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La BD du jour : Deux projets de LL de Mars (Tanibis & Rackham)



Qui n’a jamais été transporté par l’une ou l’autre des adaptations de Tarzan, le mythe de l’homme de la savane, élevé par des gorilles et qui découvrira très tardivement la « civilisation » ? Que ce soit par les films ou la bande dessinée chacun d’entre nous a traversé le récit de l’homme à la forte voix habillé d’une simple peau portée sur les hanches. LL de Mars souhaitait depuis longtemps donner sa vision du mythe, en travaillant sur la genèse d’un nouveau récit de Tarzan, en confrontant les points de vue et les visions esthétiques et esthétisantes il parvient à nous interroger sur le sens même de son art. Avec Sous les bombes sans la guerre, il donne à voir les derniers moments partagés entre un père au seuil de la mort et un fils tout à son attention, où comment le libérer par l’art d’une poche trop lourde qui ne demande qu’à s’épurer…

LL de Mars compte parmi les créateurs les plus dynamiques et les plus « touche à tout » de sa génération. L’auteur aime mêler les approches artistiques, travailler sur divers supports, allant de l’art séquentiel en passant par la musique et les arts plastiques. Il développe ses projets depuis plus de trente ans dans de petites structures ou en autoédition avec ce souci du travail de et sur la matière. Ses projets sont souvent « fait main » dans le sens le plus noble, assemblés, reliés, façonnés, gravés, encrés au plus proche de l’œuvre. Une œuvre qui est autant contenu que contenant, développée en un ensemble qui joue sur les supports, les formats, les matières, les encres. Sur le fond l’auteur s’attache tout autant à composer qu’à réfléchir sur la portée de l’objet, n’hésitant pas à se remettre en question, à se poser des questions qui sont autant de portes ouvertes à la réflexion commune que stimulation à sa propre pratique. L’essentiel de son travail est disponible en téléchargement sur le site Le Terrier, dans lequel il oriente vers les auteurs « maisons », publiés dans les fanzines édités en tirage très limités qu’il écoule en ligne ou en salon. LL de Mars publie, en parallèle ou en complément de ce travail, des albums de bande dessinée chez des éditeurs alternatifs qui disposent d’une diffusion en librairie (The Hoochie Coochie, Rackham, Tanibis, Adverse…) rendant sa création plus accessible.

Tarzan, seigneur des signes et Sous les bombes sans la guerre font partie de ces projets. Publiés tous les deux en 2017, ils mettent en avant les intérêts de l’auteur pour le travail sur la forme. Dans Tarzan, seigneur des signes LL de Mars construit deux récits en un autour de l’enfant abandonné. A gauche un récit de la genèse de Tarzan qui fait écho aux films avec Johnny Weissmuller, aux bandes dessinées de Burne Hogarth et aux innombrables adaptations cheap aperçues çà et là surfant sur le succès du personnage. Le trait se fait direct, fougueux autour de cadrages serrés. On y retrouve les éléments fondateurs du récit de Edgar Rice Burroughs passé au filtre de l’imaginaire débordant d’un dessinateur qui s’interroge. Cette interrogation peut se lire, involontairement ou non, au travers d’une utilisation gourmande de blanc correcteurs, de rubans adhésifs qui viennent en permanence « rectifier » les écarts de l’instant. Sur la page de droite des séries de strips en trois cases composent l’histoire éditoriale d’un nouveau Tarzan qui suscite un lot d’émois qui virent progressivement au scandale sur des considérations miteuses. LL de Mars tend à prouver, il le dit lui-même, l’inutilité laissée par des débats stériles sur des oppositions aussi vides de sens que celles qui opposent BD populaire/intellectuelle, avant-garde/vieille-garde et par extension tout ce qui déchire les tenants d’un mainstream et sa volonté de toucher un large lectorat des farouches défenseurs de la création débridée, faites d’improvisations graphiques, de pensées dans l’instant, de premiers jets à peine retouchés. Il fait ainsi ressortir de son (ses) récits le côté burlesque, ridicule, saugrenu, tout autant que la réflexion sur le sens de la création, faisant de sa proposition non pas une synthèse mais bien plus une porte ouverte jubilatoire.

Sous les bombes sans la guerre raconte l’histoire d’une mort, celle du père de l’auteur, emporté par la maladie. LL de Mars déroule son récit en prenant l’apparence de Pif le chien tandis que son père se voit incarné en Top, son aîné dessiné une bonne dizaine d’années plus tôt par José Cabrero Arnal. Le père vient d’entrer à l’hôpital, dans ce lieu impersonnel qui sera sa dernière résidence. Le fils, lui, se souvient des moments échangés, fugaces, éphémères, pas forcément appréciés à leur juste valeur et fantasme alors des instants précieux de partage qui l’aideront à dompter cette peur de la mort. La proposition graphique joue sur cette détresse et le magma de sentiment qui envahissent Pif le chien. Charges de couleurs, blancs et noirs suggestifs, dynamique du trait jeté sur la feuille ou sensibilité ondulatoire. Pleines pages chargées d’éléments qui se télescopent ou gaufriers plus sages. Cette composition, recouverte d’une couverture façonnée à la main qui rend l’objet unique, symbolise la diversité de l’engagement de LL de Mars dans l’art, vécu comme un moyen d’expression sans limite créative, dans lequel la forme sert de terreau à l’expressivité et à la sensibilité.

LL de Mars – Tarzan, seigneur des signes – Rackham
LL de Mars – Sous les bombes sans la guerre – Tanibis