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Les BD du Mercredi : Le prince de l’ennui (Long Bec), Un monde en pièces (Presque Lune) et Negalyod (Casterman)



Le mercredi c’est désormais trois albums sur lesquels nous portons notre attention. Trois livres qui font l’actualité, trois conseils de lecture, dans une diversité de genre et de format, pour aiguiser la curiosité de chacun !

Un prince s’ennuie de son existence terne. Manque de chance pour l’homme, il est frappé du mal de l’immortalité qui rend sa peine d’autant plus lourde. Pour passer le temps il convoque chez lui les plus grands auteurs, Jules Verne, Théophile Gautier, Stevenson, Maupassant, Lovecraft, Poe et bien d’autres encore qui, par leurs récits, parviennent à rompre la monotonie des heures et des jours qui passent. Le prince propose à son nouvel invité, Étienne Hauterue, qui lui a été chaudement recommandé, le pacte qu’il avait scellé avec ses prestigieux prédécesseurs. S’il parvient à le divertir et à chasser son ennui, le prince lui offrira l’immortalité littéraire, dans le cas contraire l’immortalité tout court. Le nouveau pensionnaire du château des Carpates accepte le challenge et se plait à raconter le voyage qu’il effectua jadis des terres celtes jusqu’au tréfonds de l’Ecosse. Un voyage en randonneur à travers l’immensité d’un paysage empli de magie et de mystères… Le récit de cette rencontre entre Étienne Hauterue et le prince de l’ennui, dessinée à l’aquarelle par Stéphane Heurteau (homonyme de Hauterue), a été publiée une première fois au début des années 2000. La version qui nous est proposée au Long Bec a fait l’objet d’un travail en profondeur sur les planches originales. Travail sur les dialogues, les ambiances, les transitions entre les différentes parties. Au final un récit d’aventure digne des plus grands avec cette magie attachée au voyage et à la découverte de terres à la beauté envoûtante ! Une totale réussite. 
Stéphane Heurteau – Le prince de l’ennui—Editions du Long Bec

 

Au départ un projet de BD sur le web, construit en bénéficiant des technologies du support, notamment en matière d’animation (pluie, perception du vent qui anime les vêtements…). Le projet est présenté au FIBD à Angoulême en janvier 2017 et surprend tout de suite les amateurs de BD, d’une part par une utilisation optimisée du support et par l’univers sombre développé dans le récit, en écho direct avec notre actualité. Un univers dans lequel les frontières sont celles d’un immense plateau de jeu d’échecs et les personnages des pièces, tour, fou, cavalier, pion, du même jeu. Devant l’originalité du projet les Editions Presque Lune décident d’éditer la version BD sur papier. Le cadre parfois glauque du récit se développe sous la forme d’une partie d’échecs dans laquelle les pièces blanches et noires se livrent un combat épique et sans merci. Rien que de très classique mais ce bel agencement des choses se voit en partie bouleversé par l’arrivée, dans un bateau de fortune, de splendides femmes provenant d’un autre univers, celui du jeu de dames… Les deux jeux ne sont pas vraiment compatibles et ses belles femmes qui « n’avaient pas le choix » en quittant leur plateau devront se confronter à un racisme exacerbé. Ulysse et Gaspard Gry livrent un récit truffé de références au jeu d’échecs, que les amateurs échemanes se plairont à débusquer dans les dialogues ou les décors. Au-delà Un monde en pièces, comme le titre le laisse supposer, parle d’un monde qui va mal, pris dans un engrenage de violence, de racisme et de la montée de totalitarismes qui avancent à peine masqués. Un album qui ne souffre pas de sa transposition sur papier et qui procure un vrai plaisir de lecture par l’originalité de son approche et de son traitement en noir et blanc qui rappelle les pièces du jeu autant que la noirceur d’une époque qui n’a n’en pas fini avec ses vieux démons…
Ulysse et Gaspard Gry – Un monde en pièces – Presque Lune – 2018

 

Sur une terre aride qu’un soleil martèle sans jamais faiblir des hommes vivent sous la pression d’un ordre autoritariste censé veiller à l’équilibre d’une société et d’un environnement devenus fragiles. Des nids de rebelles pullulent pourtant dans des stations surpeuplées, autant pour se sentir enfin vivre que pour mettre fin à l’emprise du Réseau, organe suprême qui contrôle l’ensemble des actes du peuple. La ville, tentaculaire, celle qui détient la technologie, le pouvoir et peut-être l’espoir, s’élève à plusieurs centaines de mètres au-dessus des terres asséchées prenant l’allure d’une vaste cité lacustre posée sur un ciel d’un bleu saisissant. Pour châtier ceux qui croient encore qu’un autre mode de vie est possible, le Réseau place dans des généraux conditionnés et asservis le soin de tuer tout rêve d’un avenir meilleur.

Loin des tensions qui germent dans les stations, Jarri Tchepalt vit seul, ou presque, dans l’immensité du désert de Ty. Berger de dinosaures, il accompagne ses bêtes dans de longues transhumances, à la recherche d’eau et de vivres. Cette existence bien rangée va se trouver bouleversée par la traversée, dans le désert, d’un camion-météo conduit par un kamikaze censé créer l’électricité suffisante pour bouleverser l’équilibre du ciel et lui arracher les maigres gouttes d’eau qu’il contient. Un camion qui va surtout être à l’origine de l’anéantissement du troupeau de Jarri. L’équilibre frêle du monde va dès lors se heurter au terrible désir de vengeance de l’homme.

Dans la génération des dessinateurs trentenaires à suivre Vincent Perriot figure en bonne place. L’auteur, remarqué pour son trait d’une extrême créativité, capable d’édifier des univers souvent étranges où l’onirisme n’est jamais loin (Dog, Entre-deux) livre avec Negalyod un récit fleuve de plus de 200 planches peut-être plus accessible. Il accepte d’abord d’épurer son trait pour tendre vers une efficacité confondante. Il imbrique surtout d’une manière quasi-charnelle les intentions et leurs réalisations. Des intentions qui se veulent le prolongement des préoccupations de l’homme et du citoyen qu’il est dans une époque qui flirte avec le grand basculement. Celui qui rendra impossible tout retour en arrière. A l’image de ce que proposait la science-fiction des années 50 et 60, porteuse de messages souvent acides sur le devenir de notre monde, asservi à une technologie toujours plus aliénante, l’univers construit par Vincent Perriot foisonne de questions. Si l’écologie, mais aussi l’architecture, forment le noyau dur du propos, le jeune auteur porte un regard pertinent sur les rapports qui unissent ou désunissent les hommes. Des hommes depuis longtemps résignés, asservis à un ordre qu’ils ne contestent plus, ou si peu, et qui oublient, surtout, que l’autre, cet autre qui apparaît si transparent, peut aussi porter en lui des aspirations communes. Encore faut-il vouloir réveiller des consciences ankylosées depuis trop longtemps.

En assumant l’influence de Moebius, qui se lit jusque dans la mise en couleurs véritablement atmosphérique, confiée à Florence Breton, coloriste du maître, Vincent Perriot nous offre un récit d’une subtilité perceptible sur chaque planche, dans des détails porteurs de sens, à l’instar de ces arbres devenus rares, protégés, telles des reliques, dans des écrins de verre. Western futuriste Negalyod permet à Vincent Perriot d’amorcer un nouveau départ dans une carrière que l’on ne peut que souhaiter aussi riche et singulière que celle de l’auteur de Blueberry.
Vincent Perriot – Negalyod – Casterman – 2018