Un homme parcourt le nord de la Louisiane sur une ligne de front de la guerre de sécession. Imbibé d’alcool il essaye de soulager une conscience mise à rude épreuve. Et pour cause, lors d’une mission menée proche d’un camp ennemi, il tue accidentellement une jeune fille. Celle-ci va le hanter jour et nuit et le pousser vers une aliénation presque totale avec le monde qui l’entoure…

Il est parfois difficile de vivre avec son passé. Trop lourd à porter il peut nous hanter jusqu’à une heure avancée de la nuit et transformer nos rêves en cauchemars sordides. Chaque instant peut ainsi devenir un moment qui nous marque à jamais. Donner la vie, la reprendre et vivre avec pour finir de rompre le lien qui nous rattache au réel, au palpable et nous plonge dans ces abysses fantasmagoriques desquelles il est manifestement difficile de sortir.

Janvier 1863 en Louisiane. Un homme monte sur une diligence en direction de Lake Providence, à 50 lieues à peine de Vicksburg où se jouera, quelques mois plus tard, un épisode sanglant de la guerre de sécession. Il cause peu et son regard semble absent. Il se nomme Doyle et sitôt arrivé en ville se dirige vers un cabinet médical pour une douleur à la jambe qui le relance sans cesse. Le médecin lui donnera du laudanum qui, mieux que la morphine, calmera la douleur et lui permettra de dormir pour récupérer de son voyage. Une fois dehors il se dirige vers le saloon, traverse l’espace qui le sépare du bar et commande un whisky. Puis demande une chambre pour passer la nuit. Il en ressortira quelques heures plus tard pour voler dans le cabinet médical voisin un flacon de morphine… Plongé dans un entre-deux il se souvient du passé, de cet épisode de guerre où, caché dans les hautes herbes à épier un campement de l’armée confédérée, il se verra donner l’ordre, en tant que tireur d’élite, d’abattre un général bedonnant. Il s’exécutera et parviendra à son objectif… Mais tuera au passage une jeune fille nichée dans les bras de l’officier. Cette fille le hantera dès lors nuit et jour comme pour le contraindre, au repentir, à repenser son acte et comprendre pourquoi la mort l’a fauchée elle, l’innocence même.

Le premier volet de ce triptyque psychologique pause le cadre de l’action à venir. Doyle, un soldat hanté par le fantôme de la fillette qu’il a abattu navigue en Louisiane sur la ligne de front de futurs combats sanglants. La guerre de sécession fait rage. Des hommes s’y fourvoieront et accompliront des actes qui les dépasseront. Doyle fait partie d’eux. Pas forcément mauvais, homme du rang quelconque placé là sans adhérer forcément à la cause défendue par son camp, sa vie sera changée à jamais, le poussant dans un rêve éveillé permanent duquel il n’émergera que pour s’envoyer quelques rasades d’alcool bon marché. Le scénario de Séverine Gauthier suit la descente aux enfers d’un homme. Les dialogues sont rares, tout comme les explications contextuelles. Cela révèle par là même la qualité du traitement graphique de Benoît Blary qui distingue le passé, décliné en traits nerveux aux crayons de couleurs, du présent à l’aquarelle plus volatile. Le découpage dynamique, le traitement des plongées, contre-plongées, le jeu de regards participent à une mise en ambiance très cinématographique, digne des plus grands westerns. La suite de cette série déjà convaincante devrait nous réserver un déroulé à la hauteur de nos espérances !

Gauthier/Blary – Virginia T1 : Morphée – Casterman – 2013 – 14,95 euros