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La vision de la guerre en BD (5ème volet) l’Indochine vue par Maximilien Le Roy, résistance et réflexion sur l’atroce…

La guerre laisse parfois des images s’ancrer durablement dans nos esprits. Les souvenirs passent alors par ces témoignages captés dans l’instant et qui résonnent longtemps après. Les images sont là aussi pour ne pas oublier, pour décrire les atrocités perpétrées au nom d’un idéal ou d’une cause dite juste et que chacun de nous croit saine. Mais qu’advient-il lorsque nous nous trouvons confronté à des océans de désinformations ? Comment devons-nous réagir si les instances qui nous gouvernent tentent de nous convertir à une cause qui n’est pas défendable, qui s’attaque aux principes fondateurs de liberté et de fraternité ? Maximilien Le Roy nous dresse avec Dans la nuit, la liberté nous écoute, le parcours d’un homme qui a dit non au colonialisme, qui, au péril de sa vie s’est opposé farouchement aux atteintes des droits du peuple indochinois. Jean-Christophe Derrien quant à lui a coordonné, dans Vivre libre ou mourir, une série de récits sur les différents aspects de la résistance en France durant le second conflit mondial. Là aussi les histoires brèves mettent en avant des hommes et des femmes qui n’ont pas acceptés la résignation et la collaboration d’un régime sans honneur. Enfin David B avec La lecture des ruines nous offre une parabole magistrale sur la violence de la guerre, ou comment s’affranchir des évidences… 

 

 

Si l’on connait l’action et l’organisation de la résistance française durant le second conflit mondial, nous ne savons pas forcément la diversité des moyens qu’elle pouvait monopoliser ou mettre en œuvre. Nous pouvons donc parler non pas d’une résistance mais de plusieurs facettes d’un aspect et d’une action dont seul le but était commun. Dans Vivre libre ou mourir ! Jean-Christophe Derrien nous offre neuf récits, pour autant de dessinateurs, abordant chacun un des aspects de la résistance. Chaque mini-récit est précédé d’un volet historique rédigé par Xavier Aumage, Commissaire de l’exposition « Traits résistants : la résistance dans la bande dessinée de 1944 à nos jours » qui vient de s’achever à Lyon. Sont ainsi abordées les thématiques de la presse clandestine, organe essentiel, tout comme la radio, de la diffusion de l’information, l’acte armé qui pouvait tourner en petite guérilla urbaine, de la confection de faux papiers pour aider les résistants à se fondre dans la masse et se faire oublier de la gestapo et de l’armée allemande, du maquis qui accomplissait dans l’ombre de véritables actions d’envergures qui ont mis à mal les forces d’occupation. D’autres aspects sont présentés ici et démontrent qu’au-delà de l’opposition frontale, qui viendra avec les différents débarquements, des hommes et des femmes ont osés dire non à l’ordre établi. En risquant leur vie pour défendre la liberté et leurs valeurs ils ont participés à la construction de l’âme de la résistance, celle qui force le respect. Loin des affres de la collaboration passive ou active des milliers d’hommes et de femmes ont construit l’histoire, sans désir de gloire ou de reconnaissance. Loin de la marginalité, ces actions ont fait vaciller l’ennemi permettant ensuite aux militaires de parachever l’œuvre de libération. La richesse des histoires et l’originalité de ce concept permettent de faire de Vivre libre ou mourir ! un album essentiel, tout à la fois documentaire et fiction.

