- Article publié sur MaXoE.com -


La BD du jour : Duel de Renaud Farace chez Casterman



Duel impose un auteur bizarrement trop peu révélé aux yeux de tous. Avec Duel Renaud Farace impose une touche, un univers graphique singulier d’une maitrise remarquable. Pourtant il n’a que peu publié jusqu’alors. S’attaquer à cette adaptation de Conrad n’était pas forcément sur le papier le plus simple des défis. Il fallait savoir interpréter le texte pour ce qu’il dit mais aussi pour ce qu’il ne dit pas. Dans un tel contexte Renaud Farace réalise l’un des albums les plus remarquables de ce premier semestre.

Au départ un projet très (trop) ambitieux d’adaptation du dernier roman de Joseph Conrad, Le frère de la côte dans lequel un ancien marin qui aspire au repos loin des éclaboussures et des soubresauts qui ont accompagnés sa vie se voit « pris » malgré lui dans un engrenage  fait d’espionnage et d’aventures au long cours. Mais un récit de ce type nécessitait peut-être plus de « bouteille » pour Renaud Farace qui livre, avec Duel, son premier projet d’envergure, tiré lui aussi de l’œuvre foisonnante de Conrad. Le récit de Duel se déroule en pleine époque napoléonienne alors que les guerres d’Empire s’accumulent au-delà des frontières. Car en ces temps de gloire éphémère la France croise le fer en Europe plus de 300 jours par an, amoncelant sur les champs de bataille des morts qui se comptent par centaines de milliers.

Au milieu de cet amas de corps décharnés, qui ne peuvent même pas tous prétendre à une sépulture digne de ce nom, deux officiers vont se livrer une série de duels à travers l’Europe où les premiers sangs viendront souvent couler sans interrompre pour autant la rancœur des deux hommes. L’origine de ce différent est à chercher dans l’honneur supposé bafoué du lieutenant Féraud qui, après avoir occis – déjà en duel – un homme avec qui il avait partagé de bonnes bouteilles la veille au soir, se voyait arrêté en public, et sans honneurs, dans les salons de Madame de Lionne par un autre lieutenant, Armand d’Hubert, mandaté par le Général Castain. Tout oppose les deux lieutenants. Hubert représente la petite noblesse provinciale avec les manières et la discipline liées à ses origines. Féraud lui possède la fougue du soldat émérite, combattant sans peur et avec une efficacité redoutable qui lui fait franchir les galons, sans qu’ils soient accompagnés de la réserve due à son  rang. Deux tempéraments donc pour un combat épique qui sera baptisé à travers l’Europe le « Combat des titans ».

En variant les rythmes, en laissant libre court à un trait à la fois précis et expressif Renaud Farace donne à voir une maturité que ne suppose pas son expérience sur ce type de projet. Il parvient surtout à tirer toute le sève du récit de Conrad qui mettait en lumière cette surprenante évidence que malgré la querelle des deux hommes, l’un ne va pas sans l’autre. Les duels auraient pu accoucher d’un vainqueur unanime, et de la déchéance ou de la mort de l’autre. L’habileté à l’épée des deux lieutenants qui graviront les échelons de l’Empire jusqu’au titre de Général, rendra épique la confrontation et Renaud Farace retranscrit cela avec une habileté rare. En creusant ses personnages et en les dotant de caractéristiques propres à leur histoire et à leur passé, en accentuant ou forçant les traits de chacun pour romancer leur confrontations. En y ajoutant aussi pas mal d’humour par la mise en scène de situations cocasses qui servent le propos. Si l’on considère que la base de ce récit repose sur l’histoire véritable de deux soldats d’Empire passée dans les faits divers, on savoure d’autant plus ce récit aussi bien écrit que dessiné qui sait jouer sur les pauses et qui procure au final l’un des plus beaux ressentis de lecture de ce premier semestre.

Renaud Farace – Duel – Casterman – 2017 – 22 euros