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La BD du jour : Le Perroquet de Espé (Glénat)



Un jeune garçon assiste à la lente descente de sa mère dans les affres des troubles bipolaires aiguës qui vont nuire progressivement à leur relation fragile. Récit en parti autobiographique, Le Perroquet se fait touchant par ce regard porté de l’enfant démuni qui se sent tout à la fois impuissant et isolé. Un récit plus intime du dessinateur de Château Bordeaux.  

Troubles bipolaires à tendance schizophrénique. Le verdict des experts laisse peu de place au doute. La mère du petit Bastien ressemble pourtant à toutes les autres mères dans de rares moments qui peuvent parfois virer à l’euphorie, tandis que le reste du temps elle vit dans un monde qui lui échappe. Un monde duquel elle ne peut s’extirper et qui la pousse à tous les extrêmes y compris une violence physique qui peut se retourner contre elle. La jeune femme n’a pas toujours été malade. Les symptômes seraient apparus peu après la naissance de Bastien, sous forme d’une dépression de type baby-blues qui ne l’aurait dès lors jamais quitté. Si Bastien, âgé de huit ans, se souvient des instants épars partagés avec une maman attentionnée, aimante et amoureuse de la nature, il se souvient surtout des états de choc, des hurlements nocturnes ou diurnes, des médecins venus en catastrophe pour tenter de contrôler ses crises, et du désarroi de ses grands-parents et de son père face à une situation tout sauf contrôlable. Tapis dans sa chambre, ou au fond d’une penderie dont il arrache méticuleusement la tapisserie pour se rapprocher d’elle, le jeune Bastien aura vécu une partie de son enfance à côté de celle dont il avait tant besoin. Une mère présente par intermittences lorsqu’elle n’était pas enfermée dans des centres à Toulouse, Albi, Lavaur, Castres, Mazamet ou ailleurs dans le midi toulousain…

Espé construit une autofiction à partir de son propre vécu et du témoignage de proches qui lui permettent de relier certains bouts entre eux. Cela donne des chapitres courts qui forment autant de moments de vie tristes et poignants ou, plus rarement, tendres et apaisés. Jamais décousu malgré ce choix narratif, le récit d’Espé, plus connu pour son travail sur Châteaux Bordeaux, se fait très personnel et respire d’humanité. Il fait surtout montre, et il n’est pas anodin de le souligner pour un premier projet en tant qu’auteur complet, d’une rare maîtrise pour délivrer son témoignage. Il s’attarde ainsi sur des grands-parents en partie dépassés et sur un père qui tient la barre avec une force de conviction et un amour sincère, tandis que le petit Bastien tente de recoller les bouts d’une enfance « bousculée ». Pour ce projet le dessinateur avait besoin de trouver une approche graphique qui soutienne le propos. Placé à hauteur d’enfant le trait se fait plus simple et plus rond. Cela se ressent sur le fond qui ne tombe jamais dans la surface des choses ou un pathos exacerbé par les bonnes intentions. Parfois le jeune Bastien utilise la maladie de sa mère comme une force pour s’imposer auprès de ses camarades de classe qui voient en elle une super-héroïne dotée de pouvoirs détonants. Mais, même dans ces brefs instants, Bastien sait ce qui l’attend une fois rentré à la maison et son regard absent ne cache que l’absence d’une mère absente malgré elle. Un récit marquant, d’une grande maturité qui impose un auteur au sommet de son expression.

Espé – Le Perroquet – Glénat