Collectif coordonné par Jean-Christophe Derrien – Vivre libre ou mourir ! – Le Lombard – 2011 – 13, 95 euros

 

Comment arriver à parler de la guerre, de ses atrocités, de ses travers exacerbés dans la barbarie et l’aliénation au réel, au tangible sans parler – ou si peu – de haine, de sang, de corps déchirés, de destins brisés, de douleurs et de peines accumulées par les affres d’un conflit qui dégénère jusque sous nos fenêtres  ? C’est en partie ce que réussit David B dans La lecture des ruines. Mai 1917. Alors que la guerre fait rage en Europe, les services secrets de l’alliance décident de tromper l’ennemi allemand en l’envoyant sur une fausse piste. Pour jouer le rôle de détonateur dans ce complot de l’ombre, le capitaine Phillimore, un homme dont le corps porte les stigmates des combats menés, mais dont l’esprit possède encore toute sa raison. Il confie à Jan van Meer, jeune folkloriste néerlandais, la dure tache de chercher, mais surtout de ne pas retrouver, un génie de l’armement, Hellequin dont les inventions farfelues, canon à rêves, barbelé végétal ou homme de terre, portent en elles les signes évident d’une dégénérescence de l’esprit. Mais de cela l’ennemi ne devra rien savoir et le savant se doit d’être encore soupçonné de génie. Un génie capable de construire les armes susceptibles de les mettre en péril. Mais que se passe-t-il si finalement le savant surgit de l’ombre au détour d’une rue pour venir parler avec le jeune néerlandais missionné ? Hellequin vit dans un monde qui nous est étranger. Un univers de déraisons qu’il essaye de comprendre pour comprendre le nôtre. Car dans l’ombre des atrocités de la guerre, se lisent les peurs qui nous habitent tous. Hellequin met au point un système capable de lire les ruines. Un alphabet se détache de ses observations et chaque mûr, chaque toit brisés par les impacts de la guerre livrent le secret de ce qu’elles sont. En sachant déchiffrer les ruines, il nous sera possible de comprendre la guerre et donc de la contenir ou de la dompter. Mais Hellequin n’est que le seul capable de saisir toute la portée des messages qui s’affichent à la vue de tous. Alors à quoi peut bien servir cette maitrise si le plus grand nombre n’en possède pas les bases ?
Au travers de La lecture des ruines, David B nous offre un message sur la guerre et ceux qui la font, grands analphabètes au service des nations. Il nous aide aussi, grâce à un onirisme qui transparaît au fil du récit, à nous présenter une manière de penser l’atroce : dans les pans entiers de barbaries dévoilées, ne devons-nous pas essayer de capter la partie cachée, la portée symbolique de toute chose ? A défaut de comprendre dans l’instant cela nous donnera peut-être les armes pour construire un futur exempt de haine, car l’alphabet aura sûrement livré, décrypté qu’il sera par nos rêves les plus étranges, une grande part de ses secrets…

David B – La lecture des ruines – Dupuis – 2011 – 14 euros

  

