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La BD-polar du jour : Trou de mémoire de Seiter & Regnauld



Vous savez, depuis le très dense focus réalisé il y a tout juste un an, que le récit policier, sous toutes ses formes, intéresse la rédaction de MaXoE Bulles. Et, à l’approche de Noël, nous ne pouvions passer à côté des sorties récentes du genre. Nous vous proposons donc de découvrir pas moins de neuf récits qui apportent ce grain de sel fait d’un suspense de tous les instants qui caractérise les bons polars. Descente dans les ruelles sombres, les atmosphères moites, les bars miteux ou les voisinages inquiétants et parfois austères. Bienvenue sur des territoires qui laissent si peu passer la lumière…

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Trou de mémoire de Regnauld & Seiter – Ed. du Long Bec (2015)

Un homme gît au pied de cabanons situés dans une zone portuaire désertée par la nuit. La pluie qui claquette autour de lui le réveille enfin. Il avait perdu connaissance et la plaie ouverte localisée à hauteur de sa tempe droite confirme qu’il a bien été pris à partie par quelqu’un qui a fui sans demander son reste. Juste à côté de lui il découvre un revolver qui pourrait avoir servi et, un peu plus loin, le corps sans vie d’une femme. L’homme tente alors de recomposer ce qui a bien pu se passer juste avant qu’il ne fasse le grand saut vers d’autres cieux mais ses souvenirs ne parviennent pas à refaire surface. Pire que ça l’homme découvre horrifié qu’il a perdu en totalité la mémoire et, même après de longs instants de récupération, il ne peut que se rendre à l’évidence : il devra se contenter du peu d’éléments en sa possession (fonds de poche) pour mener sa propre enquête et tenter de savoir qui il est et ce qu’il a bien pu arriver au cours de cette soirée a priori agitée… Une boîte d’allumettes dégottée dans une poche l’oriente vers un hôtel localisée sur Sutter Street à San Francisco. Un San Francisco qui se révèle dans toute sa dimension tel un labyrinthe qu’il faudra domestiquer. Juste avant qu’il ne décide de se reprendre en main l’homme jette maladroitement le révolver trouvé à ses côtés dans les eaux du petit port où il se trouve. Geste ô combien préjudiciable pour son propre futur. Car la police va, sans aucun doute, draguer les eaux qui bordent les cabanons de cette partie du port et se retrouver bien vite sur ses pas.
Le récit noir s’est souvent engouffré dans la brèche ouverte que pouvait représenter l’amnésie de ses personnages. En littérature Frédéric Dard (Le bourreau pleure), Mary Higgins Clark (Nous n’irons plus au bois), Frank Thilliez (La mémoire fantôme), Antoine Volodine (Dondog) ou encore Serge Brussolo (La fille de la nuit) ont ainsi nourrit leurs récits des mystères attachés à ce vide créé par une mémoire défaillante. En BD la série XIII, la plus connue, surfe sur la même vague. Au cinéma récemment c’est Jason Bourne (sur un récit de Robert Ludlum) qui plaçait son héros sur le chemin de la reconstruction de son identité perdue. Pourquoi un tel intérêt pour l’amnésie dans le polar ? tout simplement car elle permet de développer d’une part un suspense qui s’alimente des zones d’ombres et des recouvrances soudaines de pan de souvenirs oubliés, d’autre part car elle permet de développer un récit à double trame : celle du polar (il y a souvent un crime dans les parages à résoudre) et celle de la récupération de la mémoire du héros qui ne se fait pas forcément dans la douceur. Dans Trou de mémoire le héros se réveille auprès d’une femme qu’il semble avoir abattu, à moins que quelqu’un ait voulu lui faire porter le chapeau. Toujours est-il que notre homme qui a perdu l’intégralité de sa mémoire (jusqu’à son propre nom) va effectuer un voyage sinueux en Amnésie, cette terre friable sur laquelle les tremblements de terre fracturent le réel en créant des hiatus dans une conscience en pleine reconstruction. Ici l’homme aux multiples passeports se révèle être un tueur recherché sur le marché des hommes de mains. Un tueur capable de faire mouche un fusil à la main sur une cible placée à près d’un kilomètre. Ça, notre héros va le supposer puis le deviner dans l’enquête qu’il mène pour retrouver son identité. Mais il devra composer aussi avec la police lancée sur ses traces… Polar classique donc mais parfaitement maîtrisé dans sa construction, et dans les effets distillés çà et là. Le dessin quant à lui, composé sur des tons bichromatiques (tantôt à base d’ocre, tantôt à base d’un bleu gris métallique) se fond dans le récit dont il soulève et accentue le mystère. Une des très bonnes surprises polar de cette fin d’année !

Seiter & Regnauld – Trou de mémoire T1 : Gila Monster – Editions du Long Bec – 2015 – 15,50 euros