à la postérité qui alimentent la riche iconographie de quelques manuels scolaires, catalogues d’exposition ou livres d’art : La Joconde bien sûr, Le radeau de la méduse, La Liberté guidant le peuple, Les Noces de Cana, La Victoire de Samothrace… et nous ne parlons pas ici de ses réserves qui feraient pâlir bon nombre de musées nationaux ou régionaux à travers le monde. Cela étant posé une question taraude peut-être quelques-uns d’entre vous : Comment entrer au Louvre ? Quelle œuvre peut prétendre y être exposée ? A priori il n’y a rien de restrictif. Si tant est que l’œuvre en question possède suffisamment de caractère pictural et d’intérêt patrimonial. Mais lorsqu’il s’agit d’examiner la possibilité de faire entrer dans le temple parisien une œuvre quelconque peinte par un obscur paysan de province, l’affaire n’est pas gagné d’avance. L’œuvre en question représente un chien en sujet principal, ce qui en soit s’avère déjà être un handicap majeur. Qui plus est celui-ci louche de manière plutôt… inesthétique. Aucune chance pour ce modeste tableau d’être accroché dans les riches collections du Musée… Et pourtant… Par l’intermédiaire de Fabien, agent de surveillance du Louvre, la donne pourrait bel et bien changer ! Il faut le dire d’entrée, le jeune homme est amoureux fou de Mathilde avec qui il partage sa vie mais pas son appartement. A l’occasion de sa présentation officielle à sa belle-famille Fabien découvre de joyeux lurons, les Benion frères, père et arrière-grand-père de sa chère et tendre. Une fratrie particulièrement soudée qui a tiré son épingle du jeu en vendant des meubles. Ils possèdent le franc parlé et cette capacité à se sentir à l’aise dans n’importe quel contexte. Ils possèdent aussi le fameux tableau du Chien qui louche, fierté de l’aïeul…

La fameuse collection du Louvre livre une nouvelle référence et pas des moindres. Davodeau a choisi de contourner quelque peu le sujet imposé pour proposer un récit qui se niche non pas majoritairement dans l’immense musée parisien, mais prend naissance autour de personnages singuliers, placés dans un contexte décalé. La belle famille de Fabien possède du caractère, une sacrée dose de potentiel comique et cette volonté farouche de faire exposer l’œuvre de leur ancêtre dans une des galeries illustres du Louvre. Comme le dit un certain M. Balouchi, à la tête d’une société secrète baptisée La République du Louvre, qui détiendrait une influence manifeste sur les décisions prises quant aux acquisitions futures et à la politique générale du Musée « grâce à la demande de la famille Benion, la République du Louvre se trouve devant un cas de figure inédit : ces gens qui voudraient faire entrer une toile au Louvre, sont en train d’inventer quelque chose qui serait l’inverse d’un cambriolage, voilà un concept qui devrait nous intéresser ? » Et pour cause ! Le dessinateur livre donc un récit dont il a le secret, autour de personnages ordinaires dont les vies un peu lisses auraient du mal à nous passionner. Le sujet central reste donc bel et bien cette toile dont découle toute la trame du récit. Un chien qui louche… L’histoire exposée ici garde ce détachement nécessaire et salutaire. Le potentiel comique fonctionne plutôt bien et la dégringolade d’évènements non maitrisés, mêlés à ce récit d’amour tendre sur lesquels se greffe une étonnante et inconnue société secrète parachève de nous conquérir. Un moyen astucieux pour l’auteur de nous faire découvrir le Louvre, par des chemins de traverses qui pourraient bien influer nos regard lors de prochaines visites. Superbe !

Etienne Davodeau – Le chien qui louche – Futuropolis – 2013 – 20 euros