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Voyage autour du monde de Louis Antoine de Bougainville

Bougainville ne restera pas dans l’histoire pour ses découvertes. Arrivé trop tard, préoccupé par d’autres buts, il ne sera jamais considéré comme un Cook, un Colomb ou un Magellan. Pour autant son récit, Voyage autour du monde par la frégate du Roi, la Boudeuse et la flûte l’Etoile s’impose comme l’un des récits majeurs sur la grande épopée des découvertes et explorations menées dans le Pacifique…

Dans son Discours préliminaire Louis Antoine de Bougainville laisse entrevoir tout l’enjeu des explorations et des voyages en terres inconnues. Il y dresse succinctement les principaux voyages effectués depuis le XVIème siècle vers l’Ouest et au-delà jusqu’au pacifique. Il démontre tout l’intérêt de ces quêtes et les conséquences directes sur la nouvelle perception du monde. Il répond aussi avec verve à Rousseau qui dans la note 10 de son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes affirme haut et fort que les marins dont fait partie Bougainville ne sont pas de bons observateurs du monde qu’ils découvrent :

Les particuliers ont beau aller et venir, il semble que la philosophie ne voyage point, aussi celle de chaque peuple est-elle peu propre pour un autre. La cause de ceci est manifeste, au moins pour les contrées éloignées : il n’y a guère que quatre sortes d’hommes qui fassent des voyages de long cours ; les marins, les marchands, les soldats et les missionnaires. Or, on ne doit guère s’attendre que les trois premières classes fournissent de bons observateurs et quant à ceux de la quatrième, occupés de la vocation sublime qui les appelle, quand ils ne seraient pas sujets à des préjugés d’état comme tous les autres, on doit croire qu’ils ne se livreraient pas volontiers à des recherches qui paraissent de pure curiosité et qui les détourneraient des travaux plus importants auxquels ils se destinent.

Auquel il s’empresse de répondre que l’homme a plus de chance de percevoir ce monde en osant prendre la mer plutôt qu’en restant dans son cabinet :

Je suis voyageur et marin ; c’est-à-dire, un menteur, et un imbécile aux yeux de cette classe d’écrivains paresseux et superbes qui, dans les ombres de leur cabinet, philosophent à perte de vue sur le monde et ses habitants, et soumettent impérieusement la nature à leurs imaginations. Procédé bien singulier, bien inconcevable de la part de gens qui, n’ayant rien observé par eux-mêmes, n’écrivent, ne dogmatisent que d’après des observations empruntées de ces mêmes voyageurs auxquels ils refusent la faculté de voir et de penser.

Mais Le voyage autour du monde qui nous est parvenu n’est pas à proprement parler resté dans les esprits pour cette seule polémique. Et nous devons donc replacer le contexte de l’époque. Bougainville est le premier Français à avoir effectué une circumnavigation. Plus que cela il découvrit plusieurs îles du Pacifique qui devaient ensuite servir de base à la mise en place de colonies françaises dans cette région. Les relevés qu’il effectua servirent à dresser une carte précise de cet océan sans fin qui valut des déboires à nombre de voyageurs avant lui, dont Magellan le premier d’entre eux. Les intérêts scientifiques de ce voyage, même s’ils s’avérèrent précieux pour ses successeurs, ne devaient pas pour autant bouleverser la vision du monde. Par contre le navigateur restera comme le premier à s’être entouré d’une véritable équipe scientifique représentée par le naturaliste Commerson – dont l’histoire de son embarcation avec sa femme déguisée en valet a donné lieu à la série BD Passage de Vénus de Jean-Pierre Autheman et Jean-Paul Dethorey (Dupuis) -, l’astronome Véron, qui détermina la largeur du Pacifique lors de l’observation d’une éclipse de soleil en juillet 1768, et le cartographe Romainville.

Le but premier du voyage de Bougainville était, sur ordonnance royale, de remettre aux espagnols les terres des Malouines. Cependant le navigateur devait aussi profiter de ce voyage pour fonder de nouveaux comptoirs pour la Compagnie française des Indes orientales. Il découvrira ainsi quelques îles, effectuera un relevé précis des îles Salomon et débarquera à Tahiti où il sera guidé par un jeune tahitien Aoutourou qu’il fera venir en France et qui entretiendra la légende sur ces sauvages aux mœurs légères qui donneront lieu dans la littérature française au mythe du bon sauvage et au paradis polynésien qui devait perdurer tout au long du XVIIIème et XIXème siècles.

Bougainville ne restera pas dans l’histoire pour ses découvertes proprement dites. Il a ouvert cependant une voie dans le Pacifique. Sa prose restera par contre et son Voyage autour du monde demeure un modèle de littérature de voyage. Lettré, ses descriptions de la faune et de la flore ou  des mœurs des tahitiens valent une lecture même aujourd’hui. Preuve s’il en faut, ce récit est sûrement l’un des plus réédités à ce jour dans la littérature de voyages…

Louis Antoine de Bougainville – Voyage autour du monde – Folio – 2011 (rééd.) – 9, 40 euros


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