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Relations humaines, disfonctionnements et réussites sociales (1ère partie)



La littérature n’a jamais autant analysé les sujets sociétaux, surtout à une époque qui dérive toujours plus vers des courants inconnus et malsains. Crise de conscience, peur de l’inconnu, peur de l’autre, peur de la différence, la peur engendre toujours plus de peur et c’est pourquoi Martin Page, avec La mauvaise habitude d’être soi, Oscar Zárate et Carlos Sampoyo, avec La faille et Claude Jasmin, avec Papamadi, chacun dans leur style et leur « matière » littéraire, analysent nos rapports aux individus et à la société. Loin de vouloir noircir le trait, chacun essaye de « réveiller » nos consciences pour que nous soyons, plus que jamais, maîtres de nos destins. Une salve de récits poignants, visionnaires et nous l’espérons salvateurs…

 

Martin Page – La mauvaise habitude d’être soi – Editions de l’Olivier – 2010 – 15 euros

Les bons recueils de nouvelles ne sont pas forcément légion. La faute bien souvent à la sélection même des textes qui manque parfois d’homogénéité. Avec Martin Page le problème ne se pose pas de la même manière puisque l’univers de l’auteur de Comment je suis devenu stupide fourmille de scènes cocasses, surréalistes faisant de notre monde une plaine de jeu sans fin. Chaque histoire alterne ainsi absurde, critique de la société contemporaine, questionnement et humour noir avec subtilité et repousse toujours plus loin les limites de la raison. Dès lors, et si le lecteur accepte de se laisser prendre par les récits du jeune auteur, maitre de cordée émérite, le voyage ascensionnel dessinera dans nos esprits des images délurées, mélange d’émotion et de gravité. Une gravité qui donne à ce recueil tout son intérêt car elle appelle le lecteur à (ré)agir contre la banalisation des rapports humains, la surdité qui gagne et gangrène toujours plus notre société. Martin Page pose un cri d’alerte. Un cri qui ne peut trouver de meilleur écho que dans la dérision. Un livre qui fascine autant qu’il dérange et bouscule nos habitudes. Donc essentiel.


Oscar Zárate et Carlos Sampoyo – La Faille – Futuropolis – 2010 – 18 euros

Londres a perdu de sa superbe. Celle qui, il y a encore peu de temps, rayonnait au-delà des mers et des océans les plus lointains, se trouve aujourd’hui aux prises avec un mal étrange : les murs de la ville se fissurent faisant de la ville un immense château de cartes, prêt à s’effondrer au moindre souffle. Serait-ce dû aux bombardements de la seconde guerre mondiale, à l’explosion terroriste de 2005 ou à un autre mal plus pernicieux encore ? Personne ne le sait et la ville s’enfonce progressivement et régulièrement vers les plus sombres heures de son histoire. Et de failles comme celle-là, qui révèlent peu à peu que Londres va sombrer… Londres qui fut autrefois capitale du monde. Dans un tel cadre Oscar Zárate et Carlos Sampoyo, les auteurs de cet album troublant et dérangeant, peignent un tableau au vitriol de notre société contemporaine à partir de trois destins qui vont se croiser et se lier jusqu’à un final étourdissant. C’est tout d’abord Peter Greene, inspecteur de police qui mène l’enquête sur une explosion terroriste dans la City, c’est ensuite Helen Rosen, la célèbre animatrice de l’émission pour ados « Ton problème est le nôtre » dont l’audience, malgré le déploiement de moyens et d’émotions captées en direct live, chute sans cesse, c’est enfin Jeremy McPhee, étudiant sans histoire qui, comme de nombreux jeunes de son âge, vit mal dans sa peau au point de vouloir changer de visage. Par rapport à la norme, je ne suis pas laid… mais je ne suis pas dans la norme… Jeremy va ainsi poser sa candidature à la célèbre émission d’Helen, pour corriger une « erreur de la nature ». Loin d’être ordinaire, le destin du jeune adolescent va captiver l’audience, au point de faire grimper quotidiennement les parts de marché. Véritable bouffée d’oxygène d’une émission en perte de vitesse, tout sera alors bon pour maintenir vers les sommets les taux d’audience, au point de ne plus être en accord avec une éthique qui s’effrite elle aussi comme les failles de la ville. Le mal qui gagne Londres se trouve résumé dans ces trois destins car, comme le souligne les auteurs, Ces failles peuvent être considérées comme des métaphores. Métaphores d’un monde à la dérive qui se complet dans l’image et la superficialité au détriment d’une réflexion qui a fait de l’Angleterre, pays de Shakespeare, d’Aldous Huxley ou de Charles Dickens, un des flambeaux de la pensée européenne. Les failles renvoient aux déchirures d’une époque qui perd progressivement ses repères au point de vaciller et de s’éteindre peut-être à jamais… Oscar Zárate et Carlos Sampoyo offrent, avec cet album, un témoignage coup de poing et nous font prendre conscience que dans nos différences résident nos plus grandes richesses. Notre société, si elle présente tous les symptômes d’un mal profond, peut encore inverser son destin pour éviter que la faille ne devienne gouffre et ensevelisse nos derniers espoirs. Serons-nous en prendre conscience ?


