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La BD du jour : Ces jours qui disparaissent de Thimothée Le Boucher (Glénat)



Que ferions-nous si nous ne vivions plus qu’un jour sur deux ? Difficile à dire, mais l’anxiété qui naitrait de cette situation serait parfaitement compréhensible. Timothé Le Boucher, jeune auteur prometteur livre avec Ces jours qui disparaissent un récit fin qui explore à merveille un pitch de départ séduisant. La tension, le suspense et l’amour sont au rendez-vous pour un récit épais de près de 200 pages qui se lit vissé dans son canapé !

Lubin Maréchal, un jeune homme blond d’une vingtaine d’années accomplit un numéro d’équilibriste lors d’un spectacle public donné dans un théâtre lorsque la structure métallique autour de laquelle il se produit se dessoude l’entrainant dans une sévère chute. Il se relève pourtant et exécute un pas de sortie discret avant de se diriger vers les coulisses où l’attendent les autres membres de sa troupe. Tombé sur la tête, Lubin a mal sans que la douleur nécessite pour autant une hospitalisation. Il rentre calmement chez lui et se réveille difficilement le lendemain avant d’enfourcher son vélo et traverser la ville à toute allure pour gagner le pari, fait avec son collègue de caisse du supermarché où il travaille, d’arriver le premier sur son poste. Lorsqu’il parvient dans la grande surface son ami lui apprend qu’il n’est pas venu travailler la veille. Lubin a du mal à le croire. Aurait-il dormi toute une journée à la suite de sa chute ? Le soir Gabrielle, sa petite amie, débarque chez lui. Ils font l’amour et s’endorment. Au réveil Lubin s’aperçoit qu’il est jeudi. Le phénomène étrange qui s’était produit l’avant-veille semble se reproduire. Serait-il envisageable qu’il ne vive qu’un jour sur deux ? A son travail son patron le convoque dans son bureau pour lui signifier que cet « écart » de conduite ne devra plus se produire faute de quoi il serait obligé de se séparer de lui. Pour Lubin, pris dans un piège dont il ne parvient pas à cerner l’origine, la descente aux enfers pourrait être terrible…

Remarqué dès son premier album, Skins Party, publié en 2011 chez Manolosanctis (en compétition officielle au festival d’Angoulême en 2012), Timothé Le Boucher confirme son talent en signant, deux ans plus tard chez La Boîte à bulles, Les Vestiaires, un huis clos saisissant et en bien des points dérangeant. Le jeune dessinateur poursuit sur sa lancée en cette année 2017 avec Ces jours qui disparaissent, un album d’une profondeur rare autour d’une idée de départ qui laisse un maximum de latitude aux développements d’un récit qui flirte en permanence avec le fantastique. Ici la schizophrénie de son personnage s’accompagne d’une véritable descente aux enfers qui se caractérise non seulement par la perte de son travail mais aussi de sa petite amie Gabrielle. Timothé Le Boucher ne se contente pas de décrire les seuls effets directs de la maladie de son héros, il pousse le dédoublement de personnalité vers un polar tendu dans lequel les deux faces du jeune homme se livrent une bataille féroce. L’idée de placer en début de récit des pages de dialogues entre les deux Lubin, différenciées par phylactères de couleurs jaunes et blanches, lancent véritablement le récit qui se recouvre d’un tension et d’une anxiété que le lecteur accompagne en spectateur privilégié. Le pitch séduisant de départ aurait pu accoucher d’une souris, pourtant ici, Timothé Le Boucher parvient à maintenir tout du long un suspense tenace qui ne néglige pas la relation amoureuse que son héros développe avec Tamara, une belle rousse sportive, ainsi que les longues discussions qu’il entretient avec sa mère adoptive et celle qui fût sa sœur. Pour nous rappeler toute l’attention qu’il est nécessaire de porter à nos proches souvent éloignés par une société construite sur un rapport au temps mortifère. Architecturalement le récit fonctionne à merveille dans un style graphique qui atteste de son intérêt pour la production nipponne sans que le jeune auteur ne s’y perde. Cela donne un tout qui matche remarquablement bien et qui confirme toutes les promesses aperçues depuis Skin Party. Un des albums de la rentrée littéraire. 

Le Boucher – Ces jours qui disparaissent – Glénat