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Adapter une œuvre littéraire en BD – Jean Bastide revisite Hugo…



Angoulême reste un formidable moyen de rencontrer en peu de temps tout un lot d’auteurs de BD, qu’ils soient scénaristes ou dessinateurs, et donc de pouvoir aborder avec eux leurs travaux récents et à venir. Un moyen pour nous de vous proposer quelques news, beaucoup de fraîcheur dans les réponses spontanées des auteurs qui se livrent sans arrière-pensées. Bref un moment privilégié pour parler 9ème art et parfois bien plus que cela…

 

 

Adapter une œuvre littéraire. Le défi reste de taille pour celui qui, fort de sa perception, souhaite retranscrire sa vision intime d’une lecture éphémère qui construit et alimente son imaginaire. On peut choisir de coller à l’œuvre, de s’y immiscer respectueusement sans trop changer l’ordre des choses et offrir ainsi les images issues d’une lecture directe qui évite peut-être le risque de déplaire au plus grand nombre. On peut aussi choisir de s’éloigner le plus possible du cadre pour coller aux idées, à la portée de l’œuvre et de sa symbolique. Le contexte reste dès lors accessoire et celui qui adapte peut donner à lire une réinterprétation qui a défaut d’être fidèle se veut plus singulière, plus personnelle. Les deux sont possibles tout en gardant à l’esprit que le travail d’adaptation en bande dessinée est avant tout une autre vision d’auteur. Jean Bastide a souhaité s’attaquer à une œuvre immense, une de celles qui peut faire peur tant son aura dans l’esprit populaire reste prégnante, Notre-Dame de Paris. Son travail de relecture colle au texte, peut-être trop selon lui qui aurait a posteriori voulu se singulariser d’avantage pour donner à lire une réinterprétation totale et imagée plus féconde en sensualité. Pour autant le travail graphique reste d’une force réelle et je vous invite à lire ici la chronique que nous avions faite du premier tome de cette adaptation. Le second et dernier volet, construit sous la forme d’un épais volume verra le jour en principe cette année, le plus tôt possible en tout cas. Pour patienter nous vous laissons quelques minutes avec l’auteur dans cette interview réalisée à Angoulême le 31 janvier dernier… nous vous offrons aussi, notre présentation de la relecture de Gatsby le Magnifique de Francis Scott Fitzgerald par Stéphane Melchior-Durand et Benjamin Bachelier. Une autre façon de relire une œuvre, par la transposition temporelle et géographique… A découvrir d’urgence !

 

Interview de Jean Bastide

 

 

Gatsby Le Magnifique

Un homme assis sur une chaise sommaire fume une cigarette. Un verre à vin vide posé sur une table proche parait tout aussi perdu que lui. En arrière-plan une nuée d’hommes et de femmes s’amusent comme dans une garden-party réjouissante. Un décalage évident avec l’homme à la cigarette qui, même s’il est au centre de l’action, semble dans un ailleurs indéfinissable, hors du temps. Des poissons flottent dans les airs, comme dans un film déjà lointain de Kusturica, et s’émeuvent peu de la situation. Réalité ou rêve ? Instant lointain ou à venir ? Fantasme ou simple illusion ? Peu importe. Car le titre, inscrit en gros caractères tremblants, a déjà donné sa réponse : Gatsby le Magnifique, d’après l’œuvre de F. Scott Fitzgerald.

Nous sommes en Chine, à Shanghai, ville tentaculaire par excellence au tournant des années 2000. Un homme prénommé Nick Carraway, architecte de son état, vient d’arriver dans la cité en construction pour participer à un programme ambitieux de construction urbaine. Ses revenus encore modestes ne lui permettent pas de vivre en plein cœur de la mégalopole et l’homme a trouvé à loger dans un quartier huppé plus éloigné de la ville. Sa maison, dépendance nichée dans une vaste propriété lui permet de voir passer le tout Shanghai qui répond à l’invitation du maitre des lieux qui donne régulièrement dans ses jardins des fêtes exquises où le champagne coule à flot. L’homme mystérieux qui préside ces cérémonies, sans que personne ne sache vraiment qui il est n’est autre qu’un certain Jay Gatsby et Nick se dit qu’il le rencontrera peut-être un jour… A peine arrivé il reprend le contact avec une cousine éloignée qu’il n’a pas revu depuis un certain temps, Daisy Buchanan mariée à Tom, un homme qui expose sa richesse à qui veut, et qui sait se rendre désagréable avec les gens qui l’entourent. Le couple vit des heures sombres, d’ailleurs Tom ira jusqu’à présenter sa maîtresse, Myrtle, à Nick…

Le reste de l’histoire réserve peu de surprises pour ceux qui ont déjà lu Fitzgerald, mais le propos de Stéphane Melchior-Durand et Benjamin Bachelier est ailleurs, dans la transposition même de l’œuvre, dans leur capacité de relecture et de retranscription des sentiments, de l’amour, de la haine, de l’amitié, de la distanciation qui s’opère de fait entre les personnages que tout éloigne et que tout rapproche, de cette façon de faire naître la magie de l’œuvre de Fitzgerald et de démontrer son atemporalité. Le dessin de Benjamin Bachelier se fond dans le décor entre rêve éveillé et réalité trop brute, par un trait fuyant, cherchant un appui, un sens, une direction comme pour mieux faire corps avec les sentiments troublés des personnages. Ce dessin se trouve sublimé par le jeu de couleurs utilisé ici qui explose littéralement des cases. Un patchwork détonant utilisé à bon escient sur un texte qui lui-même offre sa propre poésie. Le scénario respecte quant à lui le déroulé de l’œuvre originale, si ce n’est le lieu et l’heure. Il se trouve porté par une efficace voix-off qui garde un pied dans le réel dans un récit où tout parait décalé, respectant l’intention de Fitzgerald au travers de son dandy désabusé. Un album qui dégage des effluves indéfinissables à sa lecture et bien au-delà…

Melchior-Durand & Bachelier – Gatsby Le Magnifique – Gallimard – 2013 – 18 euros