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La BD du jour : Les Intrus d’Adrian Tomine



En grand observateur de ses contemporains, l’Américain Adrian Tomine livre dans Les Intrus une galerie de six portraits qu’il décortique pour nous dans leur recherche de stabilité et de bonheur alors qu’ils paraissent pourtant bien souvent à bout de souffle…

Tomine Une
Les intrus

Les Intrus d’Adrian Tomine – Cornélius (2015)

Ce sont des types ou des nanas somme toute ordinaires, des personnes pas forcément à leur place dans un monde qu’ils peinent à comprendre et qui ne les comprend pas non plus. Des gens comme on en croise tous les jours dans nos quotidiens. Parfois on se joue à penser : tiens quelle peut bien être la vie de cet homme ou de cette femme ? Si on creusait sous la surface des choses on découvrirait que ce moustachu au look passé pense avoir trouvé une nouvelle manière de concevoir l’art en mêlant la sculpture et l’horticulture. Que cette fille plutôt mignonne ressemble à quelqu’un dont le visage (ou les charmes) ne m’est pas inconnu… Ah oui voilà ! C’est Amber Sweet, la nouvelle star du porno… A moins qu’il ne s’agisse de son double parfait ! On découvrirait aussi que cette jeune fille qui semble mal à l’aise dans sa peau a débuté un traitement de choc pour bousculer son terne destin. En défiant les évidences elle s’essaye au stand-up, cette forme d’humour improvisé qui ne permet aucun mauvais goût, aucune approximation ou si peu.
Adrian Tomine se plaît à observer de manière minutieuse les destins de sombres inconnus comme il avait pu le faire par exemple dans Blonde platine ou Insomnie et autres histoires. A la manière d’un Gus van Sant ou d’un Jim Jarmush, il le fait sans jamais juger, laissant à nos regards le soin de nous hasarder dans des tranches de vie banales, décalées, sans sel et sans espoirs de cette classe moyenne américaine. Souffrant de leurs amours évanouis, de leur difficulté à communiquer, de leur détachement au réel, eux qui, pourtant, se le prenne souvent en pleine face, ces antihéros un brin décalés, aspirent à mieux mais ne s’en donnent pas toujours les moyens. Ils forment ce qu’Adrian Tomine nomme les Intrus.
Lorsque le dessinateur américain décide, il y a tout juste un quart de siècle, de coucher sur papier ses premières histoires dessinées il ne sait pas encore que l’exercice accouchera d’un des plus singuliers panoramas du comics indépendant américain. Depuis ses débuts Adrian Tomine décrit des destins qui, chacun à leur manière, composent un des chapitres de ce mal-être qui gangrène notre société. Dans un style qui vise à l’épure, il expérimente constamment de nouvelles formes de narrations et de découpages. Dans Les Intrus, il compose une partition faite de pleines pages qui répondent à des damiers de huit, douze, seize ou vingt cases par planches, alternant la proximité avec ses personnages et leur environnement et les cadres élargis voire envahissant comme dans la nouvelle Traduit du japonais où le personnage n’apparait que par le biais d’une voix-off qui récite les grandes phases d’une vie à deux aujourd’hui révolue. La forme se veut ainsi au moins aussi importante que le fond construisant au travers de chaque histoire un trombinoscope des plus décapants sur une époque qui ne ménage pas forcément les femmes et les hommes qui la composent… Un album essentiel dans la lignée d’une œuvre qui l’est tout autant.

Adrian Tomine – Les Intrus – Cornélius – 2015 – 23,50 euros