Alors que la seconde guerre mondiale porte l’ennemi allemand jusque dans la capitale française, signe d’une défaite sans pareille, les manifestations de civils s’organisent. Mais en dépit de la volonté et du sacrifice de certains hommes et femmes, la lutte semble veine. Le frère d’Albert Clavier participe à ces manifestations, il donnera sans doute à son cadet le goût de la justice et de la liberté. 1947, Le jeune Albert s’engage dans l’armée et se trouve associé à la grande œuvre de civilisation, entendez par-là le maintien de l’ordre et de la présence française dans ses nombreuses colonies. Le jeune homme semble croire à ce discours, en partie car il s’inscrit dans une veine de médiatisation et de désinformation sans commune mesure. Plongé au cœur du conflit, il découvrira une vérité bien plus sombre et troublante, il découvrira aussi la bêtise humaine incarnée par nombre de membres de l’armée française. Ce qu’il voit le touche déjà et le jeune militaire se fait un point d’honneur d’éviter autant que possible de participer aux opérations de combat. Pour cela il se fait engager par un capitaine qui lui confie des tâches administratives. Il passera plus tard un examen de comptable et se trouvera en marge de l’action pure. Les nouvelles fonctions qu’il exerce lui donne aussi le temps pour découvrir le pays dans lequel il se retrouve maintenant malgré lui. Alors qu’il crapahute dans l’arrière-pays, il est approché par les populations locales, dont un certain Bat avec qui il sympathise et qui lui fait découvrir une autre Indochine. Alors que les liens amicaux qui rapprochent les deux hommes se renforcent, Bat lui confie qu’il est au service des Vietminh, et de son leader Hô Chi Minh, il lui explique aussi les motivations d’un peuple qui souhaite avant tout son indépendance, sa liberté et ce à n’importe quel prix. Le jeune Albert Clavier ne peut que comprendre ce discours qui reprend les valeurs inscrites en son for intérieur. Il se trouve ainsi très vite pris d’un côté par une armée française au service des colonialistes qui n’hésite pas à perpétrer les pires exactions : décapitations, tortures et de l’autre par un peuple avide de justice, prêt à s’administrer par lui-même. S’ouvre alors un gouffre d’incertitudes, de remises en question qui hantent le jeune militaire français et le pousse à mener une véritable introspection, car de son choix dépendra une grande part de son avenir. Epris de justice et des valeurs de la République : Liberté, égalité, fraternité, Albert Clavier décide de plonger dans l’inconnu.
Avec Dans la nuit, la liberté nous écoute, dont le titre est tiré du chant des partisans, Maximilien Le Roy nous immerge dans les heures sombres de l’Empire colonial français. En mettant en avant le destin d’Albert Clavier, le dessinateur nous pousse à ouvrir des champs de réflexion sur notre positionnement à tous. Devons-nous cautionner les forfaits d’une nation ? Souscrire à des valeurs qui nous révulsent et s’inscrivent clairement dans les abysses sinistres de l’histoire ? Pourrons-nous nous regarder en face si nous laissons faire ? Sommes-nous prêt à la désobéissance si celle-ci permet de rester en adéquation avec notre philosophie de vie ? Pouvons-nous prendre le risque de nous couper de nos proches ici et maintenant et de nous en remettre au jugement de l’histoire ? Autant de questions essentielles qui méritaient une mise en avant. Maximilien Le Roy maîtrise son propos de bout en bout, ne tombant jamais dans la facilité ou dans le parti pris. Il expose des faits, une vie, celle d’Albert Clavier, il interroge, pose les bases d’une réflexion à mener ne serait-ce que pour chasser de vieux fantômes. En ce sens, Dans la nuit, la liberté nous écoute, prend place dans ces œuvres majeures du 9ème art, celles qui nous habitent longtemps après leur lecture…

Maximilien Le Roy – Dans la nuit la liberté nous écoute – Le Lombrad – 2011 – 24, 95 euros

 

Interview de Maximilien Le Roy

Pouvez-vous nous dire comment est né ce projet ?
A la base, j’effectuais des recherches sur les déserteurs français, durant la guerre d’Algérie et d’Indochine, dans le cadre de travaux sur l’impérialisme et le colonialisme. Je suis tombé sur un article en ligne du journal l’Humanité, si ma mémoire est bonne, qui évoquait le cas d’Albert Clavier, un soldat français ayant rallié les maquis du Vietminh. L’article en question chroniquait son livre, paru chez un petit éditeur spécialisé sur ces questions. Je l’ai acheté et lu d’un trait. Cela correspondait tout à fait au type de parcours que je cherchais. J’ai donc décidé très rapidement d’adapter son récit, au format d’une bande dessinée. Je l’ai contacté dans la foulée : il vivait alors dans une maison de retraite, dans l’Isère. Nous nous sommes vus, et il m’a laissé carte blanche. Je me suis ainsi rendu au Vietnam quelques temps après et, à mon retour, j’ai entamé les premières planches…

Quelles ont été vos recherches préalables pour mener à bien votre travail ?
Essentiellement livresque. Des essais, des documentaires, des biographies… Et, une fois sur place, j’ai réalisé un travail de repérage classique, que j’effectue régulièrement pour mes livres – afin d’approcher mon sujet de la façon la plus rigoureuse qui soit. J’ai pu revoir son ancienne femme, qui est un protagoniste du récit, ainsi qu’un ancien camarade vietnamien.

