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La Voie de l’ennemi de Rachid Bouchareb



affiche-voiedelennemieLe cadre désertique du Nouveau-Mexique avec sa chaleur pesante et ses vastes étendues propices au regard de l’autre, sert à la mise en place de La Voie de l’ennemi. Le synopsis de ce récit dramatique sous fond de réinsertion sociale, se calle sur celui de Deux hommes dans la ville de José Giovanni avec les cadors Gabin et Delon dans les rôles vedettes. Un hommage peut-être mais surtout une réinterprétation, une relecture transposée à la société américaine qui cultive la peur comme moteur à l’action/réaction. Garnett (Forest Whitaker) un colosse noir-américain sort de prison après avoir purgé une longue peine. Quelques années auparavant, alors qu’il était membre d’un gang local, il tire et tue l’adjoint du sheriff Bill Agati (Harvey Keitel). Le sheriff n’a pas la mémoire fuyante et cette libération qui lui parait inconcevable au regard de la disparition de son ami et collègue va être propice à une surveillance rapprochée, un harcèlement qui pourrait pousser Garnett à commettre l’irréparable et le reconduire derrière les barreaux de façon cette fois définitive. Mais l’ex-détenu pourra compter sur l’aide d’Emily Smith (Brenda Blethyn), agent de probation fraichement arrivée dans la région qui sera chargée de sa mise à l’épreuve. Elle lui trouvera un foyer d’accueil dans lequel il pourra se poser pour partir à la recherche d’un emploi et tenter de vivre une nouvelle vie, loin de ses égarements passés.

Rachid Bouchareb offre avec cette chronique sociale sombre une réflexion sur la réinsertion possible de ceux qui ont défié les règles de la société. Bouchareb n’offre pas d’image de ce passé, de cette violence exprimée dans un moment d’égarement. Le Garnett qui nous est présenté, converti à l’Islam lors de son séjour en prison, pourrait ressembler à n’importe quel bougre un brin perdu dans la société américaine. La religion lui a appris à contenir sa violence, à la maitriser. Ses intentions sont nobles, vivre simplement d’un travail, fonder une famille, oublier son passé. Mais les anciens démons sont toujours présents et son ancien complice tentera de le réembaucher, pour le remercier de ses services rendus et du fait de ne pas l’avoir dénoncé bien des années auparavant. Garnett, lui, aspire pourtant à la tranquillité seulement voilà les fantômes de l’homme passé sont toujours là au point de bouleverser ses intentions premières.

La grande force de ce remake transposé à la société américaine de Deux hommes dans la ville, vient de son casting. Des rôles véritablement habités par les trois acteurs phares de ce film. Forest Whitaker bouleversant de sincérité, possède le physique de la force tranquille, un brin nounours capable de coups de sang irréversibles. Son personnage possède les clefs de son destin, car l’ennemi n’est pas celui qui lui fait face mais bel et bien celui qui se cache en son for intérieur. Harvey Keitel en sheriff rancunier porte la pensée républicaine et patriotique qui veut que l’homme reste responsable de ses actes passés. La réinsertion ne serait qu’offrir au monstre libéré l’opportunité de frapper de nouveau. L’acteur du Regard d’Ulysse livre une interprétation convaincante et inquiétante car elle porte une pensée majoritaire, tout du moins dans les états du sud, proche de la frontière mexicaine. Brenda Blethyn que les cinéphiles à la mémoire solide avaient découvert il y a une vingtaine d’année dans Secrets et Mensonges de Mike Leigh, joue le rôle de tampon entre les deux hommes. Et elle le fait de fort belle manière dans un rôle qui met en avant sa capacité d’écoute, sa volonté de ne pas juger ou de ne juger que sur les faits. Elle représente en cela cette face minoritaire sur ces terres désertiques qui veut laisser le temps juger et réparer les passés sombres de ceux dont elle suit la réinsertion. Bloquée par une administration qui n’a que faire de l’individu elle offre ce brin d’humanité qui manquait sur ces terres reculées…

La bande-annonce