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Peinture & BD, trois albums passés au crible !

La peinture vue par la lorgnette de la BD offre souvent de belles choses. Il faut pour cela se remémorer par exemple les travaux de Gradimir Smudja, quelques œuvres de Manara notamment sur les modèles et leurs peintres ou encore de belles monographies d’œuvres revisitées telle par exemple celle de Muriel Blondeau avec Margot la Folle. Les projets ne manquent pas. Nous voilà donc confrontés dans ce premier trimestre 2014 à trois beaux sujets qui donnent droit à trois visions particulières du sujet qui nous occupe. Harpignies d’Elric et Darnaudet nous donne à voir une biographie détournée du peintre paysagiste Henri Harpignies, dans un récit d’une fraîcheur rare. La vision de Bacchus quant à lui impressionne par l’érudition de son auteur et la construction même du récit et de la tension narrative. Pablo quant à lui reste sans surprise. Il offre en cette fin de mois de mars le quatrième volet d’une relecture de la période début vingtième siècle du peintre espagnol sur un dessin détonnant de Clément Oubrerie. Trois projets à découvrir, assurément !

 

 Bacchus

  

HarpigniesLe jeune Eric Harpignies sillonne une campagne verdoyante censée l’inspirer. Chevalet sous le bras, sac en bandoulière coiffé d’un haut de forme qui lui donne un air fin de siècle il semble un peu perdu dans ses pensées. Il faut dire que le jeune homme ne sait pas trop où il en est dans sa vie. Tiraillé qu’il est entre une petite amie qui lui fait humer le goût de l’interdit, une famille sans le sous qui vend les tableaux d’un aïeul bien connu des spécialistes de la peinture fin XIXème siècle, et sa vie professionnelle qui manque sacrément de relief, deviendra-t-il peintre ? Musicien ? Ou rien de tout cela ? Mais revenons un peu en arrière pour tout comprendre. Eric possède donc un ancêtre qui a fait les beaux jours de l’école de Barbizon, Henri de son prénom, né en 1819 et décédé à l’âge canonique de 97 ans qui peignait des paysages avec une facilité déconcertante. Mais pour l’instant nous n’en sommes pas là. La grand-mère d’Eric vient de décéder et les parents du jeune homme pas particulièrement en fonds se décide à vendre la dernière toile d’Henri Harpignies, pour un prix qui correspond à l’oubli actuel du peintre, c’est-à-dire pas grand-chose, mais de quoi retarder les échéances des banques qui se font pressantes. Le train qui le mène vers Paris se trouve bloqué en gare de Montpellier et le jeune homme décide alors de partir visiter la ville, et découvre un peu par hasard le musée Fabre, qui pourrait afficher des tableaux de son aïeul. Le musée n’est pas particulièrement bondé et il tombe en grâce devant une belle jeune fille qui reproduit un tableau d’un des membres de l’Ecole de Barbizon. Coïncidence ? Peut-être, en tout cas les deux vont faire un petit bout de chemin ensemble au point d’envisager, devant le talent d’Eric pour la peinture, de se faire faussaire !

Une histoire d’amour en apparence toute simple. Eric et Marie possèdent des passions communes pour la peinture, pour la musique, pour la liberté aussi de vivre sans se soucier du lendemain. Ils possèdent aussi se brin de détachement face aux réalités du monde et cette pincée d’insouciance qui pourrait les mener sur des sentiers glissants. Avec Harpignies, Elric (Dufau) le dessinateur de ce projet, qui est un descendant du maitre paysagiste livre avec Darnaudet au scénario un récit particulièrement frais. Tout en dressant la biographie du peintre les deux auteurs donnent à voir, en avec pas mal d’humour, le destin de deux êtres qui se lient. Idée ô combien originale pour parler du peintre sans se faire trop pesant ou didactique. Un album découverte qui ne laisse pas indifférent et s’achève cerise sur le gâteau, par des documents sur le peintre Henri Harpignies et des reproductions d’un carnet comprenant des esquisses de portraits (rares pour le paysagiste).

Elric & Darnaudet – Harpignies – Paquet – 15,50 euros

 

VISION-DE-BACCHUSEn cette fin d’année 1510 à Venise la peste sévit et emporte avec elle des pelletées de vies aux quatre coins de la lagune. Une des victimes de ce mal foudroyant n’est autre que le peintre Giorgio de Castelfranco, considéré comme un maitre du cinquecento il laissera une œuvre difficilement déchiffrable. La faute peut-être à cette obsession pour une œuvre sui l’a marqué à jamais, réalisée par un certain Antonello de Messine comme il le dit à Bellini son maitre venu lui parler une dernière fois : Il y a fort longtemps, j’ai découvert chez mon père un tableau sublime, qui a brûlé depuis… Un être vivant semblait respirer, et pourtant il n’était que peinture sur un panneau de bois ! C’est grâce à ce tableau que j’ai choisi d’être peintre. Je me suis promis qu’un jour je saurai peindre une telle présence… L’heure est venue pour moi d’accomplir une ultime tentative. Et essayer d’être en paix… Après cette rencontre entre Bellini et son élève, le vieil homme rentre vers son atelier et c’est au travers de son regard et de ses souvenirs que sera livrée l’histoire d’Antonello de Messine. Présentés par un riche notable vénitien du nom de Pasqualino, Bellini et Messine vont tout d’abord apprécier l’œuvre picturale de l’autre avant d’entrer dans une phase de recherche ultime de ce qui va les poursuivre toute leur vie : l’effet de présence et le genre de relation intime que cet effet peut produire sur celui qui la contemple. Pour Antonello de Messine la révélation viendra d’une commande d’un riche banquier de la ville, Filippo Barbarelli qui lui demandera d’immortaliser la beauté de sa jeune épouse pour garder d’elle, jusqu’à la fin de sa vie, cette image ultime déconnectée du temps. Antonello acceptera le défi mais ne parvient pas à rendre ce qu’il cherche obtenir, cette présence qui seule peut révéler la beauté à l’état pur de la belle femme. Et puis lors d’un passage sur le port il aura une révélation en écoutant deux hommes décharger des sculptures de déesses grecques…