Comment s’est déroulé votre rencontre avec Albert Clavier et que retenez-vous de son parcours ?
Très bien. Il était enthousiaste à l’idée que l’époque historique et politique qu’il incarne, à travers sa trajectoire singulière, puisse être relayée à des personnes qui, pour des raisons générationnelles par exemple, ne la connaissait pas. Ou ne la connaissait que par l’histoire officielle, donc dominante. Ce qui revient au même. Et c’est justement toute la notion marginale de cette trajectoire qui m’a poussé à en faire à mon tour un livre. Son parcours s’inscrivait d’une façon tout à fait cohérente dans le sillon que je tâche de tracer depuis le départ : traiter de périodes historiques ou contemporaines, sous un angle assurément politique, par la contre-allée, les traverses. Ce qui ne signifie pas pour autant que je souscrive à l’intégralité de son parcours ou de ses positionnements politiques. Il s’insérait – je parle à l’imparfait car il est malheureusement décédé tandis que je finalisais l’ouvrage – dans une filiation marxiste classique. Il était très proche du Parti communiste français, des Thorez et consorts – ce qui n’est pas mon cas. Mon héritage philosophique et politique est bien d’avantage à chercher du côté des socialistes-libertaires, de Bakounine à Chomsky, si on veut faire vite. La constitution d’un Parti-Etat unique, sur le mode léniniste, n’est assurément pas un modèle politique auquel je souscris. Mais le propos essentiel n’était pas là. Je partage avec Albert, et avec d’autres communistes de façon plus générale, un socle moral et politique commun ; et cela m’a semblé suffisant pour bâtir ce projet – en dépit de divergences politiques qui, dans ce contexte, restent assez périphériques.

Votre album s’ouvre sur les manifestations de populations civiles françaises contre l’envahisseur allemand durant la seconde guerre mondiale. Cela permet de faire un parallèle avec la poursuite et le renforcement de la présence française en Indochine. Comment expliquer que l’on puisse tout à la fois lutter pour retrouver son indépendance et s’obstiner à construire un empire colonial ?  
J’avoue que ça demeure un mystère pour moi. L’occupation allemande faisait partie d’un processus beaucoup plus vaste, expansionniste, militariste et impérialiste. Hitler était le premier à reconnaître qu’il s’était inspiré du traitement infligé aux Amérindiens pour échafauder sa politique envers les pays slaves. « Ce que l’Inde fut pour l’Angleterre, les territoires de l’Est le seront pour nous. » Il l’écrivait sans détours. C’est une dimension qu’Aimé Césaire avait clairement mise en évidence dans son livre le plus connu sur le colonialisme. Le nazisme, dans sa dynamique territoriale, relevait du bon vieux colonialisme multiséculaire. D’où, effectivement, l’ouverture du livre sur cette séquence vécue par Albert, lors de l’occupation de la France. Des résistants ont été des occupants en Algérie et en Indochine, pourtant, oui… Mais, et c’est évidemment eux qu’il faut retenir, nombreux ont été ceux qui, au nom même des valeurs qu’ils défendaient, parfois les armes à la main, contre les Allemands et leurs laquais français, se sont retrouvés dans le combat anti-impérialiste. Hô Chi Minh a, de façon continue, mis en avant ce parallèle : il se battait pour l’indépendance de son pays et de son peuple, avec les mêmes objectifs et les mêmes développements éthiques que les Français en 1940. Evidemment, la comparaison n’est pas monolithique : chaque situation a ses spécificités évidentes, et s’enracine dans un contexte pour le moins particulier. Le colonialisme anglo-saxon n’était pas le même que le colonialisme droit-de-l’hommiste français, qui n’était pas le même que l’expansionnisme japonais, qui n’était pas le même que l’expansionnisme arabo-musulman, etc., etc. Mais la matrice de toutes ces conquêtes sanglantes demeure souvent la même. Et lorsque d’aucuns s’offensent que l’on puisse oser émettre quelque comparaisons entre l’occupation allemande et l’occupation de l’Indochine, il s’agit purement et simplement d’un aveuglement idéologique total, souvent dégueulasse, ou bien d’une méconnaissance, naïve ou non, de l’Histoire.

