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Les BD du Mercredi : Charlotte impératrice (Dargaud), Lincoln Highway 750 (Urban comics) et Nicolas Le Floch (Robinson)



Le mercredi c’est désormais trois albums sur lesquels nous portons notre attention. Trois livres qui font l’actualité, trois conseils de lecture, dans une diversité de genre et de format, pour aiguiser la curiosité de chacun !

En cette année 1856 le Roi Léopold 1er de Belgique souhaite faire un bon mariage pour sa fille Charlotte. Comme le veut la tradition, la future épouse ne possède que peu de latitude sur le choix des prétendants qui seront au nombre de deux, le prince Georges de Saxe et le roi Pierre V de Portugal. En dehors de ces demandes officielles la jeune femme rencontre Ferdinand-Maximilien d’Autriche, frère cadet de l’empereur François-Joseph. C’est ce dernier qui remportera la mise et l’épousera quelques mois plus tard. Le récit concocté par Fabien Nury débute par cette rencontre entre les futurs époux dans les serres du Château de Laeken, résidence royale. La scène en dit long sur ce qu’il adviendra dans les mois et les années à venir.

Espionnés par des jardiniers au regard aiguisé, Maximilien et Charlotte vont converser avec une forme de distance protocolaire dans les premiers instants, puis avec pas mal d’humour et de bonne humeur ensuite. Les rires et sourires de la princesse suffisent à son père pour juger de l’opportunité du mariage de sa fille et de liens durables avec la famille d’Autriche, les terribles Habsbourg qui dirigent une bonne partie de l’Europe centrale d’une main de fer. Charlotte va dès lors quitter pour la première fois sa proche famille. Nommé vice-roi de Lombardie-Vénétie, Maximilien se verra offert le soin d’administrer les territoires compris entre Milan et Venise, avec cette chance de se retrouver au cœur d’un pays habité par la musique, passion commune des deux époux. Les premières difficultés vont pourtant surgir, Maximilien se révélant en effet très vite sur la défensive dans les rapports qui le lient à son frère et peu enclin à développer une relation affective avec Charlotte. Il se laisse ainsi entrainer dans les affres d’une vie dissolue, indigne d’une personne de son rang…

Les noms de Fabien Nury et Mathieu Bonhomme associés sur ce projet ne peut que nous inviter à nous plonger dans une lecture de leur travail commun. En partant de la vie de Charlotte, princesse de Belgique, il tisse le portrait d’une jeune fille d’abord effacée qui va très vite affirmer son caractère. Là où son époux se résigne sans même lutter, elle, bien au contraire, va tenter de faire illusion. La manière dont les deux auteurs tissent la trame nous rapproche au plus près du destin de cette princesse traversée par des joies et des douleurs, des envies et des déceptions. Les dialogues sonnent juste, comme tout l’aspect protocolaire très bien retranscrit ici. Le ton est juste, les personnages bien campés pour nous donner l’envie de les accompagner sur le prochain volet !
Fabien Nury et Mathieu Bonhomme – Charlotte impératrice – Dargaud – 2018

 

Notre héros n’aime pas la course à pieds, nous le retrouvons pourtant au départ de la plus mythique d’entre elles, le marathon de New York. Sur la ligne de départ, au milieu de  tout un tas d’inconnus, il reçoit un sms de sa petite amie « Au lieu de Bonne chance, j’ai lu C’est fini entre nous. Alors je suis entré dans un bar, à côté du métro de la 95ème rue. » Il y lève un premier verre pour son ex-amie, un autre pour sa propre santé et un dernier pour son voisin de zinc, un dénommé Ed, a qui il confie ses déboires. L’homme en question est habitué des ruptures et s’est imposé une manière de réagir lorsqu’elles surviennent : « D’abord tu l’oublies ! Ensuite tu prends le large ». Notre cœur brisé va tenter de suivre le remède proposé par Ed.

Son désir de fuite, sa discussion sur le président Lincoln et l’envie de rouler en moto le poussent à envisager le voyage sur la Lincoln Highway, cette route mythique qui traverse les Etats-Unis d’Est en Ouest en passant par Philadelphie, Pittsburgh, Chicago, Omaha, la ville de Fred Astaire, Cheyenne, Salt Lake City, Reno, le lac Tahoe et s’achève quelque part vers San Francisco. Au détour de ses périples, qu’il effectue sans savoir à l’avance où il logera le soir, notre homme fait le vide dans sa tête, apprend à observer le monde, la nature, les gens qui l’entourent. Toutes choses qu’il avait perdu pour habitude de percevoir. Un peu comme le personnage de Christian Oster dans son roman Rouler, qui décide un jour de prendre sa voiture pour parcourir sans but les chemins, notre néo-motard ne se fixe pas d’objectif à part celui d’oublier et d’offrir des images à sa vue qui composent une idée de l’Amérique, de sa richesse passée et de ses déboires présents et futurs. Récit simple, structuré en planche de quatre cases parfois étirées Lincoln Highway 750, composé par Barroux et Bernard Chambaz respire l’air des routes perdues, itinéraires bis de destins à reconstruire. Un album respiration.
Barroux et Chambaz – Lincoln Highway 750 – Urban comics – 2018

 

Sous le règne de Louis XV, Nicolas Le Floch, un jeune breton débarque à Paris où il intègre, grâce à son parrain le marquis de Ranreuil, la Police de Paris. Particulièrement vif d’esprit, il se voit confié sa première affaire, celle d’enquêter sur la disparition soudaine du commissaire Lardin qui menait lui-aussi une enquête des plus sensibles. Aidé par l’inspecteur Bourdeau en qui il voue une confiance aveugle, Nicolas Le Floch va parcourir Paris dans ses ruelles les plus sombres et les plus dangereuses pour, en se mêlant au peuple et à la haute bourgeoisie, tenter de trouver des pistes pour résoudre sa propre enquête.

Au départ de ce récit les enquêtes de Nicolas Le Floch écrites par Jean-François Parot à la fin des années 90 aux éditions Jean-Claude Lattès, puis en poche chez 10/18. Il y a ensuite la série télé diffusée à partir de 2008 sur France 2 qui connaitra un succès constant. Aujourd’hui les aventures de Nicolas Le Floch nous parviennent en bande dessinée. Il est toujours difficile de s’approprier un récit déjà abordé par d’autres médiums. D’autant plus lorsqu’il s’agit d’un récit historique qui suppose de rester au plus près d’un cadre et d’une ambiance qui donne le ton à l’œuvre qui se construit. Dobbs, scénariste sur ce projet, excelle dans la relecture de récits littéraires. Récemment il redonnait vie aux romans de Wells pour une collection très efficace lancée chez Glénat. Ici il accepte de coller au plus près du roman pour se rapprocher des personnages, se mouvoir dans l’espace des rues de Paris.

A partir de cette matière il découpe le récit pour le rythmer à merveille, insister sur les relations entre les personnages, notamment avec son assistant Bourdeau ou l’énigmatique Sanson qui préfigure la médecine légale d’étude des corps. Il sait aussi donner sens aux dialogues en conservant le sel d’une diction passée très codifiée qui participe à fortifier l’ambiance générale de cette histoire. Le dessin de Chaiko dans ce contexte se fait au service du récit, précis, d’un réalisme confondant et d’une richesse de détails qui imerge le lecteur jusqu’à une fin ouverte. Une série dont nous espérons voir la suite, même si l’auteur des romans nous a quittés un peu tôt cette année.
Dobbs et Chaiko – Nicolas Le Floch – Robinson – 2018