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La Première guerre mondiale : Les fronts lointains (1ère partie)



Si l’image attachée à la Grande Guerre reste sans conteste celle des tranchées creusées de la Belgique à la Suisse sur un réseau de près de 800 km, il faut se souvenir que ce conflit a touché nombre de pays sur les cinq continents. La Triple Entente (Russie, France, Empire Britannique) entra en guerre contre l’Allemagne et l’Empire Austro-hongrois dès les premiers jours d’août 1914. La Belgique, envahie contre sa volonté par les armées allemandes, devait résister et entrer elle-aussi, contre toute attente (le pays étant neutre), en guerre. L’Italie, membre de la Triplice aux côtés de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie décida finalement pour des raisons géostratégiques de rejoindre les forces de l’Entente, tout comme le firent notamment les États-Unis (6 avril 1917), la Grèce (2 juillet 1917), le Japon, le Royaume du Monténégro, les colonies britanniques (Nouvelle-Zélande, Canada, Australie) ou la Serbie. De l’autre côté l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie pouvaient compter sur la Bulgarie, l’Empire ottoman et dans une moindre mesure, la Lituanie, la Finlande, le Sultanat du Darfour ou la Géorgie. La répartition de ces pays sur la planisphère amena à multiplier les zones conflictuelles et donc les fronts.

 Entre les lignes 9bis

Traditionnellement il est distingué, hors du front de l’Ouest qui draine le plus de soldats, six autres points chauds : Le front italien qui s’anima dès le mois de mai 1915, le front d’Europe de l’Est, autour de la Pologne, celui des Balkans où tout a commencé, le front du Moyen-Orient qui débuta de la pire des façons dans les Dardanelles, le front africain, moins dense qui opposa les nations du nord par empires coloniaux interposés et enfin la bataille de l’Atlantique qui mis aux prises la flotte allemande et notamment ses sous-marins, les fameux U-Boot et les cuirassés alliés sous toutes les latitudes, des Falklands et Papeete au Jutland et au détroit de Muhu.

Le neuvième art traite de manière souvent convaincante de ces fronts plus ou moins « lointains ». A chaque fois des moments clés présentent le contexte de l’époque de cette guerre tentaculaire.

FRONT ITALIEN

Lorsque la guerre éclate à l’été 1914, l’Italie, traditionnellement proche de l’Allemagne et de l’Empire Autro-hongrois, décide de ne pas s’engager dans le conflit arguant que ces positions ou celles de ces alliés directs n’étaient pas menacées et qu’elle aspirait à la paix. Contre toute attente elle signe un accord secret à Londres le 26 avril 1915. Cet accord lui promettait, en cas de victoire, de récupérer les territoires irrédentes rattachés à l’Autriche-Hongrie lors du traite de Vienne de 1815 (notamment Trieste, l’Istrie et le Trentin). Dans cette optique l’Italie déclare la guerre à l’Allemagne le 23 mai 1915. Très vite les troupes se figent au Nord dans la région de l’Isonzo. Le front italien se développe comme son homologue de l’Ouest à savoir sous la forme de tranchées abritant les soldats des deux camps. Une particularité majeure tout de même les sillons étaient creusés dans la roche et dans les glaces des Alpes à plus de 3000 mètres d’altitude. Robbie Morrison et Charlie Adlard en font une représentation saisissante dans La mort blanche. Dans cet album les deux auteurs présentent en outre un des aspects de la guerre encore méconnu, celui qui se déroula dans les montagnes du Trentin et qui donna lieu à des avalanches déclenchées volontairement pour enrailler l’avancée des troupes. 60 000 à 100 000 soldats furent tués de cette manière. Un chiffre abyssal.

Front italien

La dureté des combats mais aussi le fait que la population italienne était majoritairement pour la paix incita nombre d’appelés à déserter le front. Recherchés, certains trouvèrent refuge en France proche de la frontière. Dans Les Croquignard, Bandits fantômes dans les Alpes le dessinateur Quebeuls représente le destin de certains d’entre eux qui se livrèrent à des rapines parfois sordides et qui, se sachant condamnés à la peine capitale, ne reculaient devant aucun crime. 750 soldats italiens furent condamnés à mort et fusillés pour désertion durant la Grande guerre

Les Croquignard, Bandits fantômes dans les Alpes

En Octobre 1918 les Italiens décident, renforcés par six régiments de l’Ouest (français, britanniques et américains), de lancer une offensive sur Vittorio Veneto. En à peine plus de dix jours l’armée italienne enfonce les troupes austro-hongroises dont les soldats se rendent face à l’ennemi par dizaine de milliers. L’armistice est signé le 3 novembre.