Peu de soldats français ont fait le choix de lutter aux côtés de l’ennemi contre la politique française en matière de colonisation. Le choix d’Albert Clavier reste donc marginal. Pouvez-vous nous dire l’impact psychologique qu’a pu avoir tout à la fois pour les Vietminh comme pour les soldats français présents en Indochine le choix d’Albert Clavier ?
De ce que je sais, et nous le racontons dans l’ouvrage, il a été extrêmement bien reçu par les combattants vietminh. La population rurale pouvait être méfiante, voire hostile, surtout au prime abord – mais Albert le comprenait. Hô Chi Minh tenait à ce que les ralliés soient traités en amis. Il faudrait consulter des travaux d’historiens, et notamment d’historiens vietnamiens, pour approfondir le point de vue indochinois. Je me suis principalement placé sous l’angle d’Albert, témoignage oblige. Du côté de ses compatriotes, il est évident qu’une majorité le considérait comme un traître et un vendu. Ils ne pouvaient pas comprendre que c’est au nom même de son pays qu’il agissait de la sorte ; et qu’il n’était non pas un renégat, mais un continuateur de ce qu’il percevait comme étant les valeurs françaises. Les trois R, en somme : la Révolution, la République, la Résistance. Albert s’est toujours définit comme un patriote communiste français. Notre époque s’en étonne, mais il fut un temps où le patriotisme n’était pas une vocifération d’extrême-droite, mais un flambeau progressiste et populaire.

Le conflit indochinois n’est pas spécialement médiatisé à notre époque. De nombreux albums de BD s’attachent, avec rigueur et réussite d’ailleurs, à mettre en lumière les travers et les atrocités des deux conflits mondiaux. Les films, documentaires, romans publiés sur ces deux périodes sont légions. Pensez-vous que le « déficit » de popularité du conflit indochinois peut s’expliquer en partie par le rôle négatif qu’a pu avoir la France en Indochine ? Est-ce un besoin pour les instances politiques et militaires d’oublier ces moments peu glorieux de notre histoire ?
J’en doute, puisque les autres conflits ne furent pas plus glorieux. On connait effectivement bien mieux la guerre d’Algérie, et cela, je pense, s’explique pour plusieurs raisons : d’une part, l’Algérie était un département français, au même titre que le Gard ou la Vendée. Ce qui n’était absolument pas le cas des autres colonies. Les pieds noirs étaient plus d’un million en Algérie ; les civils peu nombreux en Indochine. La profondeur des liens n’était pas du même ordre. A cela s’ajoute la proximité géographique, et la présence nombreuse de descendants algériens en France. Sans oublier que les Français d’origine vietnamienne, ou les Vietnamiens sur le sol français, ne se sont jamais vraiment manifesté publiquement, politiquement. La seule évocation publique de cette guerre est la célébration annuelle et parisienne de Dien Bien Phu, par un groupuscule musulman, les Indigènes de la République.

