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La BD du jour : Sur les ailes du monde, Audubon de Grolleau & Royer



 

Le nom d’Audubon, même s’il est encore donné à quelques rues ici ou là, ne dira pas grand-chose au commun d’entre nous. Cette lacune collective, le naturaliste Jean-Jacques Audubon, la doit à sa naturalisation américaine dans sa prime jeunesse. La Grande œuvre de ce scientifique-aventurier reste pourtant d’une importance majeure. Retour en récit graphique, sur le destin de l’homme…

Audubon
Couverture

Sur les ailes du monde, Audubon de Grolleau & Royer – Dargaud (2016)

Lorsqu’il est reçu par le président Tyler qui voit dans les travaux de John James Audubon un intérêt scientifique majeur pour la jeune nation américaine, le naturaliste d’origine française n’en a pas encore fini avec son projet pharaonique de répertorier et dessiner de manière exhaustive les espèces animales présentes sur le territoire américain. Il a pourtant déjà livré ce qui le fera connaitre aux yeux de tous, un impressionnant recueil d’aquarelles présentant 435 espèces différentes d’oiseaux à qui il a donné véritablement vie. Arrivé au Etats-Unis en 1803 pour fuir la conscription obligatoire en tant de guerre sous le règne sanglant du futur empereur Napoléon 1er, Jean-Jacques Audubon s’installe dans la petite ville de Henderson dans le Kentucky où il vit avec sa femme des fruits d’une scierie et d’un moulin. Mais les affaires ne sont pas aussi florissantes qu’espérée et le jeune ornithologue choisi de fuir le sort qui lui est réservé et, encouragé par sa femme, entreprend le grand voyage qu’il a toujours rêvé d’accomplir, à savoir le grand tour des Etats-Unis pour répertorier l’ensemble des oiseaux qui peuplent ses plus denses forêts. Ce grand voyage au goût d’aventure, Audubon le débute en 1810. Il durera une grosse quinzaine d’années, au cours desquelles il sera accompagné, presque jusqu’à son terme, par deux compagnons de route, Joseph, un apprenti dévoué et Shogan, un indien pisteur.
La biographie n’est pas forcément l’exercice le plus facile qui soit car le risque de dresser un portrait enjolivé du personnage auquel on consacre son récit, reste un des pièges majeurs. Ici Fabien Grolleau, plus connu pour son travail d’éditeur chez Vide Cocagne, nous livre un récit tout à la fois dense, qui reprend la plupart des faits marquants de la vie du naturaliste aventurier tout en n’occultant pas un des grands griefs porté à sa décharge, à savoir sa méthode de travail qui consiste à tuer d’abord l’oiseau qu’il va ensuite peindre dans des pauses « vivantes » et réalistes. On doit à Audubon la fameuse phrase : « Je dis qu’il y a peu d’oiseaux quand j’en abats moins de cent par jour » reprise par Fabien Grolleau qui dénote peut-être cette insouciance face à des espèces dont certaines sont menacées. Pour autant l’homme n’aurait sans doute jamais pu livrer la trace des espèces qu’il a rencontrées s’il n’avait pas procédé de cette façon dans sa quête effrénée à la nouvelle espèce. Le récit ne se résume pourtant pas à cette vision contradictoire. Si la divergence d’opinion quant à la manière de représenter les espèces reste l’un des faits marquants de sa carrière scientifique – Audubon s’opposa à l’académisme d’Alexander Wilson avec qui il se brouilla pour avoir refusé de souscrire à son projet encyclopédique American Ornithology – et Grolleau l’évoque tout au long du récit sous la forme de vieux démons ressurgissant dans les pires instants de la vie d’Audubon, Sur les ailes du monde ne se résume pas qu’à cela, il donne à voir une Amérique encore préservée dont Audubon perçoit la menace qui pèse sur elle : Nous devons peindre ces oiseaux maintenant, alors qu’ils vivent par milliers dans leur écrin des premiers jours du monde, car, je le crains, bientôt il sera trop tard dit-il dans une de ses correspondances. Le récit dessiné s’attache ainsi à mettre (aussi) en avant, par moments choisis, une Amérique originelle, celle des primo-occupants, qui se voit menacée par l’arrivée massive de nouveaux colons. Au dessin Jérémie Royer livre une copie totalement en phase avec le propos, excellant dans la représentation des espèces évoquées comme cette moucherolle qui accompagne le néo-américain dans les premiers moments clefs de sa vie à Henderson. Le découpage laisse une grande place à la représentation du cadre, de cette nature encore préservée, donnant au récit des nuances poétiques qui le servent. Très belle découverte que le portrait de ce scientifique-peintre oublié en France mais qui jouit d’une côte de popularité croissante aux Etats-Unis ! Un récit marquant une fois reposé l’album.

Grolleau/Royer – Sur les ailes du monde, Audubon – Dargaud – 2016 – 21 euros