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La BD du jour : Intempérie de Javi Rey (Dupuis)



Sur les terres désolées et désertiques d’une Espagne accablée par la chaleur, un jeune garçon fuit les hommes en qui il a perdu confiance. Battu par un père d’une lâcheté accablante il sera poursuivi par des hommes désireux de le ramener au village. Le courage, alimenté par une peur tenace, et cette envie de s’extraire des griffes qui le serrent suffiront-ils pour échapper à son triste sort ?

Le choix du départ s’imposait de lui-même. La filiation ne pouvait justifier à elle seule de rester plus longtemps dans l’antre d’une horreur orchestrée avec une régularité aussi glaçante que sordide. Alors, un jour, sans rien dire, laissant le père ranger sa ceinture de torture, le jeune garçon s’en est allé. Avec cette certitude qu’il ne reviendrait pas. Tapi dans un trou recouvert de branches il a d’abord échappé à la vigilance des hommes qui le cherchaient, puis a avalé les kilomètres en direction du nord, vers cette terre désolée burinée par un soleil fier et irréel, vers un ailleurs incertain mais assurément meilleur. Alors que la faim le tenaille, il est attiré par le feu qu’un vieux berger laisse brûler pour le réchauffer d’une fraîche nuit. La peur des hommes habite si profondément le jeune homme que, plutôt que de demander le gîte et le couvert au berger, il tentera de le voler. Il sera pris la main dans le sac, mais l’histoire du vieil homme semble elle aussi habitée d’un dur passé, un de ceux capable de reconnaitre à mille lieux la peur et la souffrance. Plutôt que de lever sa main sur lui le berger décidera de prendre le garçon sous sa protection, lui offrant son expérience des terres du nord, lessivées par la chaleur, dépeuplées et austères mais surtout sa pratique de la veulerie des hommes. Dans un monde profondément injuste les deux s’apporteront une aide mutuelle, et se faisant se réconcilieront peut-être avec la nature humaine…

Sur cette terre aride et abandonnée, le jeune garçon retient ses larmes. Pour vaincre enfin la peur et l’enfer. Pour défier les éléments depuis trop longtemps déraisonnés et inonder de sa fureur les hommes trop confiants lancés à sa poursuite. Ceux qui pensaient pouvoir le rendre sans peine aux griffes du tortionnaire, ce père qui lui a bouffé sa vie d’avant, lointaine et révolue, n’auront pas le temps de voir leurs certitudes s’ébranler. Sur un roman écrit par Jesus Carrasco, le dessinateur Javi Rey, découvert en France avec son précédent opus, le très singulier Un maillot pour l’Algérie composé avec Kris au scénario, parvient à dépeindre, avec un minimum d’effets, ce qui traverse l’esprit du jeune héros fugueur. Il offre, sur un rythme qui se laisse du temps, des scènes qui dévoilent toute la palette des émotions changeantes de son jeune héros, de la peur en passant par la fureur, l’espérance, la méfiance, la souffrance, la joie ou la ténacité. Dans des cadrages souvent subtils, qui se rapprochent au plus près des personnages, il donne ainsi à voir toute l’étendue de son pouvoir de suggestion, en laissant planer les lignes ténues d’une espérance mise à mal. La rencontre avec le vieux berger, lui aussi éloigné (volontaire ?) des hommes, toute singulière qu’elle soit, met en contact deux êtres meurtris, Javi Rey les dépeints avec une richesse de détails rare. Le dessinateur parvient en quelques vignettes à poser l’enjeu, le cadre, les tensions. Il campe en deux coups de crayons les deux héros et s’immiscent dans les rêves du garçon avec une étonnante facilité. Un album qui parvient, avec ses atouts propres, à rendre hommage à un roman d’une force prodigieuse.

Javi Rey – Intempérie – Dupuis