- Article publié sur MaXoE.com -


La BD du jour : Bleu pétrole de Gwénola Morizur & Fanny Montgermont (Grand Angle)



Raconter l’accident de l’Amoco Cadiz près de quarante ans après la tragédie. Difficile sur le papier car ce fait divers, qui devait meurtrir toute une région ne parle pas forcément aux moins de 40 ans tandis que pour les autres, plus âgés, l’histoire est devenue lointaine. Dans Bleu pétrole la petite-fille du maire de l’époque s’attache à replacer les évènements en les analysants à travers le prisme d’une famille, la sienne, pour dimensionner l’évènement et percevoir son incidence profonde sur une population démunis face au géant du pétrole américain…

Le village de Ploudalmézeau dans le Finistère souffre d’une profonde coupure entre le bourg et le reste du village regroupé autour de son port. Les paysans veulent peser sur des décisions municipales pas toujours en leur faveur. C’est pour cette raison qu’Alphonse Arzel décide de tenter sa chance dans la politique. Il se présente aux élections municipales avec en tête l’idée de se faire élire conseiller municipal pour porter la parole de cette frange oubliée du village. Contre toute attente il sera élu maire. Nous sommes au début des années 60 et la vie de la petite famille qu’il compose avec sa femme, Bleue leur fille aux yeux troublants et le frère ainé Lucas va s’en trouver partiellement changé. Un petit Paulo, atteint de trisomie, viendra compléter la fratrie quelques années plus tard. La vie suit son cours dans ce coin de Bretagne qui vit tout à la fois des produits de la pêche et de l’agriculture. Un matin de 1978, une odeur trouble vient réveiller la famille au point qu’Alphonse pense d’abord à l’explosion de la chaudière. La suite est connue de tous…

Ploudalmézeau, village breton coupé entre terre et mer, n’avait rien demandé lorsque, en ce 16 mars 1978, le pétrolier Amoco Cadiz vient se jeter sur les rochers qui pointent au large de Portsall. Dans ses cales une masse colossale de pétrole brut et lourd, plus de 200 000 tonnes, de quoi redessiner le littoral sur des centaines de kilomètres. Lorsque la coque s’ouvre le liquide noirâtre emporte tout. Les plages beignent dans une encre collante qui piège toute la faune locale, poissons, huitres et oiseaux habitués des rivages de ce beau paysage du Finistère. Le plus dur sera sans doute de croire qu’un retour à la normale reste possible, que le temps, les efforts continus des villageois, aidés par des bénévoles venus de toute la France et des contingents de militaires, peuvent arracher les plaques suintantes de pétrole à la surface des eaux et redonner au petit port de pêche son décor de carte postale.

Pour revenir sur ce fait divers qui a meurtri toute une région à l’aube des années 80, Gwénola Morizur, petite-fille d’Alphonse Arzel maire de Ploudalmézeau au moment des faits, décide non pas de décrire avec un luxe de détails les opérations de restauration du paysage, ni d’ailleurs de suivre les longues années de combat pour faire condamner la société Amoco corporation, mais plutôt de s’immiscer dans cette famille, la sienne, à travers les regards d’Alphonse, de Bleu, leur fille, de Lucas l’aîné et de Paulo, le fils trisomique. Elle le fait en s’attachant à donner au drame de l’Amoco Cadiz le statut d’une étape dans la vie des Arzel, avec un avant et un après, donnant à chaque personnage une vraie dimension humaine. Du drame il faudra retenir les images de ce pétrole sur les plages, la mainmise des représentants de l’état qui s’affranchissent de toute coopération avec les autorités locales, et l’incroyable symbolisé tout à la fois par ces personnes qui demandent un salaire pour participer au nettoyage des côtes et par ces vols de matériels qui sapent le moral des villageois investis. Près de quarante ans après les faits, ce récit chargé en émotion, porté par un dessin réaliste des plus immersifs, fait indéniablement mouche. Le respect de l’environnement reste l’affaire de tous, et, même si les politiques de la plupart des pays riches passent d’abord par un soutien aux industries polluantes et destructrices, l’homme ne doit pas se résigner à faire entendre sa voie. Ce récit est là pour nous le rappeler.

Gwénola Morizur & Fanny Montgermont – Bleu pétrole – Grand Angle