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La BD du jour : Paiement accepté de Ugo Bienvenu (Denoël Graphic)



En seulement deux récits Ugo Bienvenu s’est imposé comme un auteur à suivre dans la sphère des auteurs exigeants qui ont quelque chose à dire et à montrer. Avec Paiement accepté il se livre à une descente édifiante dans l’univers du septième art avec ce qu’il faut de dérision, de décalage et de personnages trempés pour un récit qui fera date…

Dans un futur proche un réalisateur porté par la réussite médiatique et critique de son dernier film juge que le moment est venu de s’attaquer à l’histoire qu’il a toujours rêvé de porter sur grand écran. Un film de science-fiction qu’il rumine depuis des décennies et qui viendrait couronner sa formidable carrière. Aidé par Junior, son producteur de toujours, il va s’attacher à rendre possible ce projet qui, sur le papier, a pourtant toutes les chances de virer au fiasco. Un accident de train dont il est victime alors que le film venait tout juste d’être lancé va remettre en place bien des choses…

Ugo Bienvenu suit le parcours d’un réalisateur qui, après avoir accompli une carrière chargée, faite de hauts et de bas, entreprend de réaliser le film de sa vie. Celui qui le poursuit depuis ses débuts et qu’il n’a jamais pu lancer malgré une filmographie auréolée de multiples prix. Charles Bernet possède une exigence portée à chaque étape de son travail, de l’écriture du scénario, au découpage de chaque plan et à la réalisation. Un auteur qui possède ses entrées dans les médias exigeants mais qui peine à trouver un public hors de cette caste bobo qui le suit depuis les débuts, à l’image d’un Godard, qui, très lucide, se plaisait à dire un brin désabusé, que tout le monde aimait ses films mais que personne n’allait jamais les voir. Ici le dessinateur nous invite à suivre l’homme dans les démarches préalables à la réalisation.

La recherche de financement avec l’aide de son producteur attitré, Junior, celle d’une promo préalable pour opérer un premier travail de séduction, celle enfin du choix du premier rôle féminin qui peut impacter directement le nombre d’entrées et participe donc à l’équilibre financier du film. Charles Bernet fait partie de ces artistes totalement investis dans leur art. S’il possède la technique, une expérience inégalée, il a aussi progressivement perdu le recul nécessaire sur son œuvre, sur son travail et sur la réalité qui l’entoure. Pour ce nouveau film, sa femme, première lectrice du scénario, révèle tout de suite les incohérences et les nombreuses faiblesses du récit. Le réalisateur n’en a pourtant que faire, obnubilé qu’il est par la mise en place du projet. L’accident de train dont il est victime lui permettra d’ouvrir progressivement les yeux, aidé en cela par tout un lot de personnages, un docteur, une kiné séduisante et un joueur de scrabble redoutable et mystérieux.

Sur la forme, Ugo Bienvenu présente un récit de SF qui n’est pas vraiment de la SF, des personnages qui arborent le faciès de Donald Trump, Gérard Depardieu ou Jean-Luc Fromental, des paysages réduits à leur plus simple expression, le tout avec une mise en couleur typée qui tire vers le surannée. A priori sur le papier, pas de quoi séduire. Et pourtant, chaque scène possède une attraction presque indéfinissable, qui vient d’une mise en scène cinématographique, une critique acerbe de l’industrie du cinéma, et par extrapolation de la création contemporaine dans son ensemble et un ton ironique qui détonne et fait montre d’une incroyable maturité. Un récit marquant qui inscrit Ugo Bienvenu dans la sphère réservée des auteurs à suivre.

Ugo Bienvenu – Paiement accepté – Denoël Graphic