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La BD du jour : La pension Moreau de Lizano et Broyard (Ed. de la Gouttière)



Marc Lizano s’est imposé au fil des ans comme un auteur majeur dans le récit enfant à forte portée symbolique. Avec Benoît Broyard il explore ce que furent les bagnes d’enfants du début de vingtième siècle. Saisissant !

Les enfants terribles ne sont terribles qu’au travers du regard que l’on porte sur eux. A une époque où chacun pense détenir les clefs d’une éducation réussie basée sur une méthode éprouvée, et validée par maints opuscules pédagogiques, l’enfant reste peut-être encore le grand oublié de l’histoire. Celui qui doit se fondre dans un moule, créature fragile et malléable forgé à notre image où à celle à laquelle on voudrait bien qu’elle ressemble. Devenu pate à modeler, enjeux de théoriciens chevronnés, de parents déconnectés, il pourrait souffrir de l’attention démesurée que l’on porte sur lui alors qu’il ne demande finalement qu’à chevaucher sur les routes de l’enfance avec, pour guider son chemin, ce qu’il faut d’amour, de tendresse et de stimulation.

Emile ne ressemble pas à l’idéal forgé par ses parents. Enfant mutique, fugueur, forte tête, il passe ses journées à dessiner dans un monde bien à lui. Le voilà donc parti dans la voiture de ses parents pour se rendre à la fameuse pension Moreau, un établissement réputé, dirigé de main de fer par une administration redoutable sensée remettre dans le droit chemin les enfants « déviants ». Une condition préalable à chaque inscription, et pas des moindres : les parents ne reverront jamais leur progéniture, confiée à la pension moyennant quelques lourds lingots d’or nécessaires à financer la structure et son personnel. A l’intérieur, la vie s’organise comme dans un bagne surpeuplé avec des chambrées de lits superposés où les gamins tentent, à la nuit tombée, de déjouer la vigilance de leurs geôliers pour (enfin) échanger et lier connaissance. Les corvées éreintantes de la journée succèdent à une éducation très particulière délivrée sans passion où le moindre écart à la règle vaut passage obligé vers le cachot.

Sur la forme Benoît Broyard et Marc Lizano proposent un récit qui mélange personnages humains (les parents et leurs enfants) et animaux (personnel de la pension), chacun ayant un rôle qui va pleinement se dévoiler au fil du déroulé dramatique. Marc Lizano, à l’aise dans les récits jeunesse reste sur cette impression de facilité pour exprimer le ressenti de ses personnages. A partir d’un trait simple il parvient à développer toute la palette de sentiments, de la tristesse à la joie en passant par la souffrance, la colère, la fureur, la dureté… Construit en prenant pour repère le poème de Jacques Prévert, La chasse à l’enfant, adapté plus tard en chanson, Benoît Broyard propose de raconter ce que fut la vie d’un bagne d’enfants au vingtième siècle, comme pu l’être le pénitencier de Belle-Île-en-Mer, en dépeignant la rudesse de la vie en collectivité. Sombre pour un récit destiné à la jeunesse, dans La pension Moreau c’est la solidarité des enfants entre eux et leur rapprochement progressif qui fait entrevoir la lucarne d’espoir sur laquelle sera construite l’histoire. Mais la question de fond reste avant tout de savoir si l’on peut vraiment se réinsérer après avoir vécu la violence du bagne loin du foyer rassurant d’une famille aimante. La réponse à cette question sera l’un des enjeux d’un récit prévu en trois tomes qui impose déjà sa touche.

Broyard & Lizano – La pension Moreau – Editions de la Gouttière