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La Première guerre mondiale : La guerre et après (2ème partie)

Lorsque l’Allemagne brise la neutralité de la Belgique, entraînant une guerre à l’échelle mondiale, il ne fait aucun doute, dans l’esprit de la plupart des Français engagés de la première heure, que le retour dans les familles sera rapide, au point que, sur les quais des gares, des promesses de passer le Noël à venir ensemble semble s’imposer. Il n’en sera rien, et, bien au contraire, ceux qui reviendront les premiers seront tout simplement les premières victimes de ce conflit sanglant. En novembre 1918, lorsque l’Allemagne dépose les armes, le bilan de ce conflit dépasse l’entendement, tant en pertes humaines qu’en blessés meurtris dans leur chair et dans leur âme. Les millions de morts des deux camps laissent fleurir jusque dans les villages les plus reculés des monuments aux morts sur lesquels la liste des soldats tombés parait interminable, laissant des femmes sans époux et des enfants sans père. La bande dessinée aborde de façon plutôt documentée et juste la thématique des conséquences du conflit, notamment au travers de deux sujets majeurs que nous vous proposons d’explorer, à savoir les « gueules cassées » et l’utilisation des gaz chimiques.

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Petites histoires de la grande guerrePetites histoires de la Grande guerre. Le titre se veut modeste et pourtant riches de promesses. Sous la houlette de Kris auteur sur le sujet de Notre mère la guerre aux côtés de Maël, nous sont contées vingt histoires qui développent pour la plupart des thématiques peu explorées jusqu’alors comme le rôle des femmes et à travers elles des infirmières, les veuves trop nombreuses et bien trop jeunes, le jeu de l’oie devenu Jeu de la Victoire, terreau de propagande, la musique, la peinture et le photographie de et dans la guerre… Les sujets plus « classiques » comme les gueules cassées, l’aviation, le Lusitania ou les armes utilisées durant le conflit (mitrailleuses, chars, gaz chimiques) le sont par des angles d’approches originales qui évitent les redites.

Chaque histoire de cet album souvenir de la Grande guerre se décompose concrètement en deux parties. La première, sur la page de gauche, évoque une thématique envisagée sous son angle historique tandis que la seconde, sur la page de droite en présente la lecture par Kris sous forme d’un récit bref en une planche dessiné par un auteur différent (A. Dan, Vincent Bailly, Benoit Blary, Olivier G. Boiscommun, Daniel Casanave, Hardoc, Fabrice Le Henanff, Maël, Marko, Emmanuel Moynot, Thierry Boulanger, Laurent Cagniat, Stéphane Créty, Damien Cuvillier, Etienne M, Thierry Martin, Sébastien Morice, Alain Mounier, Pascal Regnauld et Lucien Rollin).

L’album va à l’essentiel, le sujet n’étant pas d’aborder les sujets de manière fouillée mais de poser des balises, des éclairages nouveaux sur des sujets engendrés par la guerre. Au final on se dit que si cette période n’a pas véritablement épargné les hommes et les femmes, peut-être que l’espoir, cette donne motrice de la vie des hommes, n’est pas tout fait oubliée ou sacrifiée comme le prouve le travail présenté sur cette gueule cassée aspirant elle aussi au bonheur… Un précieux petit ouvrage à l’approche originale.

Kris (et vingt dessinateurs) – Petites histoires de la grande guerre – Kotoji – 2014 – 15 euros

 

Mathurin Méheut, 1914 – 1918, des ennemis si proches

Mathurin Méheut, 1914 – 1918, des ennemis si proches d’Elisabeth et Patrick Jude – Ouest France