FRONT D’EUROPE DE L’EST

Lorsque l’assassinat de l’Archiduc François-Ferdinand intervient le 28 juin 1914, un enchainement de faits va précipiter l’entrée en guerre des grandes puissances. La Russie, en soutien à la Serbie qui est accusée au travers de l’organisation La Main noire d’avoir perpétrer ou faciliter le crime, va masser ses armées sur  la partie ouest de son empire pour faire face à l’Allemagne. La guerre devenue inévitable, un front se constituera avec une mobilisation d’hommes colossale (plus de 20 millions d’hommes tout camps confondus).

La BD ne rend que peu compte des évènements qui se sont déroulés sur ce point chaud du conflit. Pour le front de l’Ouest, soutenu par les forces britanniques, françaises et belges, le front de l’Est permet de diviser les forces allemandes qui doivent de fait répartir leur artillerie. Lors de la bataille cruciale de Verdun qui se déroula sur une grande partie de l’année 1916, il sera demandé aux forces alliées de soulager les armées françaises malmenées. Les britanniques débuteront la bataille de la Somme. Les Russes eux lanceront une offensive par le général Broussilov qui devait soulageait non seulement Verdun mais aussi le front italien.  

L’illustration en tête d’article dépeint un front de l’Est représenté par Maël pour son projet Entre les lignes à paraître aux Editions Daniel Maghen en fin d’année.

FRONT AFRICAIN

L’Allemagne a constitué son Empire en Afrique à partir de la fin du XIXème siècle. Elle étendra très vite son influence sur les secteurs correspondant aux territoires de la Namibie, du Rwanda et du Burundi actuels auxquels se rajoutent, plus au nord, en Afrique occidentale, le Togo et le Cameroun. Un des points stratégiques qu’elle domine se situe au lac Tanganyika dont les eaux rejoignent le Congo puis l’Atlantique. Conscient de la nécessité de défendre comme il se doit ses colonies, l’Etat-major des armées décide de se doter d’un armement digne de ce nom. C’est ainsi que le Graf von Götzen, un cuirassé à l’artillerie lourde voit le jour. Les pièces seront acheminées d’Europe pour que ce navire de guerre puisse être assemblé directement sur place. Il dominera de son influence le lac Tanganyika.  

Dans l’album Madame Livingstone, les forces de l’armée belge tentent de mettre à mal les positions allemandes et notamment cherchent à couler le Graf von Götzen. L’album très richement documenté  comporte des annexes qui expliquent la construction du cuirassé et son histoire jusqu’à notre époque. Coulé à deux reprises il sera renfloué pour devenir un bac de transport de passagers et de cargaison.   

Front africain2 

En Afrique occidentale l’armée allemande devra essuyer les assauts alliés et pliera rapidement malgré la persistance de quelques foyers de résistance. Sur le territoire de l’actuelle Namibie, là aussi les troupes allemandes durent plier face aux forces anglaises et sud-africaines. Dès 1916 l’Allemagne se retire de ces deux pôles pour concentrer ses forces sur la partie Est de l’Afrique autour du Lac de Tanganyika, du Burundi et du Rwanda. Dans ce secteur l’armée allemande devra faire face non seulement aux Britanniques mais aussi aux Belges et aux Portugais venus depuis leurs colonies voisines du Mozambique. Même si elles se défendent très correctement les forces allemandes signeront leur reddition officielle le 23 novembre 1918 à Abercorn.

Front africain

 

FRONT MOYEN-ORIENT

Lorsque la guerre éclate en août 1914, l’Empire ottoman, entre en conflit dans le but, avec ses alliés austro-hongrois, de garder un pied en Europe au détroit des Dardanelles qui relie la mer Méditerranée à la Mer Noire, lieu hautement stratégique. Pour les troupes alliées, le conflit possède donc un intérêt majeur et l’Empire britannique, avec ses troupes de l’ANZAC (Australian and New Zealand Army Corps), mettra un point d’orgue à tenter de maitriser, notamment, le farouche Mustafa Kemal Atatürk.

