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La BD du jour : Aquaviva de Guillaume Trouillard (Editions de la Cerise)



Un monde sans espoir dans lequel les hommes se foutent sur la gueule et dans lequel des bêtes affamées jettent leur dévolu sur les rares survivants amaigris. Dans une ville rongée par le béton décomposé, les pylônes électriques et tout ce qui a fait la perte de la société du vingtième et vingt-et-unième siècle, un jeune homme halluciné débarque et pose son regard sur cet espace clos qui dérange. Peut-être possèdent-ils des clefs qui nous échappent encore…

Le monde vient d’essuyer une apocalypse sans précédent, ruinant les villes et causant la perte quasi générale de l’espèce humaine. Les rares survivants ne semblent pas près de s’entendre. Ici deux hommes se battent pour un ridicule couvre-chef d’un autre temps. Là se sont trois hyènes amaigries qui s’arrachent ce qu’il reste d’une chaussure. Et ailleurs ce n’est guère mieux, si bien qu’un rayon de soleil semble offert par ce jeune homme en maillot de bain qui navigue dans une baignoire faisant office d’embarcation de fortune. Sur son maigre maillot est affichée l’inscription Aquaviva. Nous n’en saurons pas plus. « Adopté » par les deux hommes il réussira à s’enfuir avant que le matin ne pointe. De sa déambulation dans la ville désolée il rencontrera une femme, poursuivie par une bête affamée, à qui il évitera le pire au détriment de sa propre sécurité…

Aquaviva a été écrit par Guillaume Trouillard il y a pas mal d’années, alors qu’il était encore étudiant. Jamais pourtant son auteur n’avait franchi le pas de la mise en dessin. A la faveur d’une édition en fascicules qui lui laisse le temps de composer son récit par bribes entre deux projets, comme une pause respiratoire, il nous offre une histoire qui s’articule autour de thématiques et de préoccupations qu’il aime à explorer. Tout d’abord, cette vision sombre d’un futur déliquescent qui n’est que la résultante d’une artificialisation exacerbée de nos sociétés qui ne parviennent pas, ou peu, à mesurer les enjeux de demain. Ensuite ce rapport direct à notre environnement immédiat, dépeint avec force de détails ici comme il l’avait fait dans le passé avec Welcome, mais aussi avec Colibri (tous deux publiés aux Editions de la Cerise), qu’il ne cesse d’explorer. Il le fait surtout en cherchant un langage particulier qui laisse au lecteur le soin de s’approprier le récit qui peut se percevoir différemment en fonction du vécu de chacun et de sa capacité à lire et à décrypter les non-dits.

Tout en resserrant ses cadrages, en travaillant les collages de matières, les tâches, les typographies jetées sur la planche, il livre un récit non seulement empli d’étrangeté mais qui interroge par la violence du monde qu’il développe et le peu d’espoir qu’il laisse à son héros. Monde qui balance entre réalité, rêve éveillé, cauchemar désespérant et futur possible, Aquaviva parcourt une société déliquescente composée d’artifices, de matières déstructurées et recomposées en de sombres horreurs, comme si la perception dans l’instant n’était qu’une étape avant d’affronter le plus dur… A noter le choix de travailler en noir et blanc qui accentue le climat anxiogène du récit relevé par de rares touches de couleurs livrées avec parcimonie. Un récit expérimental, travaillé et retravaillé dans la durée, qui livre ses planches sans contrainte de temps mais avec une exigence rare. Un auteur depuis longtemps à suivre et qui prouve tout le dynamisme de la scène alternative de la bande dessinée française.

Guillaume Trouillard – Aquaviva T1 & 2 – Editions de la Cerise