- Article publié sur MaXoE.com -


Les jeux de société : Tenga



 

 

Jeux de société… Même le plus lamentable des collégiens vous le dira, il y a deux mots forts dans cet énoncé: jeux et société. Littéralement, le jeu de société est donc celui qui se partage à plusieurs, et on pourrait rajouter le critère « physiquement présents » pour faire le distingo par rapport aux jeux vidéo qui peuvent être des jeux sociaux mais pas de société. Ça va vous suivez toujours?

Or, à la fin de notre dernière réunion de rédaction, avinée comme il se doit, notre rédactrice, un oeil au fond de son verre tristement vide et l’autre posé sur nous (belle performance) nous posait la question de ce que nous faisions entrer dans cette catégorie. Une fois Ahina neutralisée (elle vociférait l’oeil hagard que les Tamagotchi étaient un jeu de société, mais Ahina n’est pas objective dès lors qu’il s’agit de n’importe quoi de japonais), nous lancions quelques pistes dont une plus inattendue: le jeu de rôle.

Et c’est vrai. Quoi de plus social, finalement? Un groupe, plus ou moins étendu, se retrouve autour d’une table et de quelques victuailles pour faire exister des personnages fictifs en interagissant entre eux et avec le Meneur de Jeu, scénariste, metteur en scène, arbitre et antagoniste principal.

Difficile, évidemment, de parler du jeu de rôles. De tous temps, les faits divers les plus tordus ont été attribués à ce hobby, et ses praticiens passent pour des psychopathes, dans le meilleur des cas. Pourtant, ce serait un peu comme résumer le rock’n roll au dark métal, et le dark métal à une meute de satanistes: c’est ridicule.

Aussi, cette semaine, le jeu de rôle intègre la grande famille des jeux de société à la sauce MaXoE, et nous allons vous parler de Tenga, un petit bijou.

D’abord, Tenga, c’est français. Cocorico tout ça. Ce sont les petits gars de John Doe et plus particulièrement Jérôme Larré qui ont donné naissance à ce petit volume, paru en DOA, Dead On Arrival, une marque de fabrique de John Doe qui désigne un jeu de rôles qui sera tout entier inclus dans un seul volume. Tout est donc compris dans ce petit livre: règles, feuilles de personnages, scénario de base, background historique, géographique, personnages non-joueurs notables, etc.

Tenga vous envoie au Japon dans l’époque Tenga, précisément, de 1582 à la grande bataille de Sekigahara en 1600 puis l’avènement des Tokugawa. Période trouble par excellence, c’est un peu l’époque de la survie: les samouraïs n’existent pas vraiment, le bushido non plus, le code de l’honneur n’est pas encore clairement établi, certains paysans portent les armes… En somme, nous sommes très loin du Japon de carte postale que nous pensons tous connaître plus ou moins.

Les joueurs vont incarner un personnage de cette époque, déterminé évidemment par des caractéristiques et des compétences. Mais Tenga est surtout un jeu qui valorise le roleplay, la volonté d’incarner son personnage, ce qui exige d’avoir un personnage riche. Ainsi, le personnage aura des valeurs (c’est un minimum), une Révolte (un point de départ de sa vie d’aventurier, ce qui l’a détourné de sa vie classique), mais aussi et surtout un Karma et une Ambition.

L’ambition, c’est ce que le personnage veut ou espère devenir ou accomplir. Devenir le bretteur le plus accompli du royaume, mener des paysans à la révolte, protéger son village contre les horreurs de la guerre, évangéliser les autochtones si l’on décide de camper l’un des rares prêtres catholiques, etc. Cette ambition est le moteur du personnage et lui sert de canevas.

Par opposition (ou pas, d’ailleurs), le Karma est ce que le personnage VA accomplir ou devenir. On joue donc un personnage dont on connaît la destinée, ce qui est unique et passionnant. Un personnage peut ainsi vouer sa vie à son maître tout en sachant qu’un jour il devra trahir un être cher. Ou protéger son village en sachant qu’un jour il ne devra sa survie qu’à sa lâcheté. Le Karma n’est pas toujours sombre, mais le situer loin du concept de son personnage permet un roleplay passionnant, tant il est vrai que les héros tragiques ou au contraire ceux qui « ressuscitent » sont les plus beaux.

Le jeu propose d’ailleurs différents archétypes fort précieux pour choisir son personnage ou le créer.

De la même manière, les personnages de tous les joueurs font partie d’un groupe. Ce groupe a des moyens, dont les joueurs décideront ensemble puis s’attribueront les uns aux autres. Le choix n’est pas anodin car le responsable d’une ressource en fait ce que bon lui semble… et meurt avec, le cas échéant! Le groupe a lui aussi une ambition, pas toujours en accord avec celle des personnages ni avec leur karma. Ainsi, par exemple encore, un groupe pourra se constituer pour revendiquer l’héritage d’un maître artisan mort, sachant que l’un d’entre eux veut en faire commerce, qu’un bushi n’est là que pour séduire la forgerone, qu’un autre a pour obsession que personne ne sache jamais que l’héritière est une femme, etc. Passionnant. Enfin, le groupe a une compétence spécifique, qui apportera un bonus aux membres du groupe s’ils s’en servent.

Bien entendu, les personnages pourront progresser en accumulant de l’expérience à travers un système lié aux valeurs du personnage, ce qui permet une évolution du personnage étroitement liée à sa personnalité profonde. Encore une totale réussite.

Comment se traduit tout cela en termes de système de jeu? Aussi simplement que possible: il n’y a pas de dé. Le joueur donne le niveau de sa compétence, le Meneur de Jeu regarde en fonction de la difficulté de l’objectif, et donne un type de réussite: correct, bon, remarquable, médiocre, mauvais, etc. Si un joueur décide de se transcender, il pourra utiliser un dé pour améliorer l’ensemble, mais cela lui coûtera une fatigue supplémentaire, qu’elle soit physique ou morale. Il pourra aussi tenter l’impossible, mais ce sera au joueur de décrire alors quel sort funeste attend son personnage au cas où il échouerait. Le jeu, une nouvelle fois, pousse le joueur à incarner son personnage, ce qui ne sera pas facile pour un débutant, mais très agréable pour un joueur qui apprécie d’avoir un personnage vraiment creusé qu’il prenne plaisir à incarner.

De la même manière, l’état du personnage est fort bien traité: chaque blessure est traitée et suivie individuellement, et ses effets sont donc extrêmement spécifiques. Dans cette même logique, la mort peut donc guetter les joueurs à chaque coin de rue, d’où la nécessité de jouer avec prudence et jugeote.

Pour faire évoluer tout ce beau monde, Jérôme Larré a fait un travail remarquable, compilant en ce seul volume une petite somme sur cette époque: histoire, géographie, botanique, zoologie, culture, tradition, rien ne manque à l’appel, et ne serait-ce que par ce seul aspect le jeu mérite largement le détour, tant sa lecture est passionnante et instructive.