L’un des points d’orgue de ce conflit se joua dans les Dardanelles, pour une campagne qui porta le nom de Gallipoli. Cette bataille sera marquée par des premiers jours de guerre particulièrement sanglants. Elle débuta le 25 avril 1915. Ce jour reste encore aujourd’hui un jour de commémoration nationale en Australie et en Nouvelle-Zélande qui payèrent alors un lourd tribu à la Der des ders.

Si peu de projets BD abordent le conflit au Moyen-Orient, Stéphane Antoni et Olivier Ormière nous offrent le récit de la bataille de Gallipoli en présentant de manière documenté la manière dont notamment furent enrôlé des soldats aborigènes pour servir de chair à canon à un conflit dont ils ignoraient la portée. Ce projet édité chez Delcourt en 2011 présente notamment la manière dont, alors que le débarquement en Turquie s’opérait, plusieurs milliers de soldats périrent sous le feu de mitrailleuses placées sur les hauteurs des collines environnantes, contrôlées seulement par quelques soldats ottomans.

gallipoli

La BD a aussi mis en images une partie de ce conflit par l’intermédiaire de la révolution arabe, qui se déroula entre 1916 et 1918 et qui avait pour but, pour les nations arabes, de se libérer de la domination ottomane. Elles seront soutenues par les Britanniques et notamment Lawrence d’Arabie qui inspira le neuvième art sur un projet de Tarek et Horellou.

FRONT DES BALKANS

Quoique proche géographiquement du front de l’Est qui opposa les Russes aux Allemands, les combats qui prirent part dans les Balkans furent eux-aussi relativement sanglants. Souvenons-nous que, peu après l’assassinat de l’Archiduc François-Ferdinand le 28 juin 1914, l’Empire austro-hongrois posa un ultimatum humiliant à la Serbie la sommant de lui ouvrir ses frontières afin de mener l’enquête sur cet assassinat. La Serbie refusa et la guerre ne pouvait être évitée. Les premiers face-à-face entre les deux puissances tournèrent à l’avantage de la Serbie. Mais l’Empire austro-hongrois avait de la ressource et notamment un allié de poids ave une Bulgarie qui lorgnait alors sur la Macédoine. Les combats menés à la fin de l’été 1915, sous une triple alliance allemande, austro-hongroise et bulgare, s’apparentent à une véritable boucherie pour les Serbes contraints de se replier vers le sud et de traverser l’Albanie pour opérer la jonction avec les alliés Italiens.

Peu de récits sont  proposés par le neuvième art sur ces combats dans les Balkans. La série Quintett initiée par Franck Giroud prend néanmoins cadre dans la région neutre de Macédoine. Les tensions y sont palpables…

Quintett

 

FRONT ATLANTIQUE

Si la Première guerre mondiale fut avant tout une bataille terrestre, elle développa un volet maritime non négligeable. Souvenons-nous des opérations de débarquement dans les Dardanelles lors de la bataille éponyme menée sur le front du Moyen-Orient. D’autres points conflictuels se développèrent un peu partout à la surface du globe. A vrai dire un farouche face-à-face opposa l’Allemagne à la puissance maritime britannique, aidé de manière marginale par le flotte française. Les enjeux étaient bien entendu stratégiques. L’Allemagne voulait avant tout contrôler les ravitaillements alliés en armements. Le premier U-Boot fut livré fin 1906 et au début de la guerre l’Allemagne disposait de près de trente appareils qui se livrèrent à une guerre totale coulant navires marchands et militaires sans distinction dont notamment le fameux Lusitania dont le récit détaillé est livré par Cothias et Ordas et Manini chez Grand Angle. Dans le tout récent To End All wars Jonathan Clode et John Stuart Clark donnent à voir un récit poignant mettant en scène le U-9 qui mis par le fond le HMS Aboukir en seulement vingt minutes le 22 septembre 1914 Mer du Nord.

Front Atlantique

 

Front Atlantique2

L’activité marine et sous-marine allemande fut sans doute à l’origine de l’entrée en guerre des Etats-Unis en avril 1917.