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La BD du jour : Jack London, Arriver à bon port ou sombrer en essayant de Koza (Le Lombard)



Un simple voyage pour se positionner en dehors d’un monde qu’il ne comprenait plus. Au début des années 1900 London était persuadé d’une révolution sociale dans le monde, portée par les opprimés de tous bords. Si les théories socialistes se sont étayées depuis la fin du dix-neuvième siècle, autour d’hommes et de femmes avides de liberté et de justice sociale, la société, elle, s’est ankylosée dans ses contradictions emportant avec elle des nuées de laissés-pour-compte. Koza nous livre un moment de vie de Jack London, auteur de récits pour endormir les enfants mais aussi de textes plus acerbes sur une société qui se perd…

En 1906 Jack London décide avec sa femme Charmian, de se couper un peu du monde et de partir naviguer dans les eaux du Pacifique, puis au-delà, pour un périple autour du monde estimé à sept ans. Il jouit alors d’un énorme succès dû à trois publications qui l’ont fait entrer dans le cercle fermé des auteurs à suivre : L’appel de la forêt (1903), Le Loup des mers (1904) et Croc blanc (1906). Pour cette occasion il fait construire un voilier de 17 mètres de long qu’il baptise Snark, rendant au passage hommage à Lewis Carroll et sa « Chasse au Snark » publiée en 1876. Le voyage ambitieux de traversée des mers s’achèvera pourtant bien plus tôt que prévu, deux ans pour être précis, sur les terres australiennes où l’auteur se fera opérer de deux fistules. De ce périple de quelques mois qui le verra accoster à Oahu (une des îles d’Hawaï), aux Marquises, à Tahiti, à Bora Bora, aux Samoa, aux Salomon et en Australie, London donne un récit circonstancié dans La Croisière du Snark paru en 1911. Charmian, quant à elle complètera ce récit avec la publication d’un journal de bord retraçant ses propres impressions, publié en français chez Arthaud en 2015.

Maximilien Le Roy et Native, qui forment Koza, livrent avec Jack London, Arriver à bon port ou sombrer en essayant, une vision de ce voyage qui aura une importance réelle dans la carrière de l’auteur qui publiera notamment, à cette suite, Martin Eden, une biographie à peine masquée de sa propre vie, de son amour pour Mabel Appelgarth, une jeune femme issue de la bourgeoisie (Ruth dans le roman), et de la difficulté pour lui à briser les « castes » sociales. London, les auteurs le soulignent dans une brève préface, n’était pourtant pas que l’auteur de récits d’aventures qui ont alimentés les rêves de nombre de jeunes lecteurs aux fils des ans. Il s’est, en raison de ses origines et de la vision du monde dans lequel il évoluait, très tôt rapproché des idées socialistes, en lisant Marx et bien d’autres. Il a publié en parallèle de sa littérature plus « convenable » des textes qui, dans une Amérique très peu ouverte aux questions sociales, ne pouvaient pas échouer entre toutes les mains. Le Peuple de l’Abîme (1903) en est un au même titre que ses romans dystopiques, Le talon de fer (1908) et La peste écarlate (1912) ou encore que la charge contre les conditions des détenus dans les prisons américaines qu’il met en avant dans Le Vagabond des étoiles (1915). Maximilien Le Roy et Native savent très bien cela, et si le respect pour l’auteur est appuyé, l’album qu’ils livrent ne se perd jamais dans un panégyrique stérile.

Simple récit d’un voyage, de rencontres parfois improbables, de tensions entre marins, de traces ténues d’une œuvre en germination et de l’observation simple des beautés du monde, comme ces poissons volants aperçus au large d’Hawaï, Jack London, Arriver à bon port ou sombrer en essayant, capte une partie de la nature de l’auteur californien, dans ses plaidoyers sociaux, dans son désir de s’approcher des miséreux ou des lépreux pour donner une autre vision du monde, pas aussi lisse que celle visible depuis la tour d’ivoire de quelques notables empouponnés dans leurs privilèges. Maximilien Le Roy et Native le font en proposant en alternance au récit du voyage celui de souvenirs présentés sous forme de flashbacks du jeune London dans sa découverte de la doctrine socialiste. Sans occulter certaines contradictions de l’auteur, notamment ses touches racistes écrites contre les indiens, les noirs ou les coréens, ils donnent à voir un homme fort dont la carapace peut aussi se fissurer. Un homme acquis à une cause qui aurait pu le perdre dans une Amérique aveugle au sort des plus pauvres qui composaient pourtant un des rouages de cette société devenue amorale et aliénante qu’il prenait le temps d’étudier, en s’y imprégnant corps et âme…

Koza – Jack London, Arriver à bon port ou sombrer en essayant – Le Lombard