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Modern Art : ceci n’est pas un bon jeu.



Vous vous en doutez, le titre de cet article est une paraphrase de l’œuvre célèbre de Magritte, et il faut en conclure tout le contraire : Modern (MA) Art est un excellent jeu! 2ème édition de la seconde version d’un jeu qui fête ses 20 ans, MA signe un retour remarqué que nous allons examiner ensemble.

L’introduction vous a mis sur la voie : vous allez assumer la peau d’un mécène de l’art moderne, d’un Bernard Arnault ou d’un François Pinault. Cela passe, bien évidemment, par sentir le courant et investir sur le bon cheval, tout en décotant autant que possible les poulains adverses ou en les poussant à soutenir le vôtre tout en gardant la haute main. La mécanique, du coup, est extrêmement subtile, d’autant que le jeu ne manque pas de finesse ni d’une stratégie très réelle, aucune partie ne ressemblant à une autre (critère qui revient souvent dans cette rubrique) et chaque occasion mettant votre sens de l’adaptation à l’épreuve. Reiner Knizia, le créateur du jeu, est un auteur connu et très apprécié, très emblématique de « l’école de l’est », des jeux austères mais d’une richesse inouïe, et MA ne fait pas exception. Nous consacrerons d’ailleurs, peut-être, un jour, un dossier entier à cet auteur remarquable.

Au début du jeu, étape fondamentale : le blé ! Sans argent, pas de mécénat, aussi chaque joueur reçoit-il 100.000 euros (la coupure minimale étant 1.000 euros), qu’il cache derrière un paravent. Jamais on ne doit dévoiler sa fortune.

La première manche commence par la distribution d’un certain nombre de cartes selon le nombre de joueurs, sur les 70 que compte le jeu, issues de 5 auteurs fictifs différents (mais dont les inspirations sont bien visibles) et qui de toutes façons seront toutes distribuées avant la fin de la partie (donnée stratégique décisive). Le premier joueur décide de mettre en vente une carte, qui représente un tableau. La modalité de vente est prévue par une icône dans les coins de la carte :

– deux phylactères : c’est une enchère libre, classique, dont le vendeur est un commissaire-priseur qui pourrait participer.

– Un panneau : le vendeur fixe le prix, on fait UN tour de table dans le sens des aiguilles d’une montre et le premier qui paie le prix obtient le tableau. A défaut, c’est le vendeur qui l’achète à ce prix. Où l’on voit clairement l’importance d’avoir un oeil attentif sur son voisin.

– Un poing : chaque joueur met une mise, ou pas, dans son poing fermé, et tout le monde la révèle. Le gagnant emporte la mise.

– Un Ouroboros : on fait UN tour de table, chacun peut faire une et une seule offre, le vendeur parlant en dernier. C’est certainement l’une des plus délicates, puisque le vendeur peut obtenir un tableau à vil prix… ou forcer un adversaire à s’en emparer pour l’empêcher de le faire, ce qui l’obligera à un éventuel investissement contre-productif…

– Enfin, les deux cartes : cela obéit à des règles particulières, puisque cela permet de jouer deux tableaux du même auteur. Si c’est le même joueur qui joue les deux tableaux, le second tableau fixe les règles de vente pour la paire et tout se déroule normalement. Sinon, on fait un tour de table, et si un joueur joue le second tableau, c’est lui qui fixe les modalités, mais surtout, exception dans ce jeu où l’on paie toujours la banque, c’est lui qui percevra l’argent… Si personne ne joue de second tableau, le vendeur empoche gratuitement son tableau. Un outil puissant, donc, mais à manier avec prudence.

Dès qu’un cinquième tableau d’un même artiste est vendu, on arrête la manche sans mettre le tableau en vente. Le peintre qui a été le plus vendu devient le mieux côté, et on côte aussi les trois premiers. En cas d’égalité, on départage par rapport à la rareté d’un artiste (tous n’ont pas le même nombre de tableaux en jeu). Ainsi, les côtes sont de 30.000, 20.000 et 10.000 euros, les deux derniers ne valant rien. Enfin, la banque rachète tous les tableaux achetés par les joueurs pour leur cotation et on les défausse. En revanche, les joueurs gardent les tableaux qui leur restent en main.

La seconde manche commence, on distribue encore quelques tableaux (comme lors de la troisième, mais PAS lors de la quatrième attention) et on recommence. La subtilité viendra de la fin de la manche: les cotation s’additionnent avec une exception notable que nous allons tâcher de clarifier:

– Si un tableau valait 20 à la première et 10 à la seconde, il sera racheté 30.

– Si un tableau valait 30 à la première et 0 à la seconde, il ne vaut rien!

– Si un tableau valait 30 à la première, 0 à la seconde et 20 à la troisième, il vaut 50. L’absence de côte sur une manche ne suspend donc la cotation qu’à cette manche.

A l’issue de la quatrième manche, le joueur le plus riche a gagné.

Vous le voyez, déjà, le jeu regorge de possibilités tactiques : il faut appâter, valoriser un artiste de la manière la plus discrète possible, démolir la côte des autres, etc, et il n’est pas indispensable de dépenser : il faut le faire à bon escient. Et si le jeu peut paraître un peu aride au départ, on se prend vite au jeu, d’autant qu’à bien y regarder, n’étaient-ce les sommes dérisoires par rapport au vrai marché de l’art, le jeu représente les grandes lignes de ce qu’est le marché de l’art moderne.

Ça dure 45 minutes, ça coute 35 euros, et c’est à découvrir d’urgence!

Et n’oubliez pas: on n’arrête pas de jouer parce qu’on vieillit, on vieillit parce qu’on arrête de jouer!

 

Ps: une adaptation de l’ancienne version du jeu existe sur iOs. Sensiblement différente, elle est pourtant assez intéressante également, et mérite votre attention.