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La BD du jour : L’automne à Pékin de Paul et Gaétan Brizzi (Futuropolis)



Boris Vian avait ce don pour construire des récits qui jouaient avec nos habitudes et notre confort de lectures. Repoussant sans cesse les limites de l’imagination, il s’attachait d’abord aux mots, puis aux circonstances avant de matcher le tout dans des récits édifiants. L’automne à Pékin se déroule dans un désert, l’Exopotamie. « Un désert est la seule chose qui ne puisse être détruite que par construction » dit un personnage, la destruction aura donc lieu et elle sera peut-être plus sérieuse que prévu…

Un homme quitte son appartement et prend le bus 975 pour accomplir son « ordre de mission ». Assis confortablement à l’arrière il s’endort doucement au fil du trajet emprunté pour être réveillé par le poinçonneur au terminus de la ligne. Un terminus situé en plein milieu du désert d’Exopotamie. A Paris deux amis, Anne et Angel, ingénieurs de leur état, discutent dans un bar-jazz d’un projet qui n’a pu aboutir. La belle Rochelle, blonde festive, les accompagne dans ce moment de détente. Alors qu’ils rentrent en voiture, ils percutent un homme qui traversait la chaussée. Par miracle la victime de l’accident n’est que blessée et notre trio le transporte en urgence à l’hôpital le plus proche. L’homme est un ingénieur au service de la Wacco, un grand groupe bâtimentaire pour lequel il doit construire une ligne de chemin de fer en Exopotamie, un lointain désert. Blessé et en convalescence pour au moins cinq mois, l’homme propose à Anne et Angel de coordonner le chantier à sa place…

C’est en 1947 aux Editions du Scorpion, que parait la première édition de L’automne à Pékin de Boris Vian. Une seconde version remaniée verra le jour neuf ans plus tard aux Editions de Minuit. Considérée comme une œuvre « difficile », qui donne aux mots, comme le souligne François Caradec dans la postface de la version de 1956, « leur sens littéral, sans préjudice de tous les autres sens possibles », L’automne à Pékin est longtemps restée une œuvre méconnue et sous-estimée dans la bibliographie de Vian au contraire de L’écume des jours et de J’irai cracher sur vos tombes. Vian aimait jouer avec ses lecteurs, avec la critique aussi, en décrivant des univers singuliers peuplés d’hommes et de femmes en décalage complet avec notre monde connu. L’automne à Pékin ne déroge pas à la règle. On y croise des personnages que rien ne rassemble sur le papier mais qui vont pourtant tous échouer dans un lieu improbable, le désert d’Exopotamie où un certain Amadis Dudu, représentant « modeste » de la Wacco, entreprise de bâtiment à la stature internationale, supervise la construction d’une voie de chemin de fer. Et c’est d’ailleurs ce chantier pharaonique, tout à fait inutile et ridicule qui va les réunir. Anne et Angel, deux amis ingénieurs en quête d’un projet d’envergure seront de la partie pour encadrer les équipes techniques. Ils seront accompagnés par Rochelle, une blonde facile, pas très futée, amie d’Anne, qui se verra confié le rôle de secrétaire de direction. Le professeur Mangemanche, médecin accro aux modèles réduit d’avions électriques sera là pour parer à tout accident et blessures de chantier mais profitera surtout de son temps libre pour mettre au point la dernière version de son monoplan. Un curé curieux et adepte du pastis, navigue lui-aussi dans les parages entre les tentes d’une équipe d’archéologues et le chantier de la Wacco, sans que l’on sache vraiment son rôle. D’autres seconds rôles déambulent dans ce désert et prennent pension à l’hôtel-restaurant « Chez Pippo », ils densifient cet univers décalé, loufoque à souhait au sein duquel des liens se tissent et pourquoi pas l’amour…

Paul et Gaétan Brizzi ne sont pas issus de l’univers du neuvième art. Dessinateurs de storyboard pour le cinéma, réalisateurs de séquences pour des films d’animation, ils ont retrouvé le goût d’un dessin plus personnel pour deux expositions commissionnées par la galerie Daniel Maghen. Leur incursion dans la bande dessinée est venue de la rencontre avec l’acteur Christophe Malavoy qui leur confie le dessin d’un album ayant pour sujet la fuite de Louis-Ferdinand Céline vers Sigmaringen durant la seconde guerre mondiale. Ils proposent avec L’automne à Pékin une adaptation d’un de leur livre de chevet favori tiré de l’univers décalé et savoureux de Boris Vian. Seuls aux manettes, ils font preuves d’un talent certain pour construire une trame qui conserve le ton de l’œuvre originale, avec ses truculents dialogues et ses situations cocasses, tout en rythmant le récit, sans véritable pause. Ils parviennent surtout à donner de la profondeur aux personnages, surtout à Angel, bouleversé par des sentiments qu’il ne connaissait pas. Ce récit haut en couleur, bourré d’humour, d’aberrations et d’absurdités, d’amour, et de délires, saupoudré de fantastique et de chaleur, se dévore de bout en bout. Il donne aussi l’envie de découvrir ce roman moins connu de l’œuvre de Boris Vian.    

Paul et Gaétan Brizzi – L’automne à Pékin – Futuropolis