Antonello de Messine, Giorgio Castelfranco, Bellini, des noms puisés à la Renaissance vénitienne qui sonnent comme de belles perspectives de déroulé dramatique. Jean Dytar livre un album qui marque les esprits. Par sa présentation de la recherche de vérité pour des peintres habités par un besoin vital de livrer des œuvres possédées par l’effet de présence, ils approcheront de cette ultime marche, y accéderont peut-être au prix du déploiement d’une énergie créative sans réserve. Jean Dytar construit son récit à partir de l’histoire des personnages et des œuvres peintes durant cette période qui va du dernier quart du XVème siècle jusqu’au premier quart du XVIème siècle. Une période fertile dans laquelle la technique ne suffisait plus pour accéder au panthéon de la peinture, pour laisser une trace indélébile dans l’histoire. Antonello de Messine possédait peut-être cette touche irrévérente pour son époque. Il refusait d’inscrire ses œuvres dans une quelconque narration : Mais qu’est-ce qu’une image peut faire éprouver d’authentique si elle se contente de figurer une histoire ? En cela il pouvait peut-être mieux que quiconque approcher cette vérité ultime. Jean Dytar dévoile aussi des secrets d’une époque en présentant notamment La camera obscura, cette pièce obscure qui servait à reproduire les silhouette de sujets placés dans la pièce éclairée qui lui faisait face. L’usage de ce dispositif technique prend sa source dans ce questionnement sur le mimétisme mais aussi sur les effets de lumière. Antonello de Messine a-t-il inventé ce dispositif qui aurait été utilisé par exemple par Le Caravage bien plus tard ? Pourquoi pas. Jean Dytar livre aussi des éléments de compréhension sur l’usage de la peinture à l’huile et sur l’apport de l’école flamande. La vision de Bacchus possède donc ce fabuleux pouvoir de nous plonger dans une époque révolue comme si nous y étions et de nous initier aux pratiques picturales qui se développaient alors dans un but affiché de rendre par la peinture le réel. Sans conteste l’album de ce premier trimestre.

Jean Dytar – La vision de Bacchus – Delcourt – 16,95 euros

 

pablo-tome-4En cette fin de printemps 1907 à Paris, au Bateau Lavoir, Picasso se réveille en sursaut. Et pour cause on vient frapper ou plutôt hurler à sa porte. C’est le début d’une période agitée dans laquelle le talent du petit espagnol grincheux va enfin exploser. Quoique trop en avance sur son temps, dixit Derain, Pablo va enfin faire de son art un art sans concession. Pour cela il devra se séparer de Fernande, son amour qu’il vénère tant qu’elle le bride sûrement dans son bordel organisé. Et de bordel il en est question dans les grandes lignes ici puisque Picasso est en train d’achever ou de tenter d’achever son tableau Le Bordel d’Avignon qui deviendra plus tard Les Demoiselles d’Avignon. Fernande elle, va adopter une jeune fille en provenance de Tunis et s’en séparera presque aussitôt. La séparation se matérialisera dès lors avec sa muse. Il le fallait et les Demoiselles prendront un tournant inespéré. Picasso décide de ne plus exposer, c’est l’époque des tensions qu’il entretien avec un certain Matisse. De cette liberté qu’il trouve dans son art il captera dans sa sphère des trublions comme Braque, Derain et Kahnweiler qui inventerons le cubisme et une nouvelle voie dans cet art mouvant qu’est la peinture. Fernande apparaitra encore pour mieux suivre l’évolution de celui avec qui elle a partagé la vie. Une vie bien remplie qui ferait même naitre quelques sentiments de nostalgie…

Dernier volet de Pablo, série consacrée au peintre espagnol dont la vie se lit au travers des souvenirs de celle qui anima sa flamme, à savoir Fernande Olivier. L’histoire c’est celle aussi de la vitalité de la scène créative parisienne de l’avant-guerre. Une époque insouciante dans laquelle les artistes de tous poils réalisaient des œuvres qui pouvaient s’apparenter à de véritables merveilles d’audaces. Le scénario inventif qui fait défiler la vie de Picasso via le regard de la belle Fernande permet de lire la carrière du génie Picasso de manière périphérique et non frontale, ce qui en soit autorise pas mal de choses et alimente un fil narratif savamment décalé. Le dessin de Clément Oubrerie dans un tel contexte trouve toute son expression. Ça explose dans les cases, ça suinte parfois, ça tiraille nos esprits et ravive nos envies de nous pencher tout à la fois sur le petit espagnol au talent remarquable et sur cette période charnière qui devait précéder le cubisme. Un must !

Birmant & Oubrerie – Pablo T4 – Dargaud – 2014 – 17,95 euros


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