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La Première guerre mondiale : Les tranchées… (1ère partie)

La guerre des tranchées caractérise le conflit qui prend forme fin 1914 après que les mouvements amorcés à l’Est, au sud de la Belgique et sur toute une ligne allant de l’entrée de la Mer du Nord à la Suisse aient figé ce qui deviendra le front. Faces à faces d’une rare violence marqués par le lancement de centaine de millions d’obus sur les lignes ennemies, cette guerre de tranchées devait marquer à jamais l’histoire par les pertes humaines et les corps blessés dans leur chair. Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,/Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre./Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre./Heureux ceux qui sont morts d’une mort solennelle clame Peguy dans son poème Eve en 1913. Difficile de qualifier une guerre de juste, cette première guerre mondiale ne l’était pas plus que les autres et l’horreur des tranchées devait le rappeler clairement…

 Tranchées 0

Dès lors que l’armée allemande se trouva bloquée dans sa course à la mer et prise au piège des inondations de Nieuport, s’installa progressivement la seconde phase de la guerre qui devait être la plus longue et la plus meurtrière : la guerre des tranchées. Concrètement se faisaient face deux réseaux distants de quelques dizaines de mètres entre les lignes alliées et les lignes allemandes. Chaque réseau se décomposait en deux ou trois lignes de repli ou de stockage de matériels et de munitions. La première ligne essuyait le feu et se défendait des assauts, lorsque la décision n’était pas de passer à l’attaque. La seconde ligne servait de repli en cas de bombardement intensif sur la première ligne. Enfin il existait souvent un troisième sillon servant au ravitaillement. Dans certains cas ce réseau de trois lignes était dupliqué quelques centaines de mètres en retrait en cas d’attaque lourde de l’ennemi obligeant à un repli d’envergure. Entre les deux réseaux ennemis, se trouvait ce que l’on appelait couramment le No man’s land, la zone sur laquelle gisaient les corps tombés lors des assauts répétés et qui ne pouvaient parfois ne pas être enlevés. Charnier à ciel ouvert, il exposait les corps en décomposition, démembrés, étêtés, coincés dans des barbelés placés là pour retarder l’ennemi dans son avancée et qui offraient au tireur ennemi de la tranchée proche tout le temps de régler le tir. Rares sont les attaques qui réussirent à parvenir à leur but, et, même si une tranchée tombait, elle était souvent reprise quelques jours plus tard.

De manière concrète les tranchées s’étendaient de la Belgique à la Suisse sur un réseau de près de 800 km. Les soldats qui étaient présents dans ces sillons creusés sur près de 2 mètres de haut, se relayaient en permanence pour apporter du sang neuf et des esprits frais pour s’opposer avec vigilance à l’ennemi.

Durant les quatre ans qui séparent les belligérants de la fin de la guerre, des batailles qui monopolisent les attentions des deux fronts se déroulent en offrants des paysages lunaires. Les bombardements massifs de l’artillerie, la mobilisation en homme et les déchainements de violences parviennent à leur paroxysme. Les trois batailles les plus meurtrières sont celles de Verdun qui se déroule du 21 février au 18 décembre 1916, celle de la Somme qui se développe du 1er juillet au 18 novembre 1916 et dont le but était de soulager le front de Verdun, enfin La bataille du Chemin des Dames qui aurait pu faire basculer le sort de la guerre et qui s’étend du 16 avril au 24 octobre 1917.

Verdun

La France essuya son lot de batailles meurtrières durant ce premier conflit mondial mais aucune à la portée aussi dramatique que celle de Verdun. Le nombre de morts, de blessés ou de disparus se portent dans les deux camps à près de 700 000 soldats. Un véritable carnage, des esprits à jamais marqués au fer rouge. Une victoire française pour l’état-major mais aux conséquences quasi-nulles à l’échelle de cette guerre. Alors que reste-t-il ? Ce symbole qu’évoque Jean-Pierre Guéno dans l’ouvrage collectif Paroles de Verdun qu’il a dirigé : Sans doute parce qu’il s’agit d’une bataille où les Français affrontaient seuls l’ennemi, sur une terre ravagée par plus de cinquante millions d’obus ! D’une bataille en apparence victorieuse pour la France et qui symbolisait son esprit de résistance et de bravoure, puisque les dix divisions allemandes de la Vème armée du kronprinz lancées en février à l’assaut des positions françaises n’arrivèrent pas à éliminer définitivement les trois divisions stationnées dans une zone de front dont le haut commandement avait sous-estimé l’importance, et cela malgré les douze cents canons allemands braqués sur elles…

