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La BD du jour : Le premier homme de Jacques Ferrandez (Gallimard BD)



Dernier texte d’Albert Camus, roman inachevé par sa mort subite, Le premier homme devait revenir sur le passé de l’auteur qui parcourrait, au travers d’un personnage les grandes lignes de sa jeunesse passée en Algérie dans un département qui commençait tout juste à vouloir devenir une nation. Jacques Ferrandez avec toute sa subtilité, la poésie de ses couleurs, offre une proposition graphique séduisante de ce roman qui délivre des effluves d’un passé révolu qui transpire de chaque planche…

Algérie 1913, sous des trombes d’eau une charrette avance sur un chemin de terre. Pas trop vite, et pour cause. A l’intérieur une femme est sur le point d’accoucher. Mais le temps ne joue pas en faveur de la mère et de l’enfant à naître et le mari décide d’accélérer la cadence pour couvrir les huit derniers kilomètres qui les séparent de Solférino, le village le plus proche. Arrivés à destination la femme est prise en charge et l’accouchement se déroule sns problème. Quarante ans plus tard, l’enfant devenu adulte revient sur les traces de son passé pour reconstruire un puzzle dont des pièces lui échappent encore…

Certains diront que Le Premier homme est l’œuvre la plus personnelle d’Albert Camus. Lorsqu’il meurt dans un accident de voiture en janvier 1960, il travaille alors sur l’histoire d’un homme de quarante ans, écrivain reconnu et adulé de tous, qui revient à Alger sur les traces de son passé. Le roman sera publié en 1994 sous le titre « Le premier homme ». Si le roman n’est pas autobiographique au sens propre du terme il parcourt les grandes lignes du passé de l’auteur de La Peste. De son enfance dont Camus garde la dureté d’une éducation dispensée par une grand-mère qui n’hésite pas à utiliser la violence physique lorsqu’elle le juge nécessaire. D’une pauvreté aussi qui oblige la famille à conserver le moindre sous pour manger et subvenir aux besoins de tous. Son père, lui, est mort bien plus tôt, en octobre 1914, des suites d’une blessure contractée durant la première guerre mondiale. Des moments difficiles Camus garde surtout l’échappatoire que représentait l’école : « L’école ne nous fournissait pas seulement une évasion à la vie de famille (…) elle nourrissait en nous une faim plus essentielle encore à l’enfant qu’à l’homme et qui est la faim de la découverte ». Bon élève il sera présenté à la bourse des lycées pour envisager l’inenvisageable, aller étudier pour décrocher le sésame du baccalauréat. Mais le plus dur reste à convaincre une grand-mère qui avait d’autres projets pour lui, notamment le faire travailler pour gagner de l’argent.

Albert Camus, dans Le Premier homme décrit toute cette enfance qu’il transpose sur le personnage de Jacques Cormery. Il donne ainsi à voir les bons moments passés dans un pays où l’insouciance reste encore possible mais où les premières tensions entre colons et les hommes avides de retrouver leur indépendance commencent à émerger et accouche de situation dramatiques comme cette scène surréaliste très bien dépeinte par Jacques Ferrandez dans laquelle le père de l’homme qui a racheté la ferme où est né quarante ans plus tôt Cormery, détruit de manière radicale est définitive son exploitation viticole suite à un ordre d’évacuation. Le travail du dessinateur sur ce projet se devait d’être tout à la fois respectueuse du texte tout en mettant en avant le ressenti et la sensibilité de la lecture. Graphiquement Ferrandez donne à voir des planches d’une beauté à couper le souffle. Proche des personnages il donne à voir toute leur expression face aux situations qui les traversent. Lorsqu’il utilise des panoramiques c’est toute la beauté des paysages, travaillés avec un accent porté à la justesse des couleurs, qui transparaît. Le dessinateur garde une division en chapitre qui offre des scènes dans lesquelles le temps semble arrêté. Un album qui touche profondément le lecteur et ne peut qu’inciter à (re)lire le texte de Camus.   

Jacques Ferrandez – Le premier homme (d’après Camus) – Gallimard