Vous évoquez dans votre album la place et la définition du programme scolaire attachées à la colonisation française, et son rôle positif au regard des français. Pensez-vous que l’opinion publique a évoluée sur cette problématique ? Votre album est-il là pour essayer de révéler les aspects « cachés »/ « sombres » de la colonisation ?
Le sondage auquel vous faites allusion provenait du Figaro, en 2005. Je l’ai repris tel quel en guise de conclusion. Je n’ai pas eu accès à de nouveaux chiffres depuis – et les sondages ne sont pas infaillibles, du reste. Mais, plus largement que la colonisation, je parle d’impérialisme. Je ne porte pas spécialement dans mon cœur Lénine, mais il a étudié d’une façon intéressante cette problématique, dans « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme ». Il établissait les connexions évidentes entre les marchés, les débouchés des capitaux et les politiques expansionnistes. Tout mon travail sur la Palestine recoupe également cette notion. Je ne cherche pas à culpabiliser, pas plus que je ne parle du très religieux terme de « repentance ». Le repentir suggère une action révolue, ce qui est loin d’être le cas : les Etats-Unis et leurs supplétifs n’ont toujours pas rendu les armes. L’impérialisme n’est pas mort, et c’est la moindre des choses, lorsqu’on a la possibilité de s’exprimer à une échelle relativement publique – par le biais d’un livre en l’occurrence, même si cela reste confidentiel – que d’ambitionner son extinction dans les meilleurs délais. Je ne parle jamais du passé avec la loupe de l’archiviste : le passé, toujours, est un marchepied pour aujourd’hui, et une balise pour demain. Les valeurs morales et politiques d’Albert, en termes de justice ou d’égalité économique et sociale, me semblent toujours plus pertinentes que les produits que l’on nous vend sur les étagères de la modernité. Si le livre peut permettre à quelques personnes d’entrevoir ce qu’il y a parfois sous les pages de ceux qui écrivent notre Histoire, je n’aurais pas travaillé pour rien. Peu m’importe de convaincre des spécialistes déjà rompus à la politique. Les retours que j’affectionne sont ceux de gens qui me disent être totalement extérieurs à toutes ces questions, par manque de temps ou d’intérêt, mais qui, le temps de la lecture, ont été amenés à reconsidérer des éléments jusqu’alors stables. Je ne demande pas à ce qu’on adhère en bloc à tel ou tel propos ; je ne suis pas politicien. Simplement que cela puisse susciter l’envie d’aller plus loin, et que cela puisse avoir, à terme, des répercussions quotidiennes, et non plus seulement le bouquin en mains. Et, comme disait Léo Ferré un des rares jours où il avait dû planter sa plume dans un encrier d’optimisme : « les amis de vos amis peuvent faire des millions d’amis »…

Quelles ont été les plus grandes difficultés rencontrées lors de la réalisation de votre album ?
Dessiner les Vietnamiens ! Sans rire, puisque mon style graphique était épuré, dans le trait comme dans la mise en couleurs, je ne disposais pas de tout le panel réaliste qui aurait permis de représenter au mieux les caractéristiques physiques plutôt communes aux Asiatiques : narines, arête du nez, pommettes, yeux, paupières, etc. Ils sont bien plus complexes à représenter, en tout cas pour moi, que d’autres peuples. Mais, plus sérieusement, je n’ai pas ressenti de difficultés particulières ; sinon que j’ai eu du mal à terminer les planches, étant déjà parti sur pas mal d’autres projets. Rien de bien passionnant, donc.

Vous considérez-vous comme un auteur « engagé » ?
On me pose sans cesse cette question – quand ce n’est pas « militant ». Et je finis par répondre le plus simplement du monde : je ne comprends pas, lorsqu’on a l’opportunité de s’exprimer hors du cadre de son seul appartement, comme journaliste, artiste, écrivain, chanteur, poète, ou que sais-je encore, que l’on puisse ne pas s’en servir pour proposer un discours critique, séditieux, discordant. On devrait plutôt demander aux « chiens de garde » de tout poil, pour reprendre la formule de Paul Nizan, s’ils se considèrent comme des auteurs « dégagés », au-dessus du monde dans lequel ils vivent, de leur société ou de leur classe. L’Art pour de l’Art, c’est de la merde. Je ne me considère pas, je ne me colle aucune étiquette : je prolonge simplement mes préoccupations quotidiennes dans mon travail, de façon aussi naturelle qu’évidente.

Que retenez-vous de votre travail sur ce projet ?
Je regrette qu’Albert n’ait pu prendre connaissance de l’ouvrage imprimé. J’espère en tout cas qu’il ne fait pas déshonneur à l’année que nous avons passée à travailler dessus, même si c’était de loin.

 

 


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