Pour beaucoup d’entre nous le nom du peintre Mathurin Méheut évoque peu. Le talent de l’artiste n’est pas remis en cause, bien au contraire, mais les choix de carrière de celui-ci feront que le travail de peinture passera au fil du temps après celui de décorateur, d’illustrateur et de céramiste. A l’initiative de la famille de Méheut voit pourtant le jour un ouvrage singulier, Mathurin Méheut, 1914 – 1918, des ennemis si proches (Editions Ouest-France) qui reprend des lettres illustrées composant la correspondance entretenue avec sa famille durant la première guerre mondiale. Mathurin Méheut, pour reposer le contexte, après des études brillantes aux Beaux-Arts de Rennes, suit un cursus à l’Ecole nationale des arts décoratifs et se destine à une carrière de peintre et d’illustrateur. En 1913 il décroche une bourse très prisée de la part de la fondation Albert Kahn qui lui permet de se rendre avec sa femme en Asie et notamment au Japon. Lorsque la première guerre mondiale éclate en Europe Mathurin Méheut se trouve donc loin de France. Il répond pourtant à l’ordre de mobilisation. Fantassin dans les tranchées, il se fait remarquer par ses travaux au dessin qui lui permettent d’intégrer le service topographique au sein duquel il finira lieutenant. Si nombre d’artistes se trouvent coincés dans les tranchées creusées sur le front de l’ouest, peu livreront un témoignage comme celui du peintre de Lamballe. Et pourtant comme le précise François Robichon en préface de l’ouvrage : Force est de constater que Méheut ne travaille pas pour la postérité – peut-on sérieusement songer à l’avenir au fond de la tranchée ? – mais pour survivre et surtout communiquer avec ses proches. L’instrument privilégié de cet exercice quasi quotidien, c’est le stylo Waterman qui permet sur une même feuille de cahier d’écolier ou de papier quadrillé d’associer dessin et texte, le premier donnant l’ambiance de la lettre. Ces lettres illustrées donnent pourtant à voir la guerre comme si nous étions dans la tranchée, avec ses scènes du quotidien, le regard des hommes, celui sur les villes ou les campagnes détruites ou « abimées ». En cela la compilation des lettres offre un témoignage précieux sur la vie des soldats du rang, souvent sacrifiés sur le no man’s land lors d’attaques suicidaires. Pour autant le peintre ne donne pas à voir les scènes crues des combats. Pas de corps démembrés, pas de sang répandu sur la neige en hiver, ni de regards troubles de soldats perdus dans un conflit qui les dépasse. Ce choix, dicté par la nécessité de ne pas inquiéter sa famille bretonne, permet au peintre de se distinguer d’autres artistes de son temps – présents ou pas sur les champs de batailles – qui laissent libre cours à leur vision sombre des combats (Ossip Zadkine, William Orpen, Frans Masereel, Eric Kennington, George Grosz…). Méheut va même plus loin en peignant la vie au sein de la tranchée ou sur ses abords immédiats. Il donne une fantastique preuve de la richesse de la nature qui reprend parfois le dessus, la flore mais aussi la faune deviennent ainsi des sujets d’études. Preuve que l’on peut représenter la guerre autrement…

L’ouvrage d’Elisabeth et Patrick Jude donne à voir les principaux extraits des dessins, études, crayonnés, peintures réalisées au cours du conflit par Mathurin Méheut qui, il faut le noter traversera la guerre jusqu’à sa démobilisation. Comme son sous-titre l’indique (« des ennemis si proches »), les deux auteurs s’attachent à mettre en parallèle les travaux du peintre breton avec ceux de l’ennemi qui niche souvent à quelque mètres de là dans la tranchées d’en face. On retrouve dans les représentations de Hans Von Hayek, Franz Klemmer, Oskar Graf, Otto Dix, Josef Lutzenberger, Ernst Vollbehr ou Albert Reich des scènes très proches, qui décrivent les mêmes terrains de guerre, les mêmes problématiques, les mêmes destructions de ville. Ce travail de mise en relief de l’œuvre de Méheut comparée à la représentation d’autres artistes, qui plus est des artistes du camp ennemi, densifie la portée de son message. Un message qui devient dès lors universel et décloisonné des sillons creusés dans cette terre dont nombre d’hommes ne repartiront jamais…

Elisabeth et Patrick Jude – Mathurin Méheut, 1914 – 1918, des ennemis si proches – Editions Ouest-France – 2014 – 25 euros

 

Et aussi…

(chronique publiée précédemment le 09/03/2012)

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Pour un peu de bonheur T1 de Galandon & Dan – Grand Angle

Tragédies des tranchées. Dans ces saignées pullulant de rats, de peur et de sang dans lesquelles la boue souille les corps et, avec le temps, les âmes perdues, se forge l’histoire dans tout ce qu’elle possède d’horreur. Nous avons déjà beaucoup écrit sur ce conflit, présenté des histoires au cœur de l’Histoire, des destins brisés des espérances déçues et le noir qui habite toujours plus l’esprit de ceux qui sont au centre de l’action.

Pour Félix Castelan la guerre n’a pas été tendre. Un éclat d’obus passé trop près lui arrache la moitié du visage et avec lui sa jeunesse, son insouciance et ses joies. De retour dans son village le jeune homme devra reconstruire sa vie. Le visage meurtri par la guerre laisse une signature indélébile qui génère ses fiels de messes basses, de ragots et d’apitoiements qui enfoncent toujours plus Félix dans un marasme dont il ne possède pas la clef de sortie. L’homme devra réapprendre à vivre tel qu’il était avant son séjour prolongé en hôpital. Une fois effectué ce chemin, il se rend compte qu’il doit aussi s’affranchir du regard des autres Les enfants du village essayent d’apercevoir ce visage cassé dans un défi dont ils ne mesurent pas la portée, comme ils ne mesurent pas la difficulté pour Félix à reconquérir le regard des siens : sa femme, son fils pour qui il n’est finalement personne ou si peu de chose, et en tout cas pas digne de fierté. Cette reconstruction, la deuxième après celle de son visage, passera par des moments de doutes. Forcément. Des moments durant lesquels il devra faire abstraction de l’effroi aperçu dans le regard de sa femme alors qu’il lui révèle son visage différent de celui qu’elle a connu. Elle devra aussi lui prouver qu’il peut avoir confiance en elle, alors qu’elle a connu un moment d’égarement fautif dont les villages raffolent pour alimenter les discussions de comptoir. Et la tâche ne paraît pas aisée, elle qui éprouve du mal à afficher sa nudité à son homme qui lui porte le même regard d’amour. Cet amour de Félix pour ses proches sera la clef. Blessé, il s’attache aux choses imperceptibles, ces moments volatiles qui n’atteignent que trop rarement les personnes qu’il côtoie.