 Verdun 1

Somme

Deuxième grand épisode de cette guerre de position, la bataille de la Somme. Nous l’avons dit, à l’origine cette bataille avait pour but de diviser les forces allemandes pour éviter un écrasement des troupes alliées à Verdun. Le conflit débute au début de l’été 1916. A l’instar de Verdun, elle sera une véritable boucherie. Du côté allié les troupes, surtout anglaises payent un lourd tribu (plus de 600 000 soldats blessés, tués ou portés disparus) tout comme les unités allemandes (un peu moins de 450 000 hommes touchés, dont près de 200 000 morts). La portée de cette bataille eu un impact direct dans l’esprit français grâce aux illustrations que réalisa le peintre François Flameng pour L’Illustration. Des images symboliques d’un engagement total. Un engagement dont parle aussi Joe Sacco, auteur du récent Le premier jour de la bataille de la Somme : J’ai choisi de dessiner le premier jour de la bataille de la Somme, car c’est à partir de ce moment-là que l’homme du peuple a cessé de se bercer d’illusions quant à la véritable nature de la guerre moderne. À l’exception du général Douglas Haig, qui commanda les forces britanniques sur le front de l’Ouest, je ne me suis intéressé à aucun individu en particulier. Perçue comme un tout, l’armée était composée de centaines de milliers d’hommes, la plupart enthousiastes, destinés à permettre qu’une grande portion de l’ensemble enfonce les lignes allemandes en temps voulu et progresse vers des objectifs précis conformément à un scénario préétabli. Mais, à l’instar de bon nombre de batailles au cours de la Grande Guerre, celle-ci ne se déroula pas du tout comme prévu. Après la désastreuse première journée, l’armée asséna quelques coups sanglants à l’ennemi pendant encore plusieurs mois, puis elle s’immobilisa, pansant ses plaies et se concentrant sur le prochain « Big Push », ou « Grande Poussée ».

 Somme

Le Chemin des Dames

Moins couteuse en hommes quoique les chiffres soient effarants (un peu moins de 200 000 soldats français tués ou blessés contre un peu plus de 150 000 victimes allemandes), la bataille du Chemin des Dames ou seconde bataille de l’Aisne se révéla un échec français retentissant. Initié par le général Nivelle, elle eut pour répercussion directe la prise en main des armées par un certain Pétain qui mit un frein à la tentative de percée du front dans l’attente de l’arrivée des troupes américaines et de leur artillerie. Tardi offrit à la ville de Craonne, qui constituait le front de cette bataille, un triptyque en mémoire de cet épisode sanglant de la Grande guerre.

Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes
C’est bien fini, c’est pour toujours
De cette guerre infâme
C’est à Craonne sur le plateau
Qu’on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous des condamnés
Nous sommes les sacrifiés

Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance,
Pourtant on a l’espérance
Que ce soir viendra la r’lève
Que nous attendons sans trêve.
Soudain, dans la nuit et dans le silence,
On voit quelqu’un qui s’avance,
C’est un officier de chasseurs à pied,
Qui vient pour nous remplacer.
Doucement dans l’ombre, sous la pluie qui tombe
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes.

Extrait de la Chanson de Craonne

 La Grande Guerre T2 - Chemin des Dames

Le neuvième art regorge de récits se déroulant ou évoquant la guerre des tranchées. Tardi avec C’était la guerre des tranchées ou Putain de guerre ! a construit des œuvres maitresses dans lesquelles, grâce à des recherches préalables colossales, il offre des récits documentés et précis qui décortiquent les grandes phases de ce conflit. D’autres auteurs ont offerts leur trait à cette guerre sanglante. De Juan Gimenez en passant par Maël, Gibrat, Junker, Colquhoun, De Metter, Marko, Cromwell, Bruckner, Labiano, Gipi… le sujet inspire. Le regard offert sur la guerre peut tout à la fois se faire réaliste ou flirter avec le fantastique, en symbolisant l’aliénation du soldat placé au cœur d’un conflit qui le dépasse.

