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Skyfall



 

Après avoir de justesse échappé à la mort, et s’être fait oublier pendant quelques temps, l’agent 007 doit reprendre du service pour sauver sa vie, mais aussi celle du MI6 dans son ensemble. C’est sous ce pitch, assez navrant vu comme ça, que se cache peut-être, allez parfois il faut savoir se lancer, l’un des si ce n’est le meilleur James Bond, en tous cas le meilleur depuis près de trente ans.

Le postulat de base est assez évident : Bond est un héros dépassé, le héros d’une époque révolu où l’ennemi était clairement identifié et les règles claires, l’époque de la guerre froide. Aujourd’hui, et c’est ce que nous pressentions depuis de nombreux films, Bond n’est plus au goût du jour : l’ennemi est devenu plus insidieux, caché dans les ombres, impossible à identifier. Ce ne sont plus des superpuissances ou des moghols immédiatement identifiés. Le temps n’est plus aux Auric Goldfinger, aux Hugo Drax et aux autres.

C’est la douloureuse expérience que traverse l’agent Bond, que l’on découvre au début du film usé, alcoolique, ayant perdu toute sa classe légendaire et sa capacité à tomber les filles sans même s’en rendre compte. Bond n’est plus que l’ombre de lui-même, comme le montre sa réintégration au sein du MI6. Du coup, on est évidemment terriblement surpris : les codes du genre sont bafoués, parfois même inversés et même ignorés. Les gadgets, les deux James Bond Girls, le méchant et son homme de main, on se demande où vont Sam Mendes et son scénariste, et malgré tout on est fasciné par l’histoire racontée, malgré une exposition un peu longue et pas toujours indispensable.

En face de Bond, puisque méchant il y a tout de même, on trouve un Javier Bardem qui incarne une sorte de double de Bond, un double qui aurait renoncé à son patriotisme, un double plus extrême, plus dur… Le jumeau de ces deux derniers points de vue, de ce qu’était devenu Bond dans Casino Royale et Quantum of Solace. On lui a imposé de faire de son personnage une sorte d’averti, seule erreur du film tant on voit que Bardem n’est pas à l’aise dans ce registre. Mais dès qu’il décide d’ignorer cette dimension de son personnage, on trouve une nemesis incroyable, venimeuse, manipulatrice, vraiment angoissante : une composition splendide qui envoie directement Javier au panthéon des méchants Bondiens (vous le savez, j’adore les néologismes).

Tout le message du film peut, et doit, être lu de manière métaphorique, et l’on comprend alors pourquoi les producteurs ont choisi Sam Mendes dont, pour ne citer que lui, l’exceptionnel Americain Beauty était déjà un film à tiroirs remarquable.

Ainsi donc, c’est un James Bond humilié, vaincu, possédé qui doit se relever, s’adapter, mais sans se renier, sans continuer à se renier. Cela passe par un retour aux fondamentaux, pour commencer. Les clins d’oeil, dans le film, sont nombreux à l’âge d’or de Bond, et on découvre des aspects du personnage que l’on ignorait plus ou moins, une dimension plus intime. Il faut bien avouer que se pencher autant sur la psychologie de 007 n’est pas usuel, mais pas inintéressant pour autant. Une fois ce retour aux sources accompli, Bond pourra s’affranchir de l’imagerie de cet héritage, qu’il aura enfin assimilé, traversé, littéralement, un cercle de feu et un cercle d’eau dans une imagerie biblique singulièrement évidente, pour mieux ressusciter, enfin adapté au monde qui l’entoure, combattant depuis les ombres ceux qui s’y cachent, mais sans se renier. A cet égard, et sans spoiler, la toute fin du film remet enfin les choses en perspective : les films de Craig se raccrochent à la mythologie de Bond, dans tous ses aspects, et le résultat est là. Bond a pu enfin opérer la mue attendue, faire la nécessaire progression pour ne pas devenir un héros ringard mais pas non plus un héros de film d’action lambda. En somme, on retrouve 007, sa classe, ses interlocuteurs légendaires : tout est pareil, mais tout est différent.

Pour dire quelques mots, tout de même, de la mise en scène, Mendes n’est pas et ne sera jamais un réalisateur de films d’aventure, et il n’a d’ailleurs pas été recruté pour ça. Si les scènes d’action sont plutôt brouillonnes, la palme revenant à une scène impliquant un métro qui rappelle les heures fastes des Thunderbirds, Mendes a une façon de filmer ses pesonnages, et notamment les dialogues, qui sert à merveille les enjeux psychologiques, rendant grâce à son casting brillant : Craig, bien sûr, mais aussi Bardem, Judi Dench ou encore Ralph Fiennes.

Comment ne pas être dithyrambique ? Après deux films inquiétants, malgré certaines qualités, Mendes réussit un réel tour de force, en montrant un Bond démuni, atteint, et sa traversée des ombres et de son propre passé pour se reconstruire. Un Bond inattendu, très déstabilisant, comme si le réalisateur nous disait : « Je vous confique les codes et les repères, je vais les brutaliser,mais je le dois, car c’est le prix à payer pour que votre héros se sublime« . Très courageux, très audacieux, mais le résultat est là, et il est éclaboussant de classe. Merci, Monsieur Mendes.