Claude Jasmin – Papamadi – VLB éditeur – 2010 – 27 euros

Claude Jasmin est un écrivain à part dans la littérature québécoise. Auteur prolifique qui aurait pu embrasser de nombreux autres destins au regard de son parcours atypique et riche, il nous livre, avec son dernier ouvrage, un témoignage sincère et émouvant sur la relation avec son père Edouard. En cela ce roman peut être considéré comme un complément à La petite patrie, publié en 1972. Papamadi revient sur les relations d’un père captivé par les phénomènes religieux étranges et mystiques – telles les apparitions de la Vierge Marie à Lourdes ou Fatima, la thaumaturgie ou les plus étranges cas de possessions – et de son fils Claude, qui écoute avec fascination, émerveillement et peur ces étranges récits qui forgeront son enfance et son adolescence. L’enfant aime ensuite raconter à ses camarades de classes les récits époustouflants qu’il vient d’entendre de son père. Chacun des récits de l’enfant débute par ces mots « Papa m’a dit », ce qui lui vaudra son surnom repris ici pour titre au roman. Au-delà des relations filiales, Claude Jasmin dépeint aussi une époque en prise avec l’omniprésence du religieux dans le quotidien, et dépeint avec émotion le Montréal de sa jeunesse. En grandissant, Claude prendra ses distances avec la cause religieuse, allant jusqu’à provoquer son père dans le but, non pas de le blesser mais de lui faire prendre conscience d’une autre réalité, d’une autre explication aux phénomènes qui le fascinent. Je veux en profiter, d’où me vient ce besoin de l’ébranler ? Vengeance pour mon enfance remplie de religiosité ? Le combat sera perdu, ce qui inconsciemment sera la cause d’une distanciation avec son père. Le style de Claude Jasmin alterne passages légers, proches de l’oralité, lorsqu’il décrit son enfance avec des passages empreints de poésie lorsqu’il souhaite faire ressurgir la nostalgie de ces moments passés qu’il garde en mémoire : Ici, au parc, le soir monte peu à peu contre un grand drap coloré. Une fin de juin toute bariolée, firmament zébré plein de zigzag mordorés ; au bout de l’horizon, au-dessus des tracks, longues lanières marine qui bougent au vent, on dirait des linges déchirés ; derrière moi, rue Saint-Laurent, plusieurs gris sales s’emmêlent. Un peu de violet à l’horizon, derrière la gare. Cela donne incontestablement une richesse au récit qui se lit d’une traite faisant ressurgir en nous nos propres histoires d’enfance. Papamadi reste une incontestable réussite littéraire, preuve aussi que l’auteur possède un réel don de conteur qu’il met au service pour nous émouvoir. Un réel coup de cœur.