Avec ce récit sensible sur le destin d’une gueule brisée, Galandon prolonge le travail de Cothias et Ordas sur la médecine de guerre – et les sacrifiés de la nation – entrevue dans Ambulance 13 (Grand Angle). Le récit se veut simple dans sa trame, même si une sombre histoire d’abatage sauvage d’animaux se greffe au récit, il joue par contre sur les perceptions, les petits gestes, les moments éphémères de joie partagés, les petites victoires de reconquête de son entourage par Félix. Dan quant à lui démontre que le dessin peu se lier véritablement au récit pour non pas le suivre passivement mais accentuer les moments de doutes, les regards baissés, et les peurs contenues. Un récit qui fait mouche.    

Galandon et Dan – Pour un peu de bonheur – Grand Angle – 2012 – 13,50 euros

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(chronique publiée précédemment le 30/04/2013)

POUR UN PEU DE BONHEUR

Pour un peu de bonheur T2 de Galandon et Dan – Grand Angle

Après bien des troubles, le soldat rentre chez lui. Il n’est plus le même, brisé mentalement par une guerre d’une violence sans commune mesure, ou meurtri dans sa chair par un éclat d’obus qui lui a arraché un bras, une jambe ou la moitié du visage. Les poilus resteront les soldats sacrifiés de la nation. Morts dans les tranchées, leurs noms fleurissent les monuments exposés sur les places publiques de villages qui ont payé un cher tribu à la folie des hommes. Ceux qui ont échappé à la mort sont revenus en héros, titre symbolique, si dur à porter, quoique l’on se méfie parfois de celui qui réussit à échapper aux balles. Comment survivre dans ces tranchées, véritables mouroirs à ciel ouvert ? Comment, si ce n’est en se cachant derrière des abris de fortune, en refusant de monter à l’assaut ou en priant pour que la faux frappe plus à droite ou plus à gauche mais jamais sur soi ? Dès lors, les survivants firent l’objet de questionnements dans des campagnes où pullulaient les veuves… car ils faisaient offense aux morts ou pire défiaient la Mort qui n’avait visiblement pas réussi à parachever son travail de sape. Dans ce climat peu propice à la reconstruction, certains ne devaient jamais retrouver espoir en la vie… Des histoires comme celle-ci furent légion, oubliées par l’artifice du temps qui, à défaut de recoudre les plaies, en efface les plus profondes saignées.

La guerre n’a pas épargné Félix Castelan. L’homme revenu chez lui arbore un masque qui cache une moitié de son visage. Gueule cassée disait-on pour ne pas s’attarder sur une blessure parfois encore ouverte. Dans le premier volet de ce diptyque, l’homme avait débuté son travail de reconstruction. Reconquérir sa femme, son fils, ses proches. Essayer de retrouver goût à la vie, aimer encore et peut-être oublier ces images qui se percutent toujours dans la tête. Chalenge de taille, s’il en est pour cet homme somme toute ordinaire et pourtant si représentatif. Censé être revenu sur des terres paisibles, sa campagne s’agite pourtant peu après son retour. Un homme tue des bêtes au fusil et sème la terreur sur les villageois. Qui est-il, quels sont ses mobiles ? Œuvre d’un agité du ciboulot ou règlement de compte sordide ? C’est à ces questions que devra répondre l’enquêteur Nivoix tout droit dépêché de Paris et qui arbore une réputation à faire frémir les criminels de tout poil. Félix, quant à lui, verra progressivement les regards changer. Il construira pour son fils un engin volant, sorte de montgolfière portée par la seule force du vent qui lui permettra de surplomber la campagne environnante. Cette invention ingénieuse sera une aubaine pour Nivoix qui sollicitera l’ancien soldat pour l’aider à démasquer, du haut de sa nacelle, le criminel qui terrorise la campagne. Pourtant, à trop vouloir mettre en lumière l’origine du mal, on démasque parfois d’autres vérités ou maux cachés plus cinglants et plus durablement inscrits dans les chairs… Un récit force fait de rebondissements qui alimentent et rythment constamment l’intrigue, jusqu’à sa dernière case…

Galandon & Dan – Pour un peu de bonheur T2 – Grand Angle – 2013 – 13,70 euros


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