Juan Gimenez dans le recueil Paroles de poilus, offre l’adaptation d’une lettre envoyée par un soldat qui décrit à sa femme les horreurs qu’il découvre peu après la traversée de Meaux, à la suite de la bataille de la Marne. Le chemin traversé par des soldats épuisés regorge de cadavres amoncelés comme des détritus qui se décomposent à l’air libre en laissant le travail de putréfaction dégager ses odeurs pestilentielles. Le paysage au loin laisse entrevoir quelques foyers de feu tout juste éteints. Deux vignettes du même soldat laissent entrevoir l’issue de la guerre. Sur la première, l’homme semble figer son regard sur ce qu’il perçoit dans l’instant, ces horreurs qu’aucun homme normalement constitué ne peut ou ne pouvait imaginer. La fatigue se lit sur lui alors que, tête vissée dans son casque, il tient fermement la sangle de son paquetage. La vignette, légèrement inclinée, laisse entrevoir la bascule du corps. Un corps en sursis qui, comme des centaines de milliers d’autres, semble promis à une fin funeste. La seconde vignette, plus inclinée encore, donne à voir le même homme en état de décomposition. Le squelette se distingue de son visage émacié d’où ressortent les premiers traits cadavériques. A sa droite un pavé narratif explicite : « Champ de bataille » ai-je dit plus haut. Non, pas champ de bataille, mais champ de carnage. Car les cadavres ce n’est rien. En ce moment, j’ai déjà oublié leurs centaines de figures grimaçantes et leurs attitudes contorsionnées. Le chaos ne semble plus si loin. Paysage d’un enfer sombre offert à des soldats apparentés à de simples pions qui arbitrent le désaccord de salon de quelques hommes vexés dans leur orgueil, devenus passeurs dans des barques trop larges emplies de troufions bien trop tendres…  

 Paroles1

La tranchée

Ô jeunes gens je m’offre à vous comme une épouse
Mon amour est puissant j’aime jusqu’à la mort
Tapie au fond du sol je vous guette jalouse
Et mon corps n’est en tout qu’un long baiser qui mord

(Guillaume Apollinaire)

Chose nouvelle dans cette guerre, les colonies françaises, anglaises et allemandes fournissent leur lourd tribu à un conflit dont ils ignorent tout. La France place ses tirailleurs algériens et sénégalais dans les premiers assauts comme le mettent très bien en lumière Hugues Labiano dans Les quatre coins du monde et Tardi dans Putain de guerre !. Les pertes sont conséquentes : près de 70 000 soldats issus du Maghreb français meurent ou sont portés disparus, près de 30 000 africains, sénégalais en tête, et une poignée d’Indochinois. Au total près de 18 % des soldats mobilisés issus des colonies ne reviendront jamais dans leur pays.

 Les quatre coins du monde - Soldats coloniaux

 Putain de guerre ! - Soldats coloniaux

Si l’affrontement dans les tranchées était d’une rare violence, des épisodes de fraternité furent mentionnés çà et là sur certaines parties du front. Christian Carion dans son film Joyeux Noël présente, à partir d’un fait réel, un de ces épisodes. Il évoque ainsi dans un article publié dans Le Monde en novembre 2013 les circonstances dans lesquelles il a découvert la fraternisation dans les tranchées. Adrien Floch illustre dans Paroles de poilus un courrier d’un jeune poilu à ses parents dans lequel il détaille un de ces épisodes : Voilà comment cela est arrivé : le 12 au matin, les Boches arborent un drapeau blanc et gueulent : « Kamarades, Kamarades, rendez-vous. » Ils nous demandent de nous rendre « pour la frime ». Nous de notre côté, on leur en dit autant ; personne n’accepte. Ils sortent alors de leur tranchée, sans armes, rien du tout, officier en tête ; nous en faisons autant et cela a été une visite d’une tranchée à l’autre, échange de cigares, cigarettes, et à cent mètres d’autres se tiraient dessus… Lorsque les États-majors des deux camps apprennent cela, ils prennent les mesures qu’ils jugent nécessaires au bien de la nation…

 PAROLES2

Il est difficile de traiter de toutes les thématiques explorées par le neuvième art lorsqu’il aborde la guerre des tranchées. Nous avons opté pour trois sujets majeurs et symboliques : les attaques « suicides », l’homme-leurre/l’homme-barbelé et Le fusillé. Nous vous les présenterons dans notre prochain article. D’autres sous-thématiques compléteront ce dossier dont l’